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Contrôle continu du bac: les profs pas convaincus et inquiets par la numérisation des copies

Une candidate au baccalauréat lors de l'épreuve de philosophie en juin 2019 (photo d'illustration)

Une candidate au baccalauréat lors de l'épreuve de philosophie en juin 2019 (photo d'illustration) - Dominique Faget-AFP

Couleurs mal numérisées, problème de connexion, plateforme sous-dimensionnée: selon les enseignants, la dématérialisation des copies du bac pose problème.

En plus du nouveau bac qui s'applique cette année aux élèves de première avec l'entrée en vigueur de la réforme du lycée, les copies des épreuves communes de contrôle continu - appelées également E3C - seront pour la première fois numérisées et corrigées informatiquement à grande échelle. Une innovation qui ne séduit pas les personnels des lycées à quelques jours de la première session de ces E3C - à mi-chemin entre le devoir sur table et l'examen classique du bac - qui démarrent ce lundi 20 janvier.

Une concession du ministère

Bruno Bobkiewicz, secrétaire national du syndicat des chefs d'établissement SNPDEN-Unsa et proviseur d'un lycée à Vincennes, dans le Val-de-Marne, assure à BFMTV.com que "l'expérience des outils informatiques du ministère nous pousse à être inquiet". Des difficultés qui pourraient remettre en cause le fonctionnement des E3C, déjà fortement contestées avec la menace de certains enseignants de ne pas choisir de sujets, ni surveiller les épreuves ou corriger les copies.

Philippe Vincent, secrétaire général de ce même syndicat et proviseur d'un lycée à Aix-en-Provence, assure avoir obtenu du ministère la possibilité de corriger ces épreuves sur papier en cas de problème informatique.

"On a eu du mal à l'arracher mais on a un plan B car avec 2 à 3 millions de copies, 750.000 élèves et 10.000 correcteurs, je ne suis pas certain que ça tienne. D'autant que plusieurs logiciels sont impliqués."

La numérisation reste la règle

Officiellement pourtant, le ministère ne s'y montre pas ouvert et nous indique que la numérisation reste la règle. "Les proviseurs ont reçu des instructions pour numériser les copies, la procédure de dématérialisation a vocation à s'appliquer de manière générale." Et précise, sans en dire davantage, que "si les établissements étaient dans l'impossibilité de dématérialiser, on trouverait des solutions".

Concrètement, l'outil informatique - baptisé Santorin - permet de rendre automatiquement les copies anonymes et de les attribuer informatiquement aux enseignants, qui les corrigeront donc sur tablette ou ordinateur. Pour l'instant, il n'est question de dématérialiser que les copies des E3C. L'année dernière, la numérisation a été expérimentée dans quinze académies sur les épreuves anticipées de sciences et de français.

Une expérimentation l'année dernière

Sophie Santraud, professeure de sciences de la vie et de la Terre à Villers-Cotterêts, dans l'Aisne, et secrétaire fédérale au Sgen-CFDT, a été concernée par cette expérimentation en juin 2019.

"Ça s'est plutôt bien passé, l'outil est opérationnel", juge-t-elle. "On peut zoomer sur la copie et la corriger à deux avec l'enseignant de physique-chimie grâce à un système de calques."

Mais elle reconnaît que la correction numérique "créé une fatigue". "Ce n'est pas la même chose qu'avec le papier, cela fait peur à beaucoup de mes collègues", nuance-t-elle. Elle évoque également le temps nécessaire à la saisie des appréciations puisque, contrairement aux copies des épreuves finales, celles des E3C seront remises aux élèves.

Pas de formation pour les professeurs

D'autres craignent un risque de sous-dimensionnement de la plateforme. C'est le cas de Claire Krepper, secrétaire nationale du Syndicat d'enseignants-Unsa. "J'ai des doutes quant à sa capacité à tenir lorsque tous les enseignants vont se connecter en même temps."

D'autant que les professeurs n'ont pas été formés. Si le ministère a publié une courte note explicative, Jean-Rémi Girard, président du Snalc et enseignant de lettres modernes à Asnières-sur-Seine, dans les Hauts-de-Seine, déplore le manque de consultation avec les principaux concernés. Il pointe une deuxième difficulté: l'absence de mise à disposition d'outils informatiques.

"Aucun matériel informatique n'est distribué aux enseignants, ils vont devoir utiliser les ordinateurs des lycées si leur connexion n'est pas suffisante à leur domicile. Mais on sait bien qu'ils ne sont pas toujours en nombre suffisant ni en bon état de marche. Et puis la connexion de l'établissement sera-t-elle assez bonne?" 

Les croquis mal scannés?

Jean-Rémi Girard craint par ailleurs que la numérisation des copies ne soit pas adaptée au format des épreuves.

"Certains collègues nous signalent que les crayons de couleur passent mal au scan. Or, en histoire-géographie, les élèves peuvent être amenés à faire un croquis. Je sais que dans certains établissements, le premier choix de sujet a été abandonné afin d'être certain que les copies des élèves ne rencontrent pas ce type de problème."

Ce que dément le ministère qui assure que "comme l'ensemble de la copie, cette carte sera numérisée en couleurs et corrigée", en publiant un exemple de croquis numérisé. Pourtant, le document "mode d'emploi" des E3C adressé aux lycéens précise qu'il est "important d'écrire à l'encre foncée, de ne pas utiliser de stylo à bille à encre effaçable et d'éviter le blanc correcteur". C'est pour cela que Jean-Rémi Girard, du Snalc, appelle le ministère à revoir ses consignes et à donner la possibilité à tous les établissements de corriger sur papier.

"Numériser des copies pour ensuite les stocker dans une salle du lycée, faire corriger les scans par les enseignants de l'établissement alors que nous ne sommes par certains de la qualité et que les copies sont disponibles, est-ce vraiment la priorité? D'autant que sur papier, les élèves les récupéreraient plus facilement. La réforme est déjà compliquée, ajouter à cela la numérisation de toutes les copies ajoute une difficulté qui n'est pas nécessaire."
Céline Hussonnois-Alaya