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"On a perdu nos élèves": avec le nouveau bac, le 3e trimestre de terminale prend des airs de vacances

Un lycéen lors d'une épreuve du baccalauréat le 17 juin 2021 à Strasbourg (photo d'illustration)

Un lycéen lors d'une épreuve du baccalauréat le 17 juin 2021 à Strasbourg (photo d'illustration) - Frederick Florin/AFP

Étant donné que le bac est déjà quasi joué - il ne reste plus que l'épreuve de philosophie et le grand oral -, certains élèves de terminale ont déjà l'impression que l'année est finie.

Dorénavant, Divine choisit ses matières. "Il y a des cours où je ne vais pas", confie à BFMTV.com cette élève de terminale, âgée de 17 ans. Elle sèche en particulier le sport et, depuis que les épreuves ont eu lieu fin mars, les enseignements de spécialité.

"Le bac m'a tellement épuisée, je me suis dit que je méritais", estime-t-elle.

Si Divine se montre si détendue, c'est notamment parce que depuis mercredi dernier, elle connaît déjà ses principales notes: 17/20 à ses deux épreuves de spécialité (sciences économiques et sociales ainsi que histoire-géographie, géopolitique et sciences politiques). De quoi lui assurer l'obtention du baccalauréat.

Va-t-elle tout de même continuer à s'investir en classe, travailler, faire ses devoirs? "Non", assure-t-elle. "Clairement, je suis moins motivée", confie-t-elle. "Je vais prendre du temps pour faire les choses que j'aime. D'ailleurs, on se sent tous (ses camarades de classe, NDLR) en vacances."

Pourtant, il reste près de deux mois de cours et les élèves de terminale devront encore plancher sur la philosophie le 14 juin prochain puis présenter le grand oral entre les 19 et 30 juin. Mais alors que ces deux dernières épreuves ne comptent que pour 18% de la note finale du bac, les lycéens considèrent-ils déjà que l'année est terminée?

"Les remettre au travail, c'est compliqué"

"Ils ont zéro temps de cerveau disponible pour travailler", regrette pour BFMTV.com Christine Guimonnet, secrétaire générale de l'Association des professeurs d'histoire et de géographie. "C'est une catastrophe et c'est désolant." Cette enseignante n'a d'ailleurs pas revu en cours de tronc commun d'histoire-géographie certains de ses élèves de terminale.

Quant à ceux présents en classe: "Pour les remettre au travail, c'est compliqué. On a déjà perdu nos élèves."

Si les situations varient d'une classe ou d'un établissement à l'autre, Jérôme Fournier, professeur d'histoire-géographie et secrétaire national éducation du SE-Unsa, évoque des classes où parfois moins de la moitié des élèves viennent encore en cours. "Ce sont des situations qui restent minoritaires mais il est clair que dans la majorité des classes, on compte des élèves absents", affirme-t-il pour BFMTV.com.

Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du syndicat de chefs d'établissement SNPDEN-Unsa et proviseur de la cité scolaire Berlioz à Vincennes (Val-de-Marne) dit constater pour sa part une multiplication par deux de l'absentéisme des élèves de terminale.

"Il reste un tiers du programme"

Un des objectifs de la réforme du bac était pourtant la "reconquête" du mois de juin, avait mis en avant Jean-Michel Blanquer, l'ancien ministre de l'Éducation nationale. "C'est raté", dénonce Jérôme Fournier. "Maintenant il va falloir reconquérir de mars à juin", déplore pour BFMTV.com Pierre Priouret, professeur de mathématiques et secrétaire général du Snes-FSU pour l'académie de Toulouse.

"On oublie qu'il reste un tiers du programme!", s'indigne l'enseignant. À l'exemple des enseignements de spécialité: tous les chapitres du programme n'étant pas au menu de l'examen, certains n'ont donc pas encore été abordés en classe.

"On a couru pendant cinq mois, travaillé dans l'urgence sur cette partie très dense, mais le programme de l'année n'est pas bouclé", renchérit pour BFMTV.com Marie-Thérèse Lehoucq, présidente de l'Union des professeurs de physique et de chimie. Elle met d'ailleurs en garde les élèves: "Il y aura encore des évaluations."

Ce que confirme le professeur de mathématiques Pierre Priouret. "Les conseils de classe ont lieu début juin, le troisième trimestre sera bel et bien pris en compte dans le contrôle continu", insiste-t-il.

"Je ne peux rien lâcher"

Gabriel, 18 ans, en est bien conscient. Pas question pour cet élève de terminale STI2D (sciences et technologies de l'industrie et du développement durable) de lever le pied. Notamment parce qu'à l'une de ses épreuves de spécialité, il a été déçu de son 12/20. "Quand j'ai vu ça, je me suis décomposé", témoigne-t-il auprès de BFMTV.com.

Ce qui l'inquiète d'autant plus dans la perspective de son orientation dans l'enseignement supérieur: le lycéen souhaite intégrer une école d'ingénieur. "J'ai eu 16 et 17 en français l'année dernière, toutes mes moyennes étaient au-dessus de 10 en première. Mais cette année, j'ai eu de moins bonnes notes. Au deuxième trimestre, en mathématiques, ma moyenne était de 8/20. Je ne peux rien lâcher."

Raison supplémentaire pour lui de maintenir le cap: la perspective de ne recevoir aucune réponse positive à ses vœux formulés sur Parcoursup. "Si jamais je fois formuler des vœux lors de la phase complémentaire (qui s'ouvrira le 15 juin, NDLR) ou me réorienter, je ne peux pas me permettre d'avoir un mauvais troisième trimestre."

Dans certains établissements, il a pourtant fallu que les proviseurs passent dans les classes pour rappeler aux lycéens et lycéennes que l'année n'était pas terminée. "Les élèves savent déjà où ils en sont, ils connaissent les trois quarts de leur note, font leur calcul", pointe Pierre Priouret, le représentant du Snes-FSU.

"Ils savent bien que le bac est déjà joué. Au mieux, ils vont se concentrer sur le grand oral."

Le troisième trimestre = 6,6% de la note

Interrogé par BFMTV.com, le ministère répond que "les élèves doivent poursuivre leurs efforts autour des évaluations des disciplines du tronc commun qui comptent dans 40% des résultats finaux".

Pour rappel, le contrôle continu concerne toutes les disciplines du tronc commun qui ne font pas l'objet d'épreuves terminales. Soit les langues vivantes, l'histoire-géographie, l'enseignement scientifique pour la voie générale ou les mathématiques pour la voie technologique ainsi que l'enseignement moral et civique des années de première et de terminale, mais aussi l'enseignement de spécialité abandonné en première et l'éducation physique et sportive uniquement en terminale.

Pour simplifier, ce dernier trimestre de terminale représente à peu près un sixième de la note du contrôle continu, soit 6,6%.

Le ministère ajoute que les appréciations du livret scolaire du lycéen "rendront compte pour les réunions du jury de délibération de juillet de l'assiduité, du travail, des progrès et de la capacité à réussir sur l'ensemble de l'année, troisième trimestre compris". Et rappelle enfin que "la présence en cours est obligatoire, à tout moment de l'année".

Objectif mention pour certains

Youna, 17,5 de moyenne générale à son bulletin, est quant à elle déjà bachelière. "J'ai fait le calcul de ma note de bac par curiosité", confesse-t-elle à BFMTV.com. Même sans les notes de philo, du grand oral et du troisième trimestre, cette lycéenne qui se dit "bosseuse" et "sérieuse" a de la marge.

"Je suis pour l'instant à 17 et quelques. Mais avoir le bac n'acte pas le fait de ne plus aller en cours."

Car cette élève de terminale vise la mention très bien. "C'est de moi à moi, pour ma satisfaction personnelle puisque de toute façon ça ne comptera pas pour Parcoursup. J'ai beaucoup travaillé durant l'année, ce serait le résultat de ce travail." Mais elle reconnaît tout de même une ambiance plus relâchée dans les couloirs du lycée. "Il y a moins de stress, comme un poids en moins", analyse-t-elle.

"Six mois de vacances"

Christine Guimonnet imagine une solution en cas d'absentéisme aggravé: indiquer dans le livret de l'élève que "la note du contrôle continu du troisième trimestre dans telle discipline n'est pas représentative" et la remplacer par celle d'un devoir sur table imposé. "Le contrôle continu nous permet cette souplesse", explique la professeure d'histoire-géographie. "Nous ne sommes pas dans l'obsession de la note mais il faut que les élèves continuent de travailler en classe et à la maison."

Notamment parce que ce qui est en jeu, pour le corps enseignant, c'est la réussite dans l'enseignement supérieur. "Le risque, c'est que la marche à franchir ne soit trop grande", s'alarme encore cette Christine Guimonnet, qui redoute une perte des automatismes. Une inquiétude que partage Jérôme Fournier, du SE-Unsa. "L'entrée dans le supérieur se joue en partie maintenant."

"Dans quel état nos collègues du supérieur vont-ils trouver nos élèves après six mois de vacances?", s'interroge Pierre Priouret.

En ce qui concerne Divine, elle compte tout de même retourner à certains de ses cours de sport - notamment parce qu'elle sera évaluée. La lycéenne craint également que "quelque chose soit écrit sur le bulletin" dans le cas d'un absentéisme trop marqué. Mais elle envisage déjà de s'accorder une nouvelle semaine de révisions avant l'épreuve de philosophie, programmée à la mi-juin.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV