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Comment les profs d'histoire-géo parlent de la guerre en Ukraine à leurs élèves

Image d'illustration d'enfants dans un collège -

Image d'illustration d'enfants dans un collège - - Jeff Pachoud

Sur les bancs des collèges et lycées français, la guerre en Ukraine est devenue un sujet incontournable ces dernières semaines. Des professeurs du second degré expliquent à BFMTV.com comment ils s'y sont prennent pour répondre au mieux aux questions de leurs élèves.

"Qu'est-ce que l'Otan?", "la France peut-elle s'engager militairement?", "le risque nucléaire est-il réel?". Au lycée comme au collège, la guerre en Ukraine s'invite inévitablement dans les salles de classe ces dernières semaines. Depuis le début de l'offensive russe le 24 février, les enseignants du second degré - et en particulier les professeurs d'histoire-géographie - se retrouvent parfois face à un flot d'interrogations auxquelles il n'est pas toujours évident de répondre.

"Au retour des vacances, j'ai trouvé mes classes de première et de terminale particulièrement intéressées", confirme à BFMTV.com Christine Guimonnet, secrétaire générale de l’association des professeurs d’histoire-géographie (APHG), et professeure dans un lycée de Pontoise (Val d'Oise).

"On sentait que ça touchait à l'actualité immédiate, ils m'ont fait part de leurs inquiétudes et on en a parlé toute l'heure."

Des "profs d'actualité"

"Avec mes élèves de troisième, j'avais justement prévu de commencer le chapitre sur la Guerre froide à la rentrée", raconte de son côté Amélie Hart, professeure d'histoire-géographie dans un collège rural de Côte-d'Or, à BFMTV.com.

Pour elle, le lien entre l'actualité et son cours était tout trouvé. "Je leur ai dit d'emblée: 'vous allez voir, le chapitre que l'on va aborder va vous permettre de comprendre ce qui se passe en ce moment en Ukraine', puis je leur ai demandé de coucher toutes leurs questions sur papier" afin de pouvoir y répondre convenablement au cours suivant.

"Les professeurs d'histoire-géo sont habitués à répondre à des questions sur ce qui se passe dans le monde, à être des sortes de profs d'actualité", sourit Amélie Hart, qui se réjouit que ses collégiens soient curieux.

"Ça permet de donner du sens à ce qu'ils apprennent, ils se rendent enfin compte de l'intérêt de la matière pour leur vie actuelle, pour comprendre le monde qui les entoure."

La différence, cette fois, c'est que "ce qui était une possibilité est devenu un événement historique", explique à BFMTV.com Thibaut Poirot, qui exerce dans un lycée d'Epernay (Marne). "Ça a fait voler en éclats un certain nombre de nos certitudes. Dans nos programmes, nous avions par exemple l'habitude d'enseigner aux élèves que les guerres entre États se raréfiaient et qu'on faisait aujourd'hui davantage face à des guerres à l'intérieur des États... Bon... Ce sont des choses que nous devons aujourd'hui nuancer et expliquer."

Inscrire les faits dans une perspective historique

Cartes, croquis, infographies, vidéos, articles spécialisés... Depuis début mars, de nombreuses ressources à destination des professeurs ont été mises en ligne sur le site de l'Éducation nationale, Eduscol. L'APHG a par ailleurs demandé début mars à Thibault Poirot, professeur agrégé spécialisé dans les questions de défense, d'écrire un texte contenant quelques pistes d'intervention.

"Personnellement, j'ai pris le parti pris, et je l'assume, de faire un cours magistral à l'ancienne dans un premier temps, avant de les laisser me poser des questions", raconte ce dernier.

"Je trouvais important qu'il y ait ce temps où le prof parle pour ressituer les faits. C'était important qu'ils soient conscients de la gravité du moment, mais je crois pouvoir dire que c'était le cas: il y avait un silence rare dans la salle".

Concrètement, Thibault Poirot conseille à ses collègues de remettre les faits dans une perspective historique: "il est incontournable" de "revenir sur l’indépendance ukrainienne à la suite de la dislocation de l’URSS", écrit-il, d'utiliser "la date-césure de 1991" comme porte d’entrée, puis expliquer ensuite en quoi "la révolution orange" a représenté le premier éloignement de l'Ukraine à l'égard de la Russie.

"Cette première crise ukrainienne illustre la panoplie des pressions russes, parallèle à la consolidation du pouvoir de Vladimir Poutine."

Par la suite, le professeur peut alors dérouler les évènements survenus en 2014, de la révolution de Maïdan à l'annexion de la Crimée, sans oublier la guerre dans le Donbass.

Un peu tôt pour évoquer le "monde d'après"

Dans un deuxième temps, le spécialiste recommande d'expliquer aux élèves la notion de "haute intensité": à savoir les frappes multiples, l'utilisation massive de blindés, en s’appuyant "sur une chronologie simple des événements qui ont eu lieu depuis l’hiver 2021 en Ukraine".

"Le renforcement progressif des forces russes, la justification 'historique' de Vladimir Poutine et ses exigences de 'démilitarisation' et 'dénazification' de l’Ukraine", détaille-t-il.

Selon lui, "donner des réponses aux élèves sur le 'monde d’après' n’a pas grand sens, tant que des opérations militaires sont en cours" et "les développements économiques (pétrole, gaz, blé) semblent également incertains, tant que le régime des sanctions américaines et européennes n’est pas pleinement connu".

"Il semble toutefois opportun", ajoute le spécialiste, "de rappeler les différents engagements de la France: posture de dissuasion (un sous-marin nucléaire lanceur d’engins de manière permanente à la mer, forces aériennes) ainsi que son engagement dans l’Otan".

Enseigner la notion de "guerre de l'information"

Par ailleurs, les professeurs s'accordent à dire que ce travail de contextualisation est indissociable d'un travail de réception et de mise à distance de l'information, surtout à l'heure où une véritable "guerre de l'information" a débuté, envahissant les smartphones des élèves. "C'est délicat aujourd'hui car on est dans de l'immédiateté, et qu'aujourd'hui les adolescents reçoivent les informations en masse", explique Amélie Hart. "Beaucoup s'informent sur des réseaux comme Tiktok ou Youtube où les informations ne sont pas vérifiées".

"Les élèves sont, comme membres de toutes les sociétés occidentales, des cœurs de cible dans le cadre de la guerre informationnelle", insiste Thibaut Poirot.

"Leur enseigner quelles armes médiatiques en France sont à la disposition de la Russie est essentiel" et "l’effet de sidération d’une 'guerre des réseaux', y compris dans les réseaux les plus ludiques pour les adolescents, ne doit pas être négligé".

"Il est crucial de leur rappeler que comme dans chaque guerre, il y a deux camps et que de fait, plusieurs points de vue qui s'affrontent", abonde Christine Guimonnet. Dans son établissement, le documentaliste a ainsi décidé d'organiser une séance d'éducation aux médias, au cours de laquelle il compte apprendre aux élèves comment repérer une information fiable et comment la distinguer d'une théorie du complot.

Enfin, les professeurs s'accordent à dire qu'il convient de faire preuve de mesure dans ses propos, et de "prêter attention à leur sensibilité d'adolescents", selon les mots d'Amélie Hart. "D'habitude, je suis quelqu'un qui aime bien avoir une note d'humour pendant mes cours mais là je pense qu'il faut se souvenir qu'on est face à des ados qui peuvent avoir de vraies angoisses et éviter toute ironie, tout humour noir comme on peut avoir tendance à en faire entre adultes."

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV