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Société

GRAND ANGLE - La GBL, drogue accessible et pas chère, fléau des nuits parisiennes

En mars dernier, à Paris, un jeune homme de 24 ans a perdu la vie après avoir pris par erreur de la GBL. Ce solvant industriel, utilisé pour ses effets euphorisants, s’invite de plus en plus dans les soirées de la capitale, et charme les jeunes consommateurs.

"C’est un peu comme une ivresse alcoolique. Ça va mettre le corps dans un état de très grande relaxation, et ensuite ça provoque une désinhibition, qui permet de mieux aller vers les autres." Maxime, 27 ans, décrit les effets de la GBL, la gamma-butyrolactone, une substance chimique qu’il a découverte sur les conseils d’un ami. Depuis un an et demi, il en consomme presque chaque semaine.

Une fois ingéré, ce produit industriel se transforme dans l’organisme en GHB, plus connu sous le nom de la drogue du violeur. Aujourd’hui il est utilisé par les fêtards dans les clubs et discothèques pour son pouvoir euphorisant.

"À la base, c’est un détergent qui sert à nettoyer les jantes de roues", explique-t-il. Lorsqu’il verse le produit dans un verre d’eau, c’est millilitre par millilitre. Car la moindre surdose peut provoquer des comas graves. Mélangé avec de l’alcool, le produit peut s’avérer mortel.

Escalade de cas

En quelques mois, c’est une série noire qui s’est abattue sur les nuits parisiennes, particulièrement chez les 17-25 ans. Depuis décembre 2017, 10 cas d’overdoses ont été recensés, dans trois établissements différents. Cyril et Kevin, deux consommateurs de 35 et 27 ans, ont déjà été témoins de comas provoqués par ce produit, même à petite dose. Une perte de connaissance de quelques heures, si répandue qu’elle a même un nom, le "G-hole":

"C’est vraiment grave, l’effet de G-hole à répétition, à force d’en consommer tous les week-ends. Ils peuvent arriver beaucoup plus vite et beaucoup plus fort, et il y a un moment où on ne peut plus se réveiller", témoigne l’un d’entre eux.

Un décès en 2018

Le 10 mars dernier, une soirée a viré au drame, dans l’établissement parisien Le petit bain. Lors d’une fête, deux jeunes hommes ramassent ce qu’ils pensent être une bouteille d’eau. Elle contient en fait de la GBL. Après avoir bu une simple gorgée, ils tombent dans le coma. L’un d’eux, âgé de 24 ans, ne se réveillera pas.

Ce drame a bouleversé la vie de Ricardo Esteban, le patron du lieu. C’est la première fois en 25 ans qu’il est confronté à une telle tragédie : "Tout à coup, la mort s’invite dans des lieux de fête (…) Je suis complètement dévasté par ce qui est arrivé chez moi", témoigne-t-il. Ce jour-là, il retrouve d’autre dirigeants de clubs et de bars pour échanger et discuter sur ce fléau.

Une intervenante des hôpitaux de Paris est venue pour informer sur cette drogue qu’ils connaissent mal. Lorsqu’elle questionne l’assemblée sur les réflexes à avoir, le silence en dit long. Chacun reconnait son impuissance : "On est un peu désarmés, c’est-à-dire qu’on n’a pas beaucoup d’informations. À part appeler les secours, on ne sait pas vraiment quoi faire", déplore l’une des personnes présentes.

Appeler les secours est une évidence, mais cela les expose aussi à des sanctions. Car en cas de décès ou de coma, ils peuvent se retrouver sous le coup d’une fermeture administrative. C’est ce que risque Ricardo Esteban. Une injustice, selon lui, car il estime la présence de GBL est indétectable.

Accessibilité et prix attractifs

En région parisienne, les cas de comas ont triplé en trois ans. Cette drogue s’est banalisée car elle n’est pas chère et facile d’accès. Pour Maxime, qui consomme plusieurs doses par semaine, c’est l’affaire de quelques clics sur Internet. En tapant "buy GBL" sur Google, il tombe rapidement sur un site qui propose d’en acheter des bidons de 10 ou 20 litres. "Ce sont des sites qui vont s’adresser à des magasins de bricolage ou à des mécaniciens", explique-t-il.

La menace est prise très au sérieux par les autorités : mi-avril, le préfet de police de Paris Michel Delpuech affirmait qu’un groupe de travail serait mis au point "pour voir si on peut limiter la vente libre de ces produits".

Depuis 2011, ces sites n’ont théoriquement plus le droit de vendre ce produit à des particuliers. Un acte puni de 3 ans de prison et de 45.000 euros d’amende. Dans les faits, les acheteurs arrivent à s’en procurer sans risque: "La GBL est en fait un produit qui n’est pas sur la liste des stupéfiants, donc on peut en acheter de façon parfaitement légale sur Internet", explique-t-il.

Le tout directement livré à domicile. Le prix du produit est quant à lui bien inférieur à d’autres stupéfiants: "Il y en a 100 millilitres, donc ça fait entre 50 et 100 prises et ça coûte 29,95 euros", détaille Maxime.

"Une utilisation de plus en plus borderline"

La GBL est devenue un problème de santé publique, alors les hôpitaux ont dû s’adapter au phénomène. Hervé Gourlain, toxicologue, en témoigne : c’est dans son laboratoire que sont réalisées les analyses toxicologiques pour les patients qui présentent des symptôme potentiellement liés à une prise de GBL. "On fait à peu près 40 à 50 dosages mensuels. Par rapport à l’année précédente, on a doublé le nombre de dosages, et ce dernier mois ça a encore augmenté", s’inquiète-t-il.

Pour traiter toutes ces demandes, les analyses autour de la GBL sont désormais réalisables 24 heures sur 24 depuis un mois. Une première en France. Dans ses dosages, Hervé Gourlain constate des concentrations de plus en plus élevées: "Il y a une utilisation de plus en plus borderline."

Et les risques ne se limitent pas simplement au coma. L’usage répété de la GBL pourrait également entraîner une dépendance: "Les personnes qui utilisent le GHB ou la GBL veulent toujours avoir des sensations plus hautes que la fois précédente. Donc ils vont augmenter les doses". La préfecture de police de Paris parle aujourd’hui d’une évolution inquiétante, allant jusqu’à craindre une centaine de comas d’ici la fin de l’année.

B.P.