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"L’Église a été coupable": le témoignage d'Hedwige, abusée par un prêtre lorsqu'elle avait 10 ans

Aujourd'hui âgée de 80 ans, Hedwige Manhaeve raconte s'être heurtée à l'inaction de sa famille et se réjouit de la réparation reçue de la part de l'Église, réparation qu'elle qualifie de "vengeance."

Un témoignage poignant. Publié jeudi 14 mars, le deuxième rapport annuel de l'Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr) a indiqué que fin 2023, 489 victimes de pédocriminalité dans l'Église avaient obtenu une réparation financière.

Parmi elles, Hedwige Manhaeve, qui a été victime pendant des années d'agressions sexuelles et de viols commis par un prêtre à Lille. Auprès de BFMTV, l'octogénaire évoque ses premiers contacts avec la religion.

"Lorsque mon père est mort, le curé de la paroisse Saint-André est venu voir ma mère et a dit qu'une manécanterie (un chœur d'enfant rattaché à une église ou une cathédrale, NDRL) allait s’installer pas très loin, les prêtres auraient besoin de quelqu’un pour faire à manger", raconte-t-elle. Les deux femmes s'installent alors au plus près des religieux.

"J'admire simplement ce que Dieu a fait"

C’est quelques années plus tard que la situation empire. Selon elle, deux prêtres, "gentils", s'occupaient des lieux. Lorsqu'un des deux hommes de foi s'en va, "un prêtre est venu d’une autre paroisse de Lille pour s’occuper des petits chanteurs."

"Ce prêtre, je ne le connaissais pas. Et puis un matin, en prenant mon petit déjeuner, la première chose qu’il a fait, c’est mettre sa main dans ma culotte. Je me suis sauvée, j’étais choquée, j’avais 10 ans", se rappelle-t-elle.

Les sévices sexuels vont se poursuivre les semaines suivantes. "Pas seulement les doigts dans la culotte, mais les doigts dans le vagin", détaille Hedwige.

"Il m'a dit: 'tu sais je ne fais rien de mal, j’admire simplement ce que Dieu a fait, j’ai le droit de le faire'".

"Tout ce qui est arrivé est de ta faute"

La fillette ne peut pas, à l'époque, compter sur l'appui familial. Elle avait 12 ans lorsqu'elle décide d'avertir sa mère de la situation. "Elle a dit 'c’est pas grave c’est un homme comme un autre, il peut avoir ses faiblesses'".

"Elle a été jusqu’à me dire, 'c'est comme un père de famille'. Ca a été un coup de poignard dans le cœur. Une fois, au téléphone, elle m’a dit 'tout ce qui est arrivé est de ta faute, tu n’avais qu’à en parler à un autre abbé'".

Et Hedwige Manhaeve d'évoquer un processus de culpabilisation lié à son jeune âge d'alors.

"C’est toujours la même chose avec les enfants comme ça, on a peur, on est une victime et on pense qu’on est coupable, on a honte, on n'ose pas en parler. C’est là que je me suis rendue compte que dans les mains d’un pédophile, vous n‘êtes pas une personne humaine mais un objet, l’objet de leur fantasme", martèle Hedwige.

A son mari, elle ne parle de ces sévices qu'à l'âge de 35 ans.

"Beaucoup d'hypocrisie"

Il y a quelques mois, Hedwige est contactée par l'Inirr, qui lui dit qu'elle a droit à une réparation que l'Église allait payer. "Pour moi c'est une vengeance, ils faisaient si bien la morale, tout ça, c’est eux qui doivent payer."

"Il y a beaucoup trop d’hypocrisie, l’Église a été coupable", termine-t-elle.

L'Inirr propose des réparations aux victimes de prêtres ou laïcs dans les diocèses, établissements ou mouvements de jeunesse catholiques, à l'exception des congrégations. Sa création avait été décidée par l'épiscopat en novembre 2021 peu après la publication du rapport choc de la commission Sauvé sur la pédocriminalité dans l'Église catholique depuis 1950.

Sur la seule année 2023, l'Inirr a rendu 358 décisions financières, pour un montant moyen de 35.310 euros, après 131 l'année précédente.

Au total, l'institution a été saisie par 1.351 victimes au 31 décembre, dont 215 sur la seule année 2023. "On constate un ralentissement des saisines, avec des variations selon l'actualité. Dès qu'on entend parler des violences sexuelles, davantage de sollicitations nous parviennent", a expliqué la présidente de l'Inirr, Marie Derain de Vaucresson.

https://twitter.com/Hugo_Septier Hugo Septier Journaliste BFMTV