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Jeûne, yoga... Pourquoi le secteur du bien-être peut être une porte d'entrée vers les dérives sectaires

Des participants à un cours de yoga de Radha Silva sur une plage de Miami Beach, en Floride, le 23 mars 2021 (illustration)

Des participants à un cours de yoga de Radha Silva sur une plage de Miami Beach, en Floride, le 23 mars 2021 (illustration) - CHANDAN KHANNA © 2019 AFP

La Miviludes note une évolution récente des tendances dans le milieu sectaire, avec un développement particulier du secteur du bien-être. Certaines pratiques, comme le jeûne, le crudivorisme ou le yoga vont être présentées comme des remèdes uniques et miraculeux à des problèmes très variés, physiques ou psychologiques.

En elle-même, la pratique n'a rien de problématique. Mais elle peut être une porte d'entrée vers des groupes sectaires. Les dérives de certains mouvements tournés autour du yoga ont été remises en lumière ce mardi avec l'interpellation de 41 membres du Misa, un mouvement international de yoga tantrique. Ils sont soupçonnés d'avoir organisé des stages de yoga où les participantes auraient été contraintes d'avoir des relations sexuelles, dans un contexte d'emprise psychologique.

Ce type de mouvement s'inscrit dans la lignée d'autres organisations sectaires dans le secteur du bien-être. "Atteindre la 'meilleure version de soi-même', exploiter son 'plein potentiel', devenir son 'propre leader', autant de promesses que vantent des entrepreneurs aux titres et diplômes variés, souvent sans reconnaissance d’un organisme officiel", observait la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (Miviludes) dans un rapport de décembre 2022.

"Cet idéal ne serait accessible qu’au travers de l’enseignement d’un 'guide', détenteur d’une méthode miracle pour s’affranchir de ses défauts, de ses regrets, de ses contraintes, etc.", ajoutait l'organisme rattaché au ministère de l'Intérieur.

Le yoga, la méditation ou encore le jeûne présentés comme des remèdes miracle

Dans ce cadre, les mouvements sectaires vont d'abord vanter les mérites de leur méthode, présentant certaines pratiques comme un moyen de déstresser, voire comme des remèdes miracle pour des maladies graves et montrer des personnes satisfaites et épanouies grâce à ces pratiques... Des exemples d'organisations présentant le jeûne, les cures de jus, la méditation, le crudivorisme, les huiles essentielles ou encore le yoga comme des solutions à une large variété de problèmes ont été relevés par la Miviludes ces dernières années.

"Dévoyé de sa philosophie originelle par les Occidentaux, le yoga est en train de devenir la raison de vivre de certains, un remède universel aux effets addictifs. Obnubilés par sa pratique, certains finissent par se centrer exclusivement sur eux-mêmes", alertait aussi l'Union nationale des associations de défense des familles et de l'individu victimes de sectes (Unadfi) dans une note de 2017.

"Le secteur du bien-être et de la santé repose sur une quête individuelle qui aide beaucoup de victimes qui recherchent des réponses, parfois alternatives", explique l'Office central pour la répression des violences aux personnes. "Il y a une offre importante des mouvements sectaires dans ce secteur qu'internet a permis de déployer. Ils se sont emparés de cet outil, ils le maîtrisent, ce qui rassure les adeptes."

Une relation d'emprise qui s'installe

Le site de la Miviludes ajoute qu'une phase de soumission débute ensuite, qui permet d'obtenir quelque chose de la victime. "La relation va se baser sur l’admiration du patient envers son gourou, allant jusqu’à la soumission. Grâce à la sujétion psychologique qu’il exerce, le 'dérapeute' va exiger des sommes de plus en plus exorbitantes, convaincre son patient de participer à des conférences, séminaires, retraites, cures…, parfois organisées à l’étranger".

C'est ce qu'a décrit l'une des victimes du Misa auprès de Libération: lorsqu'elle a rencontré le leader de la secte, Gregorian Bivolaru, arrêté ce mardi, elle l'a trouvé "pas attirant". "Et je me suis dit que je ne voulais pas coucher avec cet homme", a-t-elle ajouté.

"Et en même temps, j’entendais cette voix d’endoctrinement dans ma tête, qui me disait que j’étais superficielle, que je devais le voir comme l’être divin qu’il était, et que c’était une chance unique pour moi", a-t-elle poursuivi.

Comment reconnaître une dérive sectaire?

La psychothérapeute spécialiste des dérives sectaires Sophia Ducceschi explique à BFMTV.com qu'un faisceau d'indices peut alerter sur une possible dérive sectaires.

"Par exemple, si la personne qui anime l'activité demande des choses très personnelles aux gens sur leurs habitudes, leur famille, ça peut être un premier point. L'emprise, ça s'installe très insidieusement, pas en un stage de trois jours mais avec des graines qui font que la personne va revenir", souligne-t-elle.

On peut également s'interroger si les demandes de cotisation sont particulièrement élevées par rapport à ce qu'il se fait ailleurs.

Concernant le yoga, la pratique de certains types peut alerter, selon Sophia Ducceschi, comme le yoga tantrique, qui travaille notamment sur l'énergie sexuelle. "Après, il y a la façon de pratiquer: s'il y a des pratiques avec des touchers corporels, si le contact est physique souvent, si on se sent mal à l'aise, il faut s'inquiéter", poursuit la psychologue. Enfin, "le côté remède miracle, la thérapie unique qu'ils ont inventé et qui fait du bien à tout le monde, c'est à proscrire", affirme-t-elle.

Une hausse de la thématique bien-être

Un rapport publié en 2021 par la police et la gendarmerie nationales avec la Miviludes constate une évolution récente des tendances dans le milieu sectaire, avec un développement particulier du secteur du bien-être. La cellule d'assistance et d'intervention en matière de dérives sectaires (CAIMADES), qui fait partie de la police judiciaire, y disait traiter "un nombre réduit de dossiers en lien avec des contextes religieux ou cultuels".

La majorité des procédures traitées vise plutôt "des thérapeutes ou des coachs proposant des soins divers (parfois à distance) ou des séances de développement personnel". Parmi les infractions observées dans ce type de dossier se trouvent les infractions à caractère sexuel, les infractions financières ou encore la pratique illégale de la médecine.

La pandémie, un accélérateur?

Dans son rapport d'activité de 2021, publié fin 2022, la Miviludes fait aussi état d'une "augmentation croissante du risque sectaire" dans le domaine de la santé, dans lequel elle prend en compte les mouvements axés sur le bien-être et l'alimentation. Cette tendance ne serait pas étrangère à la pandémie de Covid-19.

Qui est Thierry Casasnovas, gourou du « crudivorisme », accusé de dérives sectaires ?
Qui est Thierry Casasnovas, gourou du « crudivorisme », accusé de dérives sectaires ?
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"En effet, au-delà des propositions alternatives, se développe une remise en cause de la médecine conventionnelle au point de prendre la forme de critiques parfois violentes des vaccins et des médicaments allopathiques. Dans une majorité de cas, ces critiques trouvent leur source dans des théories complotistes", explique la Miviludes.

Un vrai business

Par ailleurs, ces thématiques profitent aussi économiquement aux gourous qui les utilisent dans leurs organisations. Le rapport de 2021 souligne que les secteurs de la santé et du bien-être sont "économiquement porteurs" et que leur succès entraîne "une modification de l’économie sectaire qui repose moins sur les dons que sur la vente de divers services", comme des stages, des cours...

Un potentiel qui n'attire pas que des personnes compétentes ou bien intentionnées. En janvier, le naturopathe Eric Gandon a par exemple été mis en examen pour "homicide involontaire", entre autres, après le décès d'une femme lors d'un de ses stages de jeûne prolongé. Dans un communiqué, le parquet notait que ces stages étaient "facturés plusieurs centaines, voire milliers d'euros, sans prise en charge des frais d'hébergement" - et sans absorber d'aliments solides pendant plusieurs semaines parfois, le tout dénué d'accompagnement médical.

La secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté, Sabrina Agresti-Roubache, a présenté ce mercredi 15 novembre un projet de loi visant à mieux lutter contre les dérives sectaires. Le texte veut notamment créer un délit de "provocation à l'abandon ou à l'abstention de soins, ou à l'adoption de pratiques" exposant à un "risque grave pour la santé". La peine encourue serait de 15.000 euros et un an d'emprisonnement.

Sophie Cazaux