BFMTV
Société

"Dépassé", "ringard", "casseur d'ambiance"... Le slow est-il définitivement passé de mode?

Des couples dansent un slow à la soirée de la nostalgie, une fête organisée à Montevideo, en Uruguay, en 2009 (photo d'illustration)

Des couples dansent un slow à la soirée de la nostalgie, une fête organisée à Montevideo, en Uruguay, en 2009 (photo d'illustration) - Miguel Rojo/AFP

Chéri dans les années 1980-1990, le slow a disparu des pistes de danse. Ringard pour certains, il représentait pourtant un moment-clé dans l'apprentissage de la sensualité, estiment d'autres.

Dans les discothèques, actuellement fermées en raison de la situation sanitaire, la soirée du 31 décembre fait habituellement figure d'exception. "Ça doit faire une dizaine d'années qu'il n'y a plus de slow en boîte de nuit, sauf lors de la Saint-Sylvestre", fait remarquer à BFMTV.com Thierry Fontaine, le président du département nuit de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), propriétaire de deux établissements de nuit à Lyon.

"C'était le moment où on pouvait faire des rencontres. Mais aujourd'hui, le slow est perçu comme quelque chose de dépassé, de ringard."

Le chanteur Julien Doré, connu pour son goût du mélange des genres - certains pourraient même dire du kitsch - s'en est amusé dans un tuto vidéo où il distillait ses conseils pour apprendre à le danser.

Dorénavant, dans les clubs, les clients réclament davantage les tubes de Jul que des chansons d'amour, résume Thierry Fontaine. "C'en est même devenu une blague entre DJ", s'en amuse le DJ et producteur Danny Wild auprès de BFMTV.com.

"Les jeunes me regardent avec des yeux ronds"

Ce professionnel de la nuit se rappelle que dans les années 1980-1990, les DJ passaient des séries de slows, à raison de plusieurs chansons d'affilée. Mais la pratique a commencé à tomber en désuétude dans le courant des années 2000 pour finalement complètement disparaître. À l'exception de certaines soirées spéciales, comme la soirée 80 Story qu'il organise chaque week-end un peu partout en France. "Je mets toujours un slow, un seul, pour finir la soirée", explique Danny Wild:

"En général, je fais une annonce au micro pour expliquer que je vais passer un slow, que c'était une danse qui était en vogue dans les années 1990, que les hommes peuvent inviter les femmes à danser et qu'ils n'ont que quelques minutes pour le faire."

"Ça parle tout de suite aux plus âgés, quadra, quinqua, ça leur rappelle leur jeunesse." Quant aux plus jeunes, c'est parfois pour eux une découverte. "Ils me regardent avec des yeux ronds", raconte Danny Wild. "Ils n'ont jamais dansé de slow de leur vie ou n'en ont vu qu'à la télé." Parfois, ils en rient - entre étonnement, surprise et gêne. "Et puis en fait, ça fonctionne toujours."

De Robert Redford à Edward Cullen

Chez les jeunes générations, le slow est en effet bel et bien passé de mode. Ce que confirme une organisatrice de soirées adolescentes réservées aux 13-17 ans. "Il n'y a pas du tout de slow dans nos soirées (mises en pause en ce moment du fait du contexte sanitaire, NDLR). Les jeunes chantent, dansent, crient, c'est de la musique non stop." Une ambiance "très joyeuse et dynamique'", assure-t-on, ajoutant même que "le slow casserait l'ambiance".

"Le slow ne se pratique plus chez les jeunes", confirme Christophe Apprill, danseur, sociologue et auteur de Slow: désir et désillusion. "Mais paradoxalement, il y a tout un environnement iconographique, notamment cinématographique, qui entretient une imagerie autour du slow", observe-t-il pour BFMTV.com.

Comme les célèbres scènes de slow entre Robert Redford et Kristin Scott Thomas dans L'Homme qui murmurait à l'oreille des chevaux, Keanu Reeves et Sandra Bullock dans Entre deux rives ou encore - un peu plus récemment - les chastes adolescents Edward Cullen et Bella Swan dans Twilight, chapitre 1: fascination.

"Quand on parle de la bourrée, de la scottish ou du foxtrot, ce n'est pas forcément très net pour les jeunes. Mais quand on parle du slow, même s'ils ne l'ont jamais pratiqué, ça leur évoque tout de suite quelque chose", poursuit Christophe Apprill.

Dans les années 1980-1990, le slow, descendant du castle foxtrot - une danse de couple américaine relativement lente - et mis en scène depuis les années 1950 sur les plateaux de télévision américains, est à son apogée. On s'enlace sur I Don't Want to Miss a Thing d'Aerosmith, I Will Always Love You par Whitney Houston ou encore Truly Madly Deeply de Savage Garden.

"Mes premiers émois amoureux"

Popularisé par des films comme La Boum ou Dirty Dancing, le slow est alors à la séduction ce que les sites de rencontre sont aujourd'hui à l'amour: un passage obligé. Ce dont témoigne Claire, une Parisienne de 37 ans.

"Je ne vivais que pour ces slows", se souvient-elle avec émotion et amusement. "J'en rêvais! Dès mes premières années au collège, je n'attendais qu'une chose: être invitée à une boum et danser des slows avec des garçons, de préférence qui me plaisaient."

Pour le sociologue Christophe Apprill, également auteur des Mondes du bal, le slow relevait ainsi d'un éveil à la sensualité, voire à la sexualité. "C'était un rite de passage avec l'expérience des premières fois." La première intimité partagée, le premier rapprochement avec le corps d'un autre - son odeur, sa peau et ses cheveux - et le premier baiser.

"Je me souviens que certains garçons n'osaient à peine toucher les filles ou se rapprocher", raconte Claire. "D'autres, au contraire - et c'est ce que je préférais -, nous serraient fort contre eux et tournaient très lentement. C'étaient mes premiers émois amoureux. J'adorais ça!" Un regret tout de même pour cette femme, aujourd'hui mariée et mère de famille: aucun de ses slows, au collège comme au lycée, n'a jamais débouché sur un flirt.

Des rituels qui permettaient à l'adolescent "de se construire en dehors du contact physique de ses parents", remarque Christophe Apprill. Et un moment d'autant plus important qu'il offrait "une reconnaissance devant le groupe des pairs". C'est précisément ce dont se remémore Maïlys, une comédienne de 36 ans. Pour elle aussi à l'époque, les slows, "c'était le gros truc" de ses années adolescentes.

"C'était le moment que tout le monde attendait implicitement lors des boums. Et on avait tous un peu la pression: qui allait inviter qui, qui allait embrasser qui. Socialement, si on arrivait à concrétiser sur un slow, c'était la consécration totale."

Un "moment d'éveil sensuel" dépassé?

Mais à l'entrée du XXIe siècle, le slow est boudé. Pourquoi? Le sociologue Christophe Apprill évoque l'absence de compétitions internationales mais surtout la montée en puissance du numérique, avec des mutations profondes de la société, notamment dans le champ de la séduction. D'après lui, l'apparition et le développement des sites et applications de rencontre ont marchandisé la rencontre amoureuse alors que "le slow, c'est tout le contraire".

"Ça a complètement transformé la manière dont on se rencontrait en mettant en scène la valeur de chacun sur le marché du sexe", pointe-t-il encore. "Le slow, qui était de l'ordre du désir, n'était plus du tout adapté à ce nouveau marché qui s'est mis à faire la promotion de la jouissance."

Pour les jeunes, Christophe Apprill craint ainsi que ce "moment d'éveil sensuel" ne se fasse plus sur la piste de danse mais sur d'autres terrains, beaucoup plus rapidement et beaucoup plus crûment. À 12 ans, près d'un enfant sur trois a en effet déjà été exposé à de la pornographie, rappelle le ministère des Solidarités et de la santé. "Ça va forcément infléchir et imprégner leur rapport à la sensualité."

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV