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Ces femmes artistes spoliées, épisode 5: Gerda Taro

Une exposition consacrée à la "valise mexicaine" organisée en 2014 à Perpignan

Une exposition consacrée à la "valise mexicaine" organisée en 2014 à Perpignan - Raymond Roig-AFP

5/5. Cet été, BFMTV retrace l'histoire de cinq artistes féminines dont le travail a été volé ou attribué à un homme. Dernier épisode de la série avec la photographe Gerda Taro.

Elle est la première femme photojournaliste tuée dans l'exercice de ses fonctions. Gerda Taro, connue pour ses reportages sur la guerre d'Espagne, est longtemps restée dans l'ombre de Robert Capa, l'un des plus grands correspondant de guerre qui a fondé l'agence Magnum. C'est elle qui a contribué à lancer la carrière de Robert Capa, au détriment de la sienne.

"On dit souvent qu'elle est la première femme photojournaliste tuée dans son travail, mais ce n'est pas si sûr, pointe pour BFMTV.com Camille Ménager qui a réalisé le documentaire Sur les traces de Gerda Taro, disponible sur le site de France TV. En revanche, ce qui est certain, c'est qu'elle est de ceux, avec Robert Capa et Chim (David Seymour, un photographe cofondateur de l'agence Magnum, NDLR) à avoir inventé le photojournalisme qui n'existait pas avant eux. Ce qui a notamment été permis grâce à l'évolution technique du matériel."

Elle invente son pseudonyme

Née en 1910 en Allemagne dans une modeste famille de commerçants juifs, celle qui est née Gerta Pohorylle étudie l'art et la politique. Elle milite très jeune contre le régime nazi. Elle est d'ailleurs arrêtée pour avoir distribué des tracts et passe par la prison. Face à la montée de la répression contre les opposants politiques, elle fuit l'Allemagne et se réfugie en France.

À Paris, elle fait la connaissance d'un photographe d'origine hongroise, Endre Erno Friedmann. Elle le fait entrer dans l'agence photo pour laquelle elle travaille. Leur relation professionnelle devient amoureuse. C'est grâce à elle qu'il deviendra l'un des plus grands photographes du XXe siècle. C'est elle qui fait la promotion des clichés de son compagnon dans les journaux et c'est elle qui forge la légende.

Elle invente pour lui le personnage du photographe américain et lui donne le pseudonyme de Robert Capa. Elle prend pour elle-même celui de Gerda Taro. Tous deux suivent, comme photographes de guerre, les combats des Brigades internationales aux côtés des combattants républicains.

Sa tombe dessinée par Giacometti

Alors qu'ils signent leurs photos de leurs deux noms, Robert Capa gagne une reconnaissance international alors que le travail de Gerda Taro demeure méconnu. Après une relation de quatre ans, elle décide de le quitter pour couvrir le bombardement de Valence et vendre son travail sous son seul nom.

Sa carrière de photographe aura été courte. À seulement 26 ans, elle meurt lors d'un reportage pendant la guerre civile espagnole, écrasée par un char républicain. Son enterrement à Paris au cimetière du Père-Lachaise en présence de milliers de personnes devient une manifestation antifasciste. Son éloge funèbre est prononcé par Pablo Neruda et Louis Aragon. Et sa tombe est dessinée par le sculpteur Alberto Giacometti.

Dans l'ombre de Robert Capa

Si Gerda Taro reste une pionnière et une grande photographe, ses clichés sont longtemps restés dans l'ombre de Robert Capa. Pour Camille Ménager, si Gerda Taro a été oubliée plusieurs décennies, c'est davantage le résultat d'un concours de circonstances que d'une volonté de la laisser de côté.

"Personne n'a décidé un jour qu'on allait l'oublier. Si son œuvre est puissante, elle n'a en fait travaillé qu'un an, en plus sur la guerre d'Espagne qui a été supplantée par la Seconde Guerre mondiale et dont les mémoires ont ensuite été limitées par la dictature espagnole."

Sans compter que sa famille est morte avant la guerre et qu'elle n'a pas eu d'enfant, "il n'y avait donc aucun ayant droit qui aurait pu travailler à rassembler ses photos", poursuit la réalisatrice. Mais en 2007, une mystérieuse valise est retrouvée à Mexico: elle contient 4500 négatifs de Gerda Taro, Robert Capa et Chim réalisés durant la guerre d'Espagne.

Une œuvre "intense"

Ces négatifs permettent de reconsidérer sous un nouvel angle l'importance du travail de Gerda Taro, oublié pendant près d'un demi siècle, et de lui restituer la maternité de son travail. Certaines photographies, attribuées à tort à Robert Capa, étaient en réalité l'œuvre de Gerda Taro.

"Au-delà de l'attribution d'un nom et d'un crédit à certaines photos, ces négatifs donnent aussi beaucoup d'intensité à son œuvre, explique Camille Ménager. On a découvert beaucoup de ses photos qu'on ne connaissait pas. Et on comprend aussi sa démarche de travail dans le déroulé de ses négatifs. Elle ne sera certainement jamais autant connue que Capa parce qu'elle n'a pas laissé assez de traces mais on ne peut plus dire qu'on ne la connaît pas."

Pour lire les précédents épisodes de la série, c'est ici. Le premier consacré à la sculptrice Camille Claudel, le deuxième à la peintre des "big eyes" Margaret Keane. Le troisième évoque l'histoire de la compositrice Fanny Mendelssohn et le quatrième se consacre à la miniaturiste Marie-Anne Fragonard.

https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV