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Biométrie : tous les Français bientôt fichés ?

« Pendant longtemps on a identifié, maintenant on trace, on profile les gens… », s’inquiète Pierre Piazza, spécialiste de la carte d'identité.

« Pendant longtemps on a identifié, maintenant on trace, on profile les gens… », s’inquiète Pierre Piazza, spécialiste de la carte d'identité. - -

Pour lutter contre les usurpations d'identité, le Parlement a adopté la proposition de loi instaurant un fichier central des données biométriques de tous les Français. Opposition et associations crient à la remise en cause de la présomption d'innocence et dénoncent des atteintes à la vie privée. Et vous, qu’en pensez-vous ?

Tous les Français seront bientôt fichés, au fur et à mesure du renouvellement de leurs papiers. Composées de deux puces électroniques, les nouvelles cartes d'identité contiendront les données d'identité et biométriques du titulaire, authentifiées grâce à leur enregistrement sur une base de données centrale.

La fin de la présomption d'innocence ?

Un fichier général qui fait débat, puisque le texte prévoit qu'il pourra être utilisé à des fins judiciaires : toute empreinte digitale relevée dans une enquête de police pourra être directement reliée à un individu. Le Sénat - toutes tendances confondues – avait pourtant préconisé de limiter les données accessibles lors de cette recherche.
L'opposition et les associations crient à la remise en cause de la présomption d'innocence et dénoncent des atteintes à la vie privée. Le PS a annoncé son intention de saisir le Conseil constitutionnel.

« Les vraies problématiques liberticides sont ailleurs »

Pour certains, cette nouvelle carte d'identité biométrique fait un peu penser à ‘Big Brother’. Mais pour Christophe Naudin, chercheur au département "menaces criminelles contemporaines" à Paris II, spécialiste de l'identité, « on est dans le fantasme ! Les vraies problématiques liberticides sont ailleurs. On ne peut pas gérer aujourd’hui une société aussi importante sans fichier ; il faut être un peu raisonnable. La biométrie et une base centrale qui contient l’ensemble des identités des Français, ça va nous permettre de lutter concrètement, efficacement, contre cette criminalité identitaire qui aujourd’hui a une croissance de presque 40% par an. Nous serons le premier pays dans lequel il sera facile de prouver son identité ; ce qui n’était pas le cas avant ».

« Chacun est considéré comme un suspect »

Pour Pierre Piazza, maître de conférences en science politique, spécialiste de la carte d'identité, auteur de L'identification biométrique (Éditions La Maison des sciences de l'homme), dans l'utilisation de ces données biométriques, « le risque c’est de tracer les personnes à la fois dans l’espace et dans le temps. On est là dans un basculement : pendant longtemps on a identifié, maintenant on arrive à tracer, voire à profiler les personnes. Et puis c’est un peu étrange, parce que pour protéger l’identité, on prend celle de chacun et des données très intimes, comme les empreintes digitales – on n’en est pas encore à l’ADN mais peut-être que ça arrivera un jour –, dans une logique qui tend à considérer chacun comme un suspect ».

« Les risques d’atteinte à ce fichier se multiplient »

De son côté, Stéphanie Lacour, chercheur au CNRS, juriste au Centre d'études et de coopération juridique internationale, s’inquiète de la multiplication des risques d’atteinte à cette base de données biométriques nationale : « A partir du moment où vous avez un fichier centralisé, le point d’attaque se situe en un seul endroit et les risques d’atteinte à ce fichier se multiplient. Des pirates informatiques pourraient avoir accès à ces données, assez étendues. Et surtout, les plus grands risques ne viennent pas de l’extérieur mais de l’intérieur : les gens entre les mains desquels sont situés ces fichiers, peuvent en avoir des utilisations pas toujours très bienveillantes ».

80 000 usurpations d'identité par an

En 2005, selon une étude Ipsos, 74% des Français étaient favorables au projet de carte d'identité biométrique et 75% s'étaient prononcés pour la création d'un fichier informatique national des empreintes digitales dédié à la lutte contre les fraudes à l'identité : 80.000 par an, d'après le Fichier automatisé des empreintes digitales (FAED) et jusqu’à 200 000 Français concernés chaque année, selon le Credoc (Centre de Recherche pour l'Etude et l'Observation des Conditions de vie).

La Rédaction, avec Annabelle Vilmont