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Société

De la difficulté de compter les gilets jaunes

Plusieurs déclarations de manifestation ont été déposées à Paris.

Plusieurs déclarations de manifestation ont été déposées à Paris. - Lucas Barioulet - AFP

Depuis le début de la mobilisation, les gilets jaunes s'insurgent contre le comptage pratiqué lors des manifestations. Mais la nature particulière du mouvement rend difficile la publication de chiffres précis.

"Évidemment ils ne donneront pas les bons chiffres" : dispersé sur toute la France et très mobile lors des manifestations, le mouvement des gilets jaunes est soumis, faute d'organisateurs, au seul comptage du ministère de l'Intérieur, ce qui renforce le sentiment de défiance à l'égard des autorités. "J'ai joué la transparence systématiquement", a pourtant assuré vendredi le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, interviewé lors d'un Facebook live mené par un journaliste de Brut.

Avant l'évacuation systématique des ronds-points par les forces de l'ordre dans la foulée des annonces du président Macron le 10 décembre, le comptage était fait rond-point par rond-point par les services de police, a indiqué le ministre. Chaque préfet faisait ensuite remonter les informations à la cellule de crise place Beauvau qui faisait une synthèse nationale.

"Jamais trafiqué"

"Ce chiffre n'a jamais été trafiqué, tronqué", a assuré Christophe Castaner. 

Lors des manifestations chaque samedi depuis près de deux mois, le ministère communique parfois des chiffres à plusieurs heures de la journée en les comparant à ceux de la semaine précédente, plus ou moins à la même heure, parfois il attend plusieurs jours pour fournir un chiffre global.

Autre cas de figure: les chiffres annoncés sont parfois révisés une semaine après. Ce fut le cas pour l'acte 2, le 24 novembre: le chiffre de 106.000 manifestants annoncé a été révisé une semaine plus tard à 166.000, une annonce faite à l'issue de l'acte 3 qui avait réuni selon le ministère 136.000 gilets jaunes en France.

Guerre des chiffres

Ces données alimentent la suspicion des gilets jaunes, un mouvement porteur de revendications protéiformes et d'un rejet massif de l'exécutif. Le 5 janvier, lors de l'acte 8, alors que des sources policières donnaient à 17h00 25.000 participants, un syndicat de police minoritaire, France police-Policiers en colère, annonçait le chiffre de 300.000 manifestants. Une information relayée sur les réseaux sociaux par les gilets jaunes accusant le gouvernement de minimiser les chiffres.

"Peut-être faudrait-il créer un Ministère de l'Extérieur. Juste histoire d'avoir les bons chiffres", twittait le lendemain une des figures des gilets jaunes, Priscillia Ludosky.

Comptage "impossible"

Lors des manifestations traditionnelles, ayant fait l'objet d'une déclaration en préfecture et dotées d'un itinéraire pré-établi, les chiffres de mobilisation sont fournis d'une part par les organisateurs (souvent des syndicats) et d'autre part par la police. Mais la particularité des gilets jaunes est cette absence revendiquée d'organisateurs, la disparité des rassemblements.

Le cabinet Occurrence a réalisé plusieurs comptages de manifestations traditionnelles pour un collectif de médias dont fait partie l'AFP. Pour le patron du cabinet, Assaël Adary, le comptage des gilets jaunes est "à l'heure actuelle impossible pour différentes raisons". Pour compter, "nous avons besoin de nous positionner en avance et en hauteur avec des capteurs, ce qui sous-entend qu'il y a une déclaration de parcours déposée en préfecture", explique-t-il à l'AFP. Or, jusqu'à présent seulement deux manifestations de gilets jaunes ont été déclarées et le parcours n'a pas été forcément suivi.

Pas de cortèges

"Pour compter, nous comptons des cortèges. Là, on n'a pas de cortège mais plutôt des personnes qui font des allers et venues, des petits pelotons. Chaque samedi nous étions prêts à compter sur les Champs-Élysées mais il n'y avait pas de cortège", souligne-t-il.

Quand aux ronds-points, la difficulté provient du fait que le nombre de personnes doit se calculer "sur une durée longue". "Si vous passez à 15h et qu'il y a 50 personnes, vous pouvez repasser à 17h, il y a toujours 50 personnes mais ce ne sont plus les mêmes", détaille Assaël Adary.

Occurrence, sollicité par des "gilets jaunes" pour "venir les compter", souligne néanmoins le risque d'être instrumentalisé.

"Lorsque nous comptons (dans une manifestation traditionnelle - ndlr), nous ne disons pas où. Si on nous dit 'venez nous compter à Bourges', le comptage deviendrait l'objet de la manifestation", souligne Assaël Adary.

Guillaume Dussourt avec AFP