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Société

Christie, 80 ans, raconte quatre années dans un "mouroir doré"

Christie Ravenne se fait la porte-parole de tous les seniors "maltraités" dans son nouveau livre.

Christie Ravenne se fait la porte-parole de tous les seniors "maltraités" dans son nouveau livre. - -

Christie Ravenne, journaliste à la retraite, a passé quatre ans dans une résidence privée pour seniors. Une solution très en vogue mais qu'elle décrit "pire que l'enfer".

Dans le quartier de Brest où elle vit aujourd'hui, les habitants surnomment son déambulateur "le bolide". "C'est parce que je le fais rouler très vite!" plaisante Christie Ravenne, 80 ans. Un détail qui en dit long sur sa franche détermination.

Pourtant, plusieurs fois, cette vieille dame à l'esprit vif a bien songé à se "faire hara-kiri". Entre 2007 et 2011, Christie a vécu dans une "résidence privée pour seniors" (lire encadré ci-contre). Un de ces lieux verdoyants sur le papier glacé des prospectus, où l'on voit un couple âgé sur un banc sourire en contemplant l'horizon, un pull noué autour du cou. Quand elle a vu ça, Christie a craqué. "J'avais 77 ans, j'étais encore en forme, j'avais des amis. Mais j'ai voulu me rapprocher de mes petits-enfants en Bretagne, alors j'ai quitté Biarritz et j'ai opté pour cette résidence vantant "le luxe, la volupté, et la convivialité des lieux".

"Des ptites mémés" en rang d'oignons

Le jour où elle visite la copropriété, de dynamiques sexagénaires dansent le madison dans le hall. Christie se réjouit d'avance de partager leur quotidien et signe dans la foulée pour deux appartements, la location de l'un servant à payer les traites des deux. Mais dès son installation, elle déchante. Les dynamiques seniors se sont volatilisés. La directrice a omis de préciser qu'ils venaient d'une association extérieure.

En revanche, dans le hall, des "ptites mémés", comme elle les surnomme affectueusement, assises en rang d'oignons, tuent le temps en silence, l'esprit plongé dans leurs souvenirs. L'hôtesse d'accueil ne supporte pas le bruit...

"Vivement que je meure"

Piégée par ses deux appartements qu'elle n'arrive pas à revendre, soupçonnant la directrice de "magouilles" avec les promoteurs, Christie va perdre en quatre ans son moral, sa santé, et son patrimoine. "En plus du loyer, on nous obligeait à payer 500 euros par mois au titre des "services" offerts par la résidence. Des services inexistants!" s'insurge la vieille dame. Pour une centaine d'appartements, la résidence n'emploie que trois personnes à plein temps: la directrice, la comptable, et l'hôtesse. Les infirmières ou les médecins qui viennent sont à la charge des résidents.

"Et dans ce genre d'endroit privé, il n'y a aucun contrôle extérieur, contrairement aux maisons de retraite. On est prisonnier de son propre domicile dans une résidence mouroir. 'Vivement que je meure', me disaient souvent mes ptites mémés, 'je me déteste de coûter si cher à mes enfants et de leur causer du souci'", se souvient Christie.

Pasionaria aux tempes blanches

Elle se fait alors la promesse de s'en sortir vivante et d'écrire un livre. "Je me disais 'Chiche!' ou 'Yes i can!' pour me donner du courage!", plaisante celle qui fut professeur dans une université américaine. Défi relevé. Dans "Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré", paru mercredi aux éditions Fayard (*), elle décrit par le menu les "petites vieilles" atteintes d'Alzheimer qui erraient dans les couloirs car elles ne retrouvaient plus leur appartement, celles que personne ne voulait changer avant la venue de l'infirmière le soir et qui croupissaient dans leurs odeurs, celles qui se laissaient mourir en ne mangeant plus, celles qui sortaient de leur appartement sur un brancard...

"Je sais que je vais donner des cauchemars à certains, mais il y en a assez de fermer les yeux sur la fin de vie que l'on offre aux gens dans ces résidences bling-bling, qui plument la santé et l'argent des personnes âgées. Aux Pays-Bas par exemple, ce genre de résidence est contrôlé par des services indépendants. En France, il faut réagir. J'en suis sortie, mais je refuse de me taire, et tant pis pour ceux que je dérange." Le troisième âge a trouvé sa pasionaria.

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(*) "Gagatorium, quatre ans dans un mouroir doré", Ed. Fayard, 17,50 euros.

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Les "résidences services", faux paradis?

Elles sont plusieurs centaines en France et connaissent un essor fulgurant. Le concept est de pouvoir louer ou acheter un appartement dans une résidence destinée à des seniors censés être autonomes. Sur le papier, la formule promet le confort et l'indépendance de son domicile, agrémentés de services variant selon les lieux: blanchisserie, restaurant, espace forme, surveillance 24h/24... Les inconvénients sont que la prise en charge médicale liée à l'âge est à la charge de chacun, contrairement aux maisons de retraite, ce qui peut vite faire grimper le prix en cas de perte de dépendance, et qu'aucun organisme ne contrôle la gestion de ces lieux.