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Ces profs qui ne parviennent pas à quitter l'enseignement

Un enfant en train de lever la main dans une salle de classe d'une école parisienne (photo d'illustration)

Un enfant en train de lever la main dans une salle de classe d'une école parisienne (photo d'illustration) - FRED DUFOUR / AFP

Les académies refusent parfois que les professeurs qui souhaitent quitter l'enseignement s'en aillent. Avec des situations parfois ubuesques.

"L'Éducation nationale a mis près de deux ans à accepter mon départ." Après avoir passé le concours de professeur des écoles et enseigné durant seize ans, Maxime souhaite se reconvertir. "Je voulais faire autre chose et j'avais des problèmes de santé", explique-t-il à BFMTV.com. "Physiquement, ça devenait trop compliqué de faire classe, surtout avec des maternelles."

Il met au point un projet, identifie une formation dans l'informatique afin de devenir développeur. Mais sa demande de rupture conventionnelle - autorisée depuis 2020 pour les enseignants titulaires et permettant de bénéficier d'une indemnité de départ volontaire - est refusée en 2021. Ses différents recours sont rejetés. Maxime le vit très mal.

"Je voulais partir et on m'en empêchait. Je ne comprenais pas qu'on veuille absolument mettre devant une trentaine d'élèves quelqu'un qui ne voulait plus enseigner. Psychologiquement, c'était difficile."

Après un an de congé longue maladie, sa demande est finalement acceptée. "Mais c'est absurde, c'est douze mois de salaire perdus pour l'Éducation nationale et un an de perdu pour moi."

2411 départs volontaires

Des situations comme celle-ci, Rémi Boyer en rencontre souvent. Le président de l'association Aide aux profs s'est spécialisé dans l'accompagnement des enseignants qui souhaitent se réorienter. Il en accompagne d'ailleurs actuellement plusieurs dans différentes académies.

"Qu'on ne s'étonne pas que le métier n'attire plus", s'indigne-t-il pour BFMTV.com. "On ne prévient pas les enseignants, au moment du concours, qu'ils seront bloqués si un jour ils veulent partir."

Si la part de départs volontaires reste largement minoritaire (quelque 0,32% des professeurs) elle est cependant en forte augmentation. Comme le pointe le bilan social 2020-2021 du ministère, le taux de démission a régulièrement augmenté depuis 2009. En une douzaine d'année, les départs volontaires ont ainsi été multipliés par six.

Pour l'année 2020-2021, le ministère de l'Éducation nationale a ainsi enregistré 1584 démissions et 827 ruptures conventionnelles. "Rapporté aux effectifs (soit 892.300 enseignants), c'est un phénomène mesuré, voire marginal", répond le ministère à BFMTV.com.

"Il leur manque des raisons de rester"

Un nombre "loin d'être anodin", selon un rapport du Sénat et à mettre en regard avec la crise des vocations pour l'enseignement. Les démissions dans le premier degré représentent ainsi "l'équivalent de 15% des admis aux concours de professeur d'école en 2021", pointe le Sénat.

La cause: la dégradation des conditions de travail, analyse Sandrine Garcia, professeure de sociologie à l'université de Bourgogne. Elle cite la hausse du nombre d'élèves par classe, le difficile suivi des élèves à besoin particulier, les AVS et AESH qui font défaut et le manque de moyens supplémentaires.

"À l'austérité budgétaire s'ajoutent de nouvelles missions", pointe pour BFMTV.com Sandrine Garcia, également auteure de Enseignants, de la vocation au désenchantement. "Les enseignants ont des objectifs impossibles à atteindre."

"On les empêche de bien faire leur travail."

Avec pour conséquence une baisse de leur satisfaction, dénonce encore cette universitaire, spécialiste des sciences de l'éducation. "Faire progresser leurs élèves, c'est le motif principal de satisfaction des enseignants, comme un médecin de guérir ses patients. Pas de faire leurs heures." Avec la perte de pouvoir d'achat - entre 15 et 25% de rémunération au cours des vingt dernières années, selon un rapport du Sénat - et le sentiment de mépris pour la profession, "il leur manque des raisons de rester".

"Je ne sais pas si mon dossier a été examiné"

Alexandra est quant à elle toujours dans le flou concernant son avenir. Après dix-neuf années comme professeure des écoles, elle a officiellement formulé sa demande de rupture conventionnelle en janvier dernier afin de devenir sophrologue. Si elle a été reçue un mois plus tard par la DRH de son académie lors de l'entretien prévu à cet effet, elle n'a encore reçue aucune réponse.

"Je ne sais toujours pas si mon dossier a été examiné, si ma demande a été acceptée ou refusée", s'alarme-t-elle pour BFMTV.com.

Elle assure que son dossier était complet - "j'avais même fourni un business plan" - mais on lui a tout de même demandé des précisions, notamment sur sa clientèle à venir. "J'ai eu l'impression qu'ils cherchaient un prétexte pour refuser ma demande."

Alexandra, qui ne se voyait pas entamer une nouvelle année scolaire début septembre, est en arrêt maladie depuis la rentrée. "Je ne me sens pas en capacité de reprendre la classe." Et compte faire prolonger son arrêt. Son mari ayant par ailleurs été muté dans une autre région, elle a déménagé - elle en avait préalablement informé le rectorat et l'avait indiqué dans son dossier.

Une démission qui doit être acceptée

Malgré cette absence de réponse, elle n'envisage pas de démissionner - "c'est un combat de titans mais la rupture conventionnelle est un droit", estime-t-elle. Pourtant, même s'il s'agissait d'une démission, il ne serait pas garanti qu'elle l'obtienne. Car comme le rappelle Service public, l'accord de l'administration est nécessaire pour qu'un fonctionnaire puisse démissionner. "Le fonctionnaire ne peut effectivement quitter son service qu'à condition que sa démission soit acceptée."

"Beaucoup de personnes ignorent qu'on peut nous empêcher de quitter l'Éducation nationale", pointe pour BFMTV.com William Lafleur, ancien professeur d'anglais et auteur de L'ex-plus beau métier du monde: l'état des lieux inquiétant de l'Éducation nationale.

"L'enseignant que je remplaçais avait fait un abandon de poste après le refus de sa démission. Quand j'ai écrit ma lettre de démission, j'ai prévenu que je ne serai pas là à la rentrée."

Lui-même a démissionné après que sa demande de rupture conventionnelle a été refusée pour "nécessité de service". Ce n'est pas le cas d'Olivia, professeure d'espagnol depuis douze ans, qui a formulé une demande de démission au mois de mai dernier. Malgré cinq courriers en recommandé adressés au recteur, son directeur de cabinet, le secrétaire général de l'académie ainsi que le ministre, elle n'a toujours reçu aucune réponse.

Combien de démissions et de ruptures conventionnelles sont-elles refusées chaque année? Le ministère assure ne pas disposer de ces données. Mais précise que dans le cas d'une démission, "normalement, c'est accepté" et ajoute ne pas avoir de remontées sur les refus. Quant à la rupture conventionnelle, une note de cadrage du ministère stipule qu'elle ne peut être imposée par l'une des deux parties et "ne constitue en aucun cas un droit". Parmi les conditions d'examen de la demande: "la rareté de la ressource" - c'est-à-dire si le demandeur occupe un emploi en tension - "l'ancienneté dans la fonction" et "la sécurisation du parcours professionnel".

"J'étais coincée"

En disponibilité depuis l'année dernière, Olivia a réussi à la faire prolonger d'un an. Mais pas question pour cette enseignante de reprendre son poste en septembre 2024. "Je travaillais dans deux collèges à Paris, la matinée dans l'un, l'après-midi dans l'autre. Je n'arrêtais pas de courir. Tout ça pour vivre dans 14m2 faute d'avoir plus de moyens. À 40 ans, j'en ai eu marre."

La quadragénaire aurait bien souhaité changer d'académie - notamment pour partir dans celle de Poitiers et se rapprocher de sa mère malade. "Mais il aurait fallu 650 points. Je ne suis pas mariée, je n'ai pas d'enfant, je ne cumulais pas assez de points."

"J'étais coincée, condamnée à rester à Paris. La mutation n'étant pas possible, j'ai démissionné."

Depuis son arrivée en Charente-Maritime, elle a été contactée par des établissements du secondaire. Mais elle a dû renoncer à son ancien métier. "Quand on est en disponibilité, on n'a pas le droit de travailler dans un établissement public ou privé sous contrat."

"On verra dans un an"

Une situation qu'elle juge "absurde" alors que le secteur souffre d'une pénurie. Selon le Snes-Fsu, le premier syndicat des enseignants du secondaire, il manque au moins un professeur dans près d'un collège et lycée sur deux.

Une absence de réponse qui n'étonne pas Guislaine David, co-secrétaire générale et porte-parole du Snuipp-FSU, le premier syndicat enseignant du premier degré. "L'administration essaie de retenir ses enseignants, ce n'est pas nouveau", pointe-t-elle pour BFMTV.com.

Elle assure que face à ce type de demandes, les directeurs académiques des services de l'Éducation nationale (Dasen) réagiraient souvent en proposant un aménagement de poste ou un changement d'établissement. "On dit aussi aux enseignants qui souhaitent partir: 'prenez une disponibilité et on verra dans un an'."

"Les rectorats peuvent parfois jouer la montre pour garder les profs un ou deux mois de plus", abonde pour BFMTV.com Sophie Vénétitay, secrétaire générale du Snes-FSU, . Mais pour Rémi Boyer de l'association Aide aux profs, "c'est inacceptable d'empêcher quelqu'un de partir".

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV