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L'école aux cinq Nobel crée un fonds d'innovation

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par Marc Angrand PARIS (Reuters) - Les trois premiers brevets déposés par Jacques Lewiner, dans les années 1970, ne lui ont rien rapporté....

par Marc Angrand

PARIS (Reuters) - Les trois premiers brevets déposés par Jacques Lewiner, dans les années 1970, ne lui ont rien rapporté. Aujourd'hui, quand il veut se remonter le moral, il regarde les courbes de croissance de la dizaine d'entreprises auxquelles ses recherches ont donné le jour.

Ce physicien, longtemps directeur scientifique de l'Ecole supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris (ESPCI), préside aujourd'hui le "Fonds Georges Charpak", le bras financier dont vient de se doter cet établissement.

Une initiative emblématique des efforts français pour faire fructifier son potentiel d'innovation et rapprocher la recherche de l'industrie. Et en la matière, l'ESPCI ParisTech peut se targuer d'une tradition plus que centenaire.

Fondée par la ville de Paris en 1882, sur la montagne Sainte-Geneviève à Paris - dont elle n'a jamais bougé -, l'école s'enorgueillit de cinq lauréats du prix Nobel: Pierre et Marie Curie, leur gendre Frédéric Joliot-Curie, et plus récemment Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak.

Elle revendique en outre le premier rang des écoles d'ingénieurs françaises au fameux "classement de Shanghaï" et se targue d'un dépôt de brevet par semaine.

"Cette école a une grande particularité, qui est de laisser ses chercheurs maîtres de leurs brevets", explique Jean-Louis Missika, adjoint au maire de Paris chargé de l'innovation. "En contrepartie de cette liberté et de l'usage des laboratoires, l'école a accès à un pourcentage du capital de la société."

Le fonds Georges Charpak, financé entre autres par des donateurs privés et des entreprises (Total Petrochemicals, Schlumberger et Lundbeck entre autres), est appelé à regrouper ces participations de capital-risque.

"Le capital-risque en France reste relativement faible", ajoute Jean-Louis Missika. "Ça ne concerne pas simplement l'incubation d'entreprises dans les écoles: ça concerne malheureusement l'ensemble de la création d'entreprises, qu'elle se fasse sur des technologies nouvelles ou sur autre chose."

A 605 millions d'euros l'an dernier, les investissements en capital-risque en France sont inférieurs de 20% à leur niveau de 2008.

"IL FAUT S'Y METTRE"

Plus largement, la France peine à rattraper son retard en matière de financement privé de la recherche: ses investissements en recherche et développement (R&D) ne représentaient en 2008 que 2,08% du PIB. Près d'un demi-point de moins qu'en Allemagne et, surtout, moins qu'en 2002.

En 2006, avant son élection, Nicolas Sarkozy avait fixé pour objectif de porter ce ratio à 3%, cible également fixée par l'Union européenne pour rattraper son retard.

"Je pense qu'il faut s'y mettre, nous sommes face à la concurrence américaine qui est super organisée", dit à Reuters Xavier Niel, fondateur de l'opérateur de télécoms Free et donateur privé du fonds Georges Charpak. "Les levées de fonds américaines pour la recherche sont délirantes et à côté, on reste des enfants."

La France se classe parallèlement au sixième rang mondial pour le nombre de dépôts de brevets, avec 4,4% du total, loin de l'Allemagne (10,5%) mais aussi derrière la Chine et la Corée du Sud.

Pour tenter d'inverser la tendance, l'Etat a mis l'accent ces dernières années sur la promotion de la valorisation de la recherche. Avec pour outil emblématique le crédit impôt recherche (CIR), qui permet aux entreprises de récupérer 30% de leurs dépenses de recherche-développement jusqu'à 100 millions d'euros, et 5% au-delà.

La recherche est aussi le principal destinataire du grand emprunt lancé pendant la crise, via le programme des "investissements d'avenir", d'un budget annoncé de 21,9 milliards d'euros.

"C'est de l'argent comme on n'en a jamais vu", constate Jacques Lewiner. "Mais il faut qu'il soit bien utilisé. Plutôt que de courir derrière des Google ou autre, créons du nouveau."

"LA SCIENCE, C'EST COMME LE FOOTBALL"

Son premier accord, le fonds Georges Charpak l'a signé avec Capsum, une société créée par les chercheurs Sébastien Bardon et Jérôme Bibette.

Spécialisée dans la "microfluidique" (la manipulation d'infimes quantités de fluides, à l'échelle de quelques microns), elle crée de nouveaux matériaux en ciblant principalement l'industrie des cosmétiques.

Parmi les autres projets prometteurs nés à l'ESPCI figure l'Aixplorer, un échographe ultrarapide qui utilise les principes du "retournement temporel", spécialité de Mathias Fink, chercheur à l'école et médaille de l'Innovation du CNRS.

Au-delà des prises de participation, le fonds prévoit d'aider des chercheurs à financer le dépôt de brevets (le coût des démarches peut vite atteindre 20.000 euros) mais aussi d'offrir à des chercheurs étrangers

"La science, c'est comme le football", explique Jacques Lewiner. "On s'arrache les très grands joueurs, les leaders capables d'entraîner des équipes de recherche sur de nouveaux terrains. Et ce n'est pas avec des salaires de fonctionnaires français qu'on les attirera."

Les entreprises finançant le fonds seront aussi assurées d'un accès privilégié aux travaux de l'ESPCI, qui dispose déjà de trois chaires industrielles parrainées par Total, Michelin et Saint-Gobain.

Cette proximité avec les grands groupes ne date pas d'hier: Jacques Lewiner aime à rappeler que l'une des "start-ups" créées dans l'école s'appelait à sa création, en 1902, la "Société anonyme pour l'étude et l'exploitation des procédés Georges Claude".

Elle a rapidement changé de nom pour adopter une raison sociale plus facile à retenir: L'Air Liquide, leader mondial des gaz industriels.

Édité par Yves Clarisse