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"Certains abusent les parents": l'association Montessori veut lutter contre des "dérives"

Un élève lors de la rentrée des classes dans une école primaire de Bordeaux (Gironde), le 1er septembre 2016.

Un élève lors de la rentrée des classes dans une école primaire de Bordeaux (Gironde), le 1er septembre 2016. - MEHDI FEDOUACH / AFP

Le nom de Montessori usurpé, des éducateurs mal formés, des parents inquiets: l'Association Montessori de France veut remettre de l'ordre dans les établissements qui se réclament de cette pédagogie alternative.

En CE1, la fille de Lucas* ne "savait toujours pas lire". Ce père de famille l'avait scolarisée lors de son entrée au CP dans une école parisienne, présentée comme bilingue et Montessori. "J'ai alerté les éducatrices dès le CP, qui m'ont répondu que tout était normal, qu'elles attendaient le 'déclic' de ma fille", raconte-t-il à BFMTV.com.

Dans cet établissement privé hors contrat, et donc indépendant des programmes définis par le ministère de l'Éducation nationale - bien que devant permettre aux enfants d'acquérir les connaissances du socle commun - Lucas affirme n'avoir pu consulter ni cahier, travaux, notes ou relevé de compétences de sa fille.

"Les enfants allaient et sortaient de l'école les mains dans les poches", résume-t-il.

Ce père assure avoir pourtant demandé des évaluations plus régulières - "on m'a dit que c'était une fois par an, en juillet". Quant à l'anglais, "c'était un peu une blague", ajoute-t-il: "On ne peut pas dire qu'il y ait eu un résultat quelconque, elle ne savait absolument rien."

"Comme si elle avait été déscolarisée"

Au cours du premier trimestre de CE1, la famille déménage. La fillette intègre en cours d'année l'école publique de secteur, où elle est évaluée à son arrivée. "Je savais que ma fille avait du retard scolaire mais je n'imaginais pas à ce point", poursuit Lucas.

"Les enseignantes m'ont dit que c'est comme si elle avait été déscolarisée pendant un an. Pour elles, il y avait eu zéro apprentissage."

Son année de CE1 dans ce nouvel établissement se passe mal, la fillette doit redoubler. "Il a fallu reprendre la lecture depuis le début", explique son père. "En mathématiques et en écriture aussi c'était très faible. Elle ne pouvait pas suivre avec les autres." "J'ai payé 10.000 euros par an et ce n'est même pas qu'il n'y a pas eu de résultat", dénonce-t-il. "C'est pire, ma fille a pris du retard."

Jouets, meubles, vêtements Montessori

Si la France compte 400 écoles dites Montessori, seules 170 sont adhérentes à l'Association Montessori de France (AMF) et 25 sont "chartées", c'est-à-dire que l'AMF les a auditées - une fois tous les trois ans - pour vérifier qu'elles appliquent à la lettre la charte Montessori.

Coût d'un audit initial: entre 1100 et 1200 euros, à la charge de l'école. "Le but, ce n'est pas de gagner de l'argent mais que la communauté Montessori grandisse au mieux", assure à BFMTV.com Nadia Hamidi, présidente de l'AMF.

L'école où la fille de Lucas était scolarisée n'avait pas engagé cette démarche. "Il y a plein de structures qui se disent Montessori mais qui n'utilisent pas le matériel certifié AMI (Association Montessori internationale, NDLR), dont le personnel n'est pas diplômé par l'Institut supérieur Maria Montessori (seul centre de formation agréé par l'AMI, la formation est longue - plus de 600 heures de cours réparties sur plusieurs mois - mais coûte plus de 10.000 euros, NDLR) ou n'appliquent pas tous les principes", met en garde Nadia Hamidi, également directrice de l'École Montessori internationale de Nice.

"Ce n'est pas parce que c'est écrit Montessori que c'est du Montessori", prévient-elle. Mais ajoute: "de nombreuses écoles Montessori appliquent la méthode avec rigueur, les parents sont satisfaits et les enfants heureux."

Car Maria Montessori, cette médecin et pédagogue italienne qui a développé au début du XXe siècle cette méthode qui prône l'autonomie de l'enfant, n'a jamais protégé son nom. Il n'y a donc aucun label et quiconque peut utiliser son nom. C'est comme cela que l'on trouve des vêtements, meubles, jouets, accessoires et écoles qui n'ont de Montessori que le nom.

Des "dérives" et des "arnaques"?

"Il y a beaucoup de dérives", reconnaît Nadia Hamidi. "Ce n'est pas honnête. Ce n'est pas parce qu'un jouet est en bois qu'il est Montessori", ajoute-t-elle, s'indignant notamment d'une récente paire de chaussures à scratch vendues avec l'appellation Montessori. La présidente de l'AMF y voit même une forme "d'arnaque".

"Certains surfent sur une vague commerciale pour abuser les parents."

Ce que confirme Françoise Carraud, maîtresse de conférences en sciences de l'éducation à l'Université Lumière-Lyon 2. "Il y a un phénomène de mode Montessori depuis une dizaine d'années, c'est devenu un marché", analyse-t-elle pour BFMTV.com.

Contactée par BFMTV.com, la directrice de l'école où était scolarisée la fille de Lucas reconnaît que cette dernière avait des difficultés dans l'apprentissage de la lecture mais ajoute que l'enfant avait de l'avance dans d'autres disciplines.

Même si elle n'est pas "chartée", elle met en avant la pédagogie Montessori, qui prône un apprentissage au rythme de chaque enfant selon un cycle sur trois ans - CP, CE1, CE2. "Je suis certaine qu'en fin de CE2, cette petite fille aurait été au niveau", répond-elle. La directrice précise être en lien avec toutes les familles d'enfants scolarisés dans son école et que ceux qui ont ensuite intégré le public n'ont eu "aucun souci".

"Ils se sont très bien adaptés", assure-t-elle. "Une famille m'a même dit que leur fils, du fait de son très bon niveau, s'ennuyait en mathématiques."

Un label Montessori pour les crèches

L'AMF s'inquiète aussi du développement des crèches estampillées Montessori. L'association dénonce là encore des "abus": seule une dizaine d'établissements d'accueil du jeune enfant est officiellement adhérente à l'association et aucune n'est "chartée".

Julien Mendez, le directeur général de l'Institut supérieur Maria Montessori, va prochainement lancer le label "crèche Montessori de France", délivré par l'association après contrôle des structures sur place et vérification du respect d'un cahier des charges. "Cela permettra de différencier les crèches qui respectent vraiment la philosophie Montessori", explique-t-il. "Mais l'idée, c'est aussi d'inciter les autres à s'améliorer."

Dans le même temps, l'Institut est en train en train de créer un réseau de crèches Montessori, avec trois ouvertures prévues dans les prochaines années en Île-de-France.

"Les crèches ne sont pas de simples modes de garde mais des lieux d'éducation", défend-il. "On y appliquera vraiment la pédagogie Montessori avec des personnels formés par notre institut et des locaux pensés pour le mouvement, l'autonomie, le développement de l'enfant."

L'AMF souhaite elle aussi "remettre du cadre" en incitant les écoles à respecter la charte. Son objectif: parvenir à un taux de 80% d'écoles certifiées Montessori. Dans le cas contraire, Nadia Hamidi souhaiterait que l'établissement précise n'être que "d'inspiration" ou "d'influence" Montessori.

"Ça a été une grosse erreur"

Le fils d'Amira Jourdain a été scolarisé de la moyenne section de maternelle au CE1 dans une école dite Montessori des Hauts-de-Seine. "On pensait bien faire pour notre fils, on est tombé de haut", regrette-t-elle. Lui aussi "a fini son année de CE1 en sachant à peine lire", témoigne la mère.

Dès le CP, la famille du petit garçon s'inquiète, constatant des problèmes dans ses apprentissages. "On en a parlé à l'école, qui nous a répondu que tout allait bien, qu'il n'avait pas de difficulté, qu'il se passionnait pour les plantes et les étoiles et que chaque enfant évoluait à son rythme." Mais en milieu de CE1, toujours aucun progrès.

Lors d'un nouveau rendez-vous sollicité par les parents, l'école évoque cette fois-ci des retards pour le petit garçon et recommande à la famille de consulter un orthophoniste.

"Mais l'orthophoniste a conclu qu'il n'avait aucun problème! Le seul souci était d'ordre pédagogique", pointe la mère de l'enfant.

Aujourd'hui, le fils d'Amira Jourdain est scolarisé en CM2 dans une école publique. "Mais il a encore des lacunes", déplore-t-elle, malgré les week-ends et vacances passés à essayer de rattraper le retard. "Lire une phrase complète lui coûte beaucoup, on n'est toujours pas sorti d'affaire".

"On a dépensé énormément d'argent pour cette école. On pensait offrir à notre fils le meilleur, et en fait, on l'a pénalisé. Ça a été une grosse erreur."

Une méthode comme une autre?

Le problème viendrait-il de la pédagogie proposée? La chercheuse spécialiste des questions d'éducation Françoise Carraud, qui a enquêté sur ces écoles, est formelle: la pédagogie Montessori offre une scolarité "normale" et assure les apprentissages attendus. "Cette méthode a fait ses preuves", affirme-t-elle à BFMTV.com. Mais ajoute qu'elle n'est "pas supérieure à une autre".

"En réalité, aucune méthode n'est supérieure à une autre. Ce qui compte, c'est la relation enseignant-élève, la gestion du groupe et de chacun en même temps."

Cette universitaire émet tout de même quelques réserves. "Ce qui me pose question en tant que pédagogue, c'est le côté individuel de cette pédagogie." Et explique: dans cette pédagogie et dans les écoles qui l'appliquent, l'enfant choisit lui-même son activité - sur plateaux, chaque plateau correspondant à une compétence. L'enseignant montre à l'enfant comment procéder puis l'élève reproduit.

"C'est intéressant mais cela présente des limites. On ne peut pas tout faire comme ça, toute la journée avec tous les enfants."

Pour certains, retour à l'école publique

La fille de Rose-Marie* a passé ses deux premières années de maternelle dans une école Montessori parisienne non chartée. "Nous avons été séduits par le projet pédagogique", confie-t-elle pour BFMTV.com. Mais la deuxième année s'est avérée "plus chaotique".

"Ce que notre fille faisait de ses journées n'était pas hyper clair, il y avait quelque chose d'opaque", raconte la mère. "D'après ce qu'elle nous disait, elle faisait toujours la même chose: elle jouait avec une petite ferme, classait les animaux. À partir du moment où on s'est posé la question de ce qui se passait vraiment, on a décidé d'arrêter là."

Si Rose-Marie se dit ouverte aux pédagogies alternatives et soutient qu'il y a eu "autant de choses positives que négatives" durant ses deux années scolaires, elle a préféré rescolariser sa fille dans une école publique.

* Les prénoms ont été modifiés, à la demande des intéressés.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV