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Affaire Haderer: malgré l'ADN, Jacques Maire ne risque rien

Chroniques judiciaires traitant de l'affaire, publiées dans l'Est Républicain entre 1987 et 2004.

Chroniques judiciaires traitant de l'affaire, publiées dans l'Est Républicain entre 1987 et 2004. - -

C'est l'une des plus grandes énigmes judiciaires en France: qui a tué Nelly Haderer, jeune mère de famille de 22 ans? 27 ans après les faits, une tache de sang du principal suspect, acquitté depuis, a été retrouvée sur le pantalon de la victime.

C'est un rebondissement comme les annales judiciaires en connaissent peu. L'ADN de Jacques Maire, 60 ans, acquitté et indemnisé dans l'affaire du meurtre atroce de Nelly Haderer, vient d'être identifié à l'intérieur du pantalon de la victime.

Jeudi, le procureur de la République de Nancy, en "regrettant la divulgation" des résultats d'analyses génétiques, a confirmé sans le dire la véracité de cette information, dévoilée par l'Est Républicain. Mais quelques heures plus tard, Jacques Maire est sorti du silence pour réaffirmer son innocence. Comment peut évoluer l'affaire? Ce coup de théâtre peut-il changer l'issue d'un dossier déjà jugé trois fois? BFMTV.com fait le point.

> La découverte macabre

Le 31 janvier 1987, au matin, des ferrailleurs font une découverte monstrueuse dans le fossé d'une décharge, dans la région de Nancy. Une femme gît nue. Ses mains, sectionnées, ont disparu. L'une de ses jambes est posée un peu plus loin. Elle a été tuée de deux balles. Il faudra plusieurs jours aux enquêteurs pour identifier Nelly Haderer, 22 ans, mère de deux enfants.

Quelques années plus tard, sur la base d'un témoignage crucial, les enquêteurs remontent jusqu'à un homme bien connu de leurs services, Jacques Maire, maçon de son état. Il faudra attendre 2004 pour que l'homme, libre comme l'air, soit jugé pour le meurtre de Nelly Haderer mais aussi pour celui d'une autre femme, Odile Busset, jamais retrouvée.

> L'erreur qui a tout fait basculer

Lors du premier procès d'assises, Jacques Maire est condamné à quinze ans de réclusion criminelle. Il fait appel. Le résultat sera pire: il est alors condamné à vingt ans de prison. Mais à la fin de ce second procès, rendu très éprouvant par les quatre avocats de la défense, extrêmement coriaces, la greffière oublie de parapher 32 pages du procès-verbal, le rapport qui retranscrit et valide l'audience.

Une erreur capitale: la Cour de cassation "cassera" ce jugement pour vice de procédure. Jacques Maire revient donc devant la cour d'appel pour un troisième procès. Cette fois-ci, il sera acquitté. Nous sommes alors en 2008. Il reçoit 200.000 euros d'indemnisation pour "détention injustifiée".

> Que change cette tache de sang à l'affaire?

Cette tache ne prouve pas formellement la culpabilité de Jacques Maire, qui continue de clamer son innocence, mais résonne étrangement avec ses déclarations: il affirmait ne pas connaître la victime et ne l'avoir jamais rencontré. Comment son sang a-t-il pu se retrouver dans l'intérieur du pantalon de Nelly Hadener?

"Cependant, comme il a été acquitté, Jacques Maire ne risque absolument rien de la justice, même s'il décidait d'affirmer haut et fort qu'il est en réalité le tueur…ce que lui déconseilleront quoi qu'il en soit ses avocats", confirme Me Eolas, avocat pénaliste, joint par BFMTV.com, qui enjoint cependant à la prudence. "Cette tache ne prouve rien en soi."

Si la justice devait découvrir d'autres preuves qui ne laisseraient plus aucun doute quant à la culpabilité de Jacques Maire, elle devrait alors rendre une ordonnance de non-lieu pour clore l'action judiciaire.

> Pourquoi n'a-t-elle pas été expertisée avant?

C'est la grande question qui surgit en filigrane de ce nouveau coup de théâtre, mais à laquelle la justice n'apporte pas de réponse pour l'instant. L'hypothèse la plus probable est que la tache n'avait jamais été remarquée par les enquêteurs, ce qui expliquerait qu'à l'époque, aucun test n'ait été réalisé pour comparer le groupe sanguin à celui du suspect.

Nul doute que si cet élément avait été connu de la justice lors du troisième procès, "l'effet aurait été désastreux auprès de la cour", confirme Me Eolas.

> Peut-on changer la loi pour rejuger un acquitté?

Les avancées scientifiques dont dispose aujourd'hui la justice pourraient permettre de rejuger autrement de vieilles affaires. Pourtant, il est un principe en procédure pénale résumée par la locution latine suivante: "Non bis in idem", "Pas deux fois pour la même chose". Il est interdit de poursuivre quelqu'un deux fois pour les mêmes faits.

Un "principe indispensable", argue Me Eolas. "Il y a un moment où la société doit mettre fin à l'action judiciaire et laisser en paix les différentes parties. C'est une protection indispensable des citoyens. Et si l'on devait rejuger toutes les anciennes affaires, le système s'écroulerait!"

Pourtant, les parties civiles ne sont pas de cet avis, comme l'explique Me Pierre-André Babel, leur avocat. "Aujourd'hui, la démarche de la famille de Nelly Hadener est de tout faire pour que cette situation change. Pour elle mais aussi pour les victimes qui un jour, sauraient que le coupable est en liberté dans les rues sans avoir de possibilité de recours." Mais pour Me Eolas, même si la loi changeait, "elle ne serait pas rétroactive." Jacques Maire est innocent, et aux yeux de la justice, il le restera.

A.G.