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La France doit-elle rapatrier les enfants retenus dans les camps en Syrie? La CEDH appelée à trancher

Le camp d'Al-Hol, en Syrie, le 25 août 2020

Le camp d'Al-Hol, en Syrie, le 25 août 2020 - Delil SOULEIMAN © 2019 AFP

La Cour européenne des Droits de l'Homme a examiné ce mercredi les requêtes de deux familles qui réclament auprès de la France le rapatriement de leurs filles et de leurs petits-enfants détenus dans des camps en Syrie.

La France bafoue-t-elle les droits de femmes et d'enfants retenus par les Kurdes en Syrie en ne les rapatriant pas? C'est la question qui a été posée ce mercredi matin à la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) qui a examiné les requêtes de deux familles dont les filles, épouses de jihadistes, et les petits-enfants sont retenus dans des camps. Elles réclament leur rapatriement par l'Etat français.

Preuve de l'importance de cette question, traitée prioritairement, pendant plus de deux heures, c'est la Grande chambre de la CEDH, sa formation suprême composée de 17 juges et conduite par Robert Spano, président de cette juridiction européenne, qui a examiné les requêtes portées par Me Marié Dosé et Laurent Pettit, les avocats des deux familles de ces femmes parties en 2014 et en 2015 pour rejoindre la Syrie où elles ont donné naissance à leurs enfants.

Une violation de l'obligation de protéger des ressortissants français?

Au cours de cette audience qui a duré près de 3 heures, les deux parties, avocats des familles d'un côté, représentant de l'Etat français de l'autre, ont fait valoir leurs arguments. L'un estimant que la France viole son obligation de protéger ses ressortissants en ne procédant pas à leur rapatriement, l'autre jugeant qu'il n'a pas de contrôle sur ces mêmes ressortissants retenus depuis 2019 dans les camps syrien d'Al-Hol et de Roj.

Les juges de la CEDH ont pu poser leurs questions aux deux parties. Face à un Quai d'Orsay assurant également qu'il n'existe aucun fondement légal à une obligation positive de rapatriement, l'une des magistrates de la juridiction européenne a notamment questionné le représentant de l'Etat français sur l'attitude qu'exercerait la France, signataire de toutes les conventions internationales aux droits des enfants, s'il s'agissait de touristes.

"Cette situation n'est pas acceptable, un pays comme la France ne pourrait pas dépêcher un avion pour aller récupérer des familles et des enfants", plaide Pierre Morel-A-L'huissier, député UDI de la Lozère, à l'origine il y a un an de la tribune signée par un peu moins de 80 parlementaires pour réclamer le rapatriement de ces mères et enfants détenus dans des camps en Syrie.

"Pas une belle image" de la France

La Cour européenne des Droits de l'Homme doit répondre à deux questions dans une décision mise en délibéré. La France exerce-t-elle une autorité sur ces femmes et ces 200 enfants? Oui pour les défenseurs de cette requête, justifiant notamment leur réponse par le fait que 35 enfants ont déjà été rapatriés par le gouvernement français, des enfants orphelins ou dont les mères ont accepté de s'en séparer. La juridiction devra également dire si elle est compétente pour statuer sur la requête des deux avocats français.

"Nous n'envoyons pas une belle image du pays, poursuit Pierre Morel-A-L'huissier. Aujourd'hui, dans un Etat de droit, des avocats sont obligés de sortir de l'ordre juridictionnel français et d'aller devant des organes internationaux" pour plaider leur requête. Ce dernier a déjà déposé une proposition de loi pour ouvrir au conseil d'Etat la possibilité de statuer sur des actes de gouvernements.

En avril 2019, le Conseil d'Etat a rejetté les demandes de rapatriement de ressortissantes françaises et de leurs enfants statuant qu'elles ne relevaient pas de la compétence du juge français. La juridiction avait motivé cette décision par le fait qu'elle ne pouvait se prononcer sur l'atttitude de l'Etat français d'étudier au cas par cas la situation de ces enfants correspond, selon elle, à de la diplomatie et donc à un acte de gouvernement, c'est-à-dire en droit français un acte inattaquable devant une juridiction française.

Selon l'ONG Save the Children, 62 enfants sont morts l'an dernier dans les camps d'Al-Hol et de Roj, en raison des conditions de vie insoutenables entre malnutrition, maladies, manque d'hygiène ou encore incendie. Ces enfants sont "des victimes de guerre", ont plaidé Marie Dosé et Laurent Pettiti, rappelant que leurs mères, toutes sous le coup d'un mandat d'arrêt international, seraient immédiatement judiciarisées si elles étaient rapatriées en France.

https://twitter.com/justinecj Justine Chevalier Journaliste police-justice BFMTV