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Ni savon, ni papier: les toilettes à l'école, "un problème de santé publique" toujours pas réglé

Sanitaires sales, mal équipés ou peu surveillés... Huit enfants sur dix se retiennent d'aller aux toilettes à l'école, selon une récente étude. Pour les établissements, le chantier est considérable.

Quand Élise rentre à la maison, elle n'a qu'une idée en tête: "Foncer aux WC." À 11 ans, elle ne se rend jamais aux toilettes de son école. Elle qui s'apprête à entrer en 6e n'y est pas allée une seule fois l'année scolaire passée, pas davantage les années précédentes. Depuis le CE1, la fillette se retient.

"Je n'y vais pas parce qu'il y a rarement du savon ou du papier toilette", explique-t-elle à BFMTV.com. "Ce n'est pas très propre, les portes ne ferment pas à clé et comme il n'y a pas d'adulte qui surveille, les garçons entrent souvent."

S'il lui arrive d'avoir une envie pressante pendant la classe, elle se retient jusqu'au soir. Soit de 7h30 - quand ses parents la déposent à la garderie de l'école - jusqu'à 18h - quand ils viennent la récupérer.

"Le problème, c'est qu'elle a pris l'habitude de se retenir", s'inquiète sa grand-mère, chez qui la fillette passe des vacances. "Quand je lui propose d'aller aux toilettes, elle me répond toujours: 'je n'ai pas envie'."

Ce qui n'est pas sans conséquence: la fillette fait régulièrement des infections urinaires. Comme Élise, huit enfants sur dix se retiennent d'aller aux toilettes à l'école, selon une récente étude.

Des travaux durant l'été?

La Fédération des délégués départementaux de l'Éducation nationale (DDEN) ne cesse d'alerter sur le sujet. Ses milliers de bénévoles issus du milieu éducatif ont d'ailleurs inspecté les sanitaires de quelque 4139 écoles maternelles et élémentaires, en vue de présenter un rapport début septembre à Pap Ndiaye, le ministre de l'Éducation nationale.

Peut-on espérer que la situation s'améliore rapidement? Eddy Khaldi, président de la Fédération des DDEN, assure que 15% des écoles inspectées avaient prévu des travaux pendant l'été, notamment sur les points d'eau.

Le ministère de l'Éducation nationale semble conscient du problème: il a formulé des recommandations au mois de février dernier. Parmi celles-ci: un ratio d'une cabine pour dix élèves sur au moins 24m², un bloc supplémentaire à proximité de la cour de récréation, des cloisons sur toute la hauteur afin de garantir l'intimité des élèves, des points d'eau en dehors des blocs sanitaires ou encore l'installation de patères.

Des toilettes sans savon ni papier

Certaines des recommandations du ministère semblent relever de l'évidence: "présence de papier toilette, de savon, d'essuie-mains ainsi que de poubelles (y compris dans les cabines)". Et pourtant, dans les faits, ce n'est pas toujours le cas.

"On est plutôt sur un ratio d'une cabine pour 30 ou 40 élèves", déplore pour BFMTV.com Laurent Zameczkowski, vice-président et porte-parole de la Peep, une fédération d'associations de parents d'élèves. "Ça semble dingue, encore plus en période de pandémie, et pourtant il y a toujours des toilettes où il n'y a pas de savon ni de papier."

Le chantier semble considérable. Quelque 67,5% des écoliers jugent que les sanitaires de leur école ne sont pas un lieu agréable, selon la concertation publique 2021 "bâtir l'école ensemble" du ministère.

"Il y a urgence", dénonce pour BFMTV.com Nageate Belahcen, vice-présidente de la Fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE). "Les sanitaires, c'est le point noir de l'école."

"Un problème de santé publique"

La question est d'autant plus compliquée qu'elle relève de différentes compétences, reconnaît Lydia Advenier, membre du comité exécutif du Syndicat national des personnels de direction de l'Éducation nationale (SNPDEN) et proviseure d'un lycée professionnel à Lyon. "Le ministère n'a pas la capacité de décision ni d'action, ce sont les collectivités qui sont compétentes", explique-t-elle à BFMTV.com.

En l'occurence: les communes pour les écoles maternelles et élémentaires, les départements pour les collèges et les régions pour les lycées. Ce sont ces collectivités qui sont propriétaires des bâtiments, chargées de leur entretien et de la logistique.

Et c'est bien là le problème, considère Nageate Belahcen, de la FCPE. Car tous les établissements ne sont pas logés à la même enseigne. "Le budget peut varier d'une commune à l'autre", résume-t-elle. "Cela crée des inégalités de territoire." Elle demande ainsi un plan national d'urgence et appelle l'État à s'imposer sur le sujet.

"C'est un problème de fond et une question de santé publique. Il faut que l'État s'en mêle. On le connaît le diagnostic, les recommandations du ministère sont inutiles tant que les collectivités ne sont pas davantage incitées, voire contraintes à agir."

Des solutions "au cas par cas"

Du côté des chefs d'établissement, on assure faire son maximum. Dans le collège de Michael Vidaud, à Tournon-sur-Rhône (Ardèche), des travaux ont été effectués l'année dernière afin d'ajouter des sanitaires - quatre cabines garçon, quatre urinoirs et huit cabines filles - en lieu et place d'un local technique. Mais il reconnaît que tous les établissements ne peuvent pas forcément mener de tels travaux.

"Tout dépent de la configuration des lieux", indique à BFMTV.com ce membre de l'exécutif national du SNPDEN. "On est souvent contraint par des problèmes de place, de conduites d'eau et on ne peut pas installer des sanitaires n'importe où, notamment pour des soucis de surveillance et de sécurité."

Ce principal de collège reconnaît que la gestion des sanitaires n'est "pas simple" mais assure que les collectivités sont attentives, que des solutions sont trouvées "au cas par cas" et que le sujet est pris au sérieux. Michael Vidaud évoque notamment la question du papier toilette.

"En collège, quand on installe un nouveau rouleau, il est fréquent qu'il disparaisse dans l'heure pour finir en boules collées au plafond ou au fond des lavabos", regrette-t-il.

"On pourrait parfois remettre du papier toutes les heures, c'est un vrai souci et on est un peu tiraillé", poursuit le principal. "Si nous avons fait le choix de le renouveler régulièrement, cela a un coût."

Certains chefs d'établissement se veulent également à l'écoute des demandes de leurs élèves. Comme dans le lycée de Lydia Advenier, à Lyon, où un distributeur de protections périodiques - recommandé dans le document du ministère - a été installé dans les toilettes des filles. Une demande qui était portée par le conseil des délégués pour la vie lycéenne.

"Ceux qui sont pénalisés, ce sont les enfants"

Mais pour Laurent Zameczkowski, de la Peep, la question des sanitaires reste encore trop souvent prise à la légère. "Certaines collectivités balaient ça d'un revers de main et semblent étonnées quand on leur remonte des problèmes. Elles se renvoient la balle. Mais pour nous, peu importe qui paie. Car au final, ceux qui sont pénalisés, ce sont les enfants."

Les représentants de parents d'élèves évoquent plusieurs solutions à court terme, comme l'ouverture des sanitaires toute la journée - et pas uniquement au moment des récréations - leur surveillance en continu par un adulte ou encore la création d'un poste de responsable des sanitaires chargé de leur nettoyage et du réapprovisionnement plusieurs fois par jour.

Nageate Belahcen, de la FCPE, appelle à penser les toilettes "comme un lieu de vie et d'accueil".

"Il y a des collèges qui ferment les toilettes pendant les heures de cours, d'autres où il faut aller chercher le papier toilette à la vie scolaire, avec les situations humiliantes et stigmatisantes que cela peut créer", regrette cette représentante des parents d'élèves

"On ne ferait pas ça à des adultes", conclut-elle. "Pourquoi l'impose-t-on à des enfants?"

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV