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Bordeaux qui rit, Bordeaux qui pleure

L'image de luxe associée aux châteaux du vignoble bordelais cache une réalité moins glamour : à l'exception de quelques crus mondialement connus, la masse des viticulteurs est en grande difficulté. /Photo d'archives/REUTERS/Régis Duvignau

L'image de luxe associée aux châteaux du vignoble bordelais cache une réalité moins glamour : à l'exception de quelques crus mondialement connus, la masse des viticulteurs est en grande difficulté. /Photo d'archives/REUTERS/Régis Duvignau - -

Claude Canellas BORDEAUX (Reuters) - L'image de luxe associée aux châteaux du vignoble bordelais cache une réalité moins glamour : à l'exception de...

Claude Canellas

BORDEAUX (Reuters) - L'image de luxe associée aux châteaux du vignoble bordelais cache une réalité moins glamour : à l'exception de quelques crus mondialement connus, la masse des viticulteurs est en grande difficulté.

La semaine des primeurs qui chaque année au début du mois d'avril permet aux acheteurs de découvrir le dernier millésime en cours d'élevage dans les meilleurs chais et de l'acheter pour une livraison un an plus tard en bouteilles a été l'occasion l'an passé de franchir un nouveau palier dans les prix.

Château Ausone (Saint-Emilion) a ainsi dépassé les 1.000 euros la bouteille, Cheval Blanc (Saint-Emilion) frôle cette barre et Yquem (Sauternes) se négocie à 800 euros.

"C'est la loi de l'offre et de la demande", souligne Georges Haushalter, le président du Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB).

Mais à l'autre bout de l'échelle, des exploitations qui vivent souvent de la vente de vin en vrac payent le prix fort d'une crise qui perdure depuis plusieurs années, avec des prix qui ne permettent pas d'amortir les coûts de production.

"Depuis 1995, l'écart se creuse entre les millésimes d'exception et les autres", souligne le directeur de Haut-Brion, Jean-Philippe Delmas.

"Dans le temps, on disait que les grands crus étaient une locomotive pour toute la viticulture bordelaise. Mais il y a un tel écart que ce n'est plus le cas. Les grands crus sont perçus comme des produits de luxe et ils sont complètement déconnectés", ajoute-t-il.

L'image de Bordeaux reste associée aux grands crus qui ne représentent pourtant que 7 à 10% du vignoble et, parmi les autres, 50% sont des petits viticulteurs qui souffrent en silence, à l'ombre des tours des grands châteaux.

UN TONNEAU AU PRIX D'UNE BOUTEILLE

La Chambre d'agriculture de la Gironde constate qu'en 2009, entre 20 et 25% des producteurs de la région de Bordeaux ont eu un revenu négatif et que la situation s'est aggravée en 2010.

En un an, d'août 2009 à juillet 2010, le prix du Bordeaux rouge en vrac, vendu en tonneau, a baissé de 8% et, dans certaines appellations, la chute a atteint les 20% alors que les coûts de production ont augmenté.

Selon la Chambre d'agriculture, 45% des transactions se sont effectuées en dessous de 800 euros le tonneau de 900 litres, un prix insuffisant pour assurer la pérennité des exploitations.

Didier Cousiney, président du Collectif des viticulteurs, souligne qu'"il y en a qui vendent la bouteille au prix où d'autres vendent un tonneau".

La surproduction tire les prix vers le bas et touche des appellations jusque-là à l'abri des crises. C'est le cas des Blaye-Côtes de Bordeaux, où 40% des ventes se sont faites sur la base d'un prix de moins de 3 euros la bouteille.

Pour arrêter l'hémorragie, le syndicat des Bordeaux et Bordeaux Supérieur vient de créer Mercure, une société chargée de regrouper l'offre des vins en vrac et de bloquer les prix à au moins 800 euros le tonneau.

Mais la révolte gronde parmi les petits viticulteurs.

Un autre collectif, le Comité d'action des vignerons de Bordeaux (CAVB), menace de demander devant les tribunaux le remboursement des cotisations obligatoires qu'ils ont versé au CIVB de 1998 à 2008, soit un total de plus de 760.000 euros, estimant qu'elles n'étaient pas conformes au droit européen.

"Le CIVB ne sert à rien. C'est le pouvoir sans partage d'une partie des négociants", dit son porte-parole, Dominique Techer.

Accusé par nombre de viticulteurs de ne pas intervenir pour les défendre face aux négociants, le directeur du CIVB Roland Feredj rappelle que "la régulation du marché suppose de maîtriser à la fois l'offre et la demande".

Edité par Yves Clarisse