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Gagner 100.000 euros à 9 ans: le business des jeunes prodiges du foot

Un jeune garçon joue au football au Chili. Un futur Alexis Sanchez?

Un jeune garçon joue au football au Chili. Un futur Alexis Sanchez? - MARTIN BERNETTI - AFP

Lucca, 9 ans, et ses parents se sont vus proposer des enveloppes d'argent liquide pour que le jeune footballeur rejoigne tel ou tel club en France ou à l'étranger. A quoi sont prêtes les meilleures formations européennes pour s'offrir le Zidane, le Messi ou le Ronaldo de demain?  

Le très jeune footballeur français Lucca Lagana est un "phénomène": sa "vision du jeu au-dessus de la moyenne" a pu taper dans l'œil du FC Barcelone ou du Real Madrid. La Voix du Nord raconte mercredi, par la voix du père, l’histoire de ce gamin de 9 ans qui a "résisté" aux sirènes "des plus gros clubs de Ligue 1 mais aussi étrangers", malgré des propositions très avantageuses pour le charmer. Dans les colonnes du quotidien nordiste, Emmanuel Lagana dénonce les dérives, encouragées dès le plus jeune âge, d’un système déjà largement décrié pour les millions d’euros qu’il brasse.

Pourtant pas encore entré au collège, Lucca a déjà signé dans un club français après avoir visité les installations d’un club transalpin et avoir été approché par de multiples émissaires plus ou moins recommandables. Quelque part dans l’Hexagone, Lucca endossera ses nouvelles couleurs à la rentrée prochaine. Pour contourner les règlements stricts de la fédération française de football (FFF), qui interdisent à un joueur de moins de 15 ans de signer à plus de 50 kilomètres de sa famille, toute la famille va déménager. S'ils reconnaissent les qualités de Lucca, Lille et Lens, les clubs phares de la région, n'ont pas vu l'intérêt de se précipiter.

Chez le père, on décèle comme un double discours. Emmanuel Lagana préfère insister sur "les garanties scolaires", "l’épanouissement de l’enfant" promis à son rejeton dans son futur club. Maçon d’origine italienne, il admet à La Voix du Nord qu’il "aimerait que (son) fils devienne une star du foot. Comme Lucca, je ne m’interdis pas de rêver. (…) On n’a pas envie de priver son enfant d’une telle opportunité".

Les clubs "savent se montrer très créatifs" pour attirer les jeunes talents

En tennis, de très jeunes talents rejoignent très tôt les meilleures académies, parfois à des milliers de kilomètres de chez eux. Est-ce choquant? Dans le football, loin des tapages du mercato professionnel, "les clubs, contraints de s’adapter à une situation économique difficile, font des paris à moindre frais" en jetant leur dévolu sur les futurs Messi ou Ronaldo, explique à BFMTV.com Jennifer Mendelewitsch, agent de joueur, agréée FFF et Fifa. L’exemple de Lyon, qui retrouve le haut du tableau de Ligue 1 grâce à une génération sortie de son centre de formation, illustre le versant lumineux du propos.

De plus, les clubs "s’adaptent à la situation des parents pour faire des offres séduisantes". Et chez les jeunes comme chez les grands, "les clubs étrangers ont plus de moyens que les français et mettent une pression plus forte sur les familles", précise-t-elle. Les directions savent "se montrer très créatives" pour contourner les règlements, assure Jennifer Mendelewistch.

Dans le même temps en Espagne, la radio Cadena Ser affirme que la Fifa veut sanctionner le Real Madrid pour recrutement abusif de mineurs. L’an passé, le FC Barcelone avait déjà été puni pour la même raison. Dans les faits, de l’argent, des emplois - plus ou moins effectifs - ou un logement sont proposés pour attirer les futurs cracks.

Des enveloppes de 100.000 euros

"Que les clubs aient un œil sur lui, même à son jeune âge, je peux le comprendre car c'est leur métier. Mais généralement le recrutement se fait, après un temps d'observation plus ou moins long, vers l'âge 13 ans et l’arrivée au centre de formation, pour un premier plan de carrière, vers 15 ans, explique Patrick Rampillon, ancien directeur du centre de formation de Rennes pendant 28 ans. Aujourd’hui conseiller du président du club breton, il a à son tableau de chasse des internationaux comme Sylvain Wiltord, Yoann Gourcuff ou Yann M’Vila.

Il a également connu les retournements de situation où le joueur délaisse, au dernier moment, la galette saucisse pour succomber aux sirènes du fish and chips de clubs anglais comme Manchester City ou Chelsea. Une simple question d’argent? "Je ne suis pas sûr que ce soit pour la couleur du maillot", ironise Patrick Rampillon. Le père de Lucca Lagana évoque des enveloppes de "100.000 euros". "On ne peut pas dire qu’il n’y a pas d’argent dans le foot, même pour de jeunes joueurs" reconnaît le formateur sans entrer dans les détails.

Prodige YouTube et futur Zidane

Le dirigeant rennais préfère revenir rapidement sur la pelouse, mais quel est l'avenir sportif d'un gamin exposé très jeune, parfois sur YouTube, où les nouveaux talents (et leurs parents) nourrissent leur hypothétique légende? "Des joueurs comme Aliadière, Ben Arfa ou Ménez ont été repérés dès 9 ans et sont devenus pros", expose Patrick Rampillon. 

"Statistiquement, un joueur si jeune, mis très vite sur le devant de la scène, ne devient pas pro", assure de son côté Jennifer Mendelewitsch. "Quand les parents pensent qu’ils ont un futur Zidane sous leur toit, souvent, ça ne marche pas", tranche Jean-Philippe Cousin, formateur à Lille à la Voix du Nord. En effet, l’échec est une donnée importante: sur une promotion de 20 à 25 joueurs, un ou deux seulement fouleront les pelouses de Ligue 1, de Ligue 2, de Premier League ou de Liga.

Mais "on a toujours observé les joueurs très jeunes", raconte Patrick Rampillon. "Simplement, personne n'avait besoin d'en parler. Ni les clubs, ni les parents, ni la presse". En attendant d'alimenter la rubrique transfert des journaux spécialisés et d'amasser les millions d'euros, sur les derniers clichés de lui, Lucca porte un maillot du PSG. 

Par Samuel Auffray