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Affaire Falletti: l'indépendance des magistrats, une utopie?

Les syndicats de magistrats attendent toujours une réforme de la nomination des membres du parquet.

Les syndicats de magistrats attendent toujours une réforme de la nomination des membres du parquet. - Crédits photo : nom de l'auteur / SOURCE

La Chancellerie se défend d'avoir fait pression sur le procureur général à la cour d'appel de Paris pour le faire démissionner. Mais le fait est que la réforme de la nomination des magistrats du parquet, voulue par le candidat Hollande, se fait attendre.

C’était l'engagement n°53 du candidat Hollande: "Je garantirai l'indépendance de la justice et de tous les magistrats". Une façon de prendre le contre-pied de son prédécesseur Nicolas Sarkozy. Et voilà que des révélations du Canard Enchaîné, mercredi dernier, viennent poser des suspicions sur les intentions du nouveau gouvernement vis-à-vis de l'indépendance de la justice.

François Falletti a été nommé procureur général à la cour d'appel de Paris en janvier 2010 – c'est-à-dire sous Nicolas Sarkozy. Le 27 janvier, le magistrat de 64 ans a été reçu par la direction du cabinet de Christiane Taubira. Là, il lui a été proposé un poste d'avocat général à la Cour de cassation. Un poste certes prestigieux, mais beaucoup moins politique. Un placard doré, selon l'intéressé. Le magistrat a refusé.

Dans une lettre adressée mardi à Christiane Taubira, avec copie au Conseil supérieur de la magistrature, François Falletti dénonce une "tentative d'éviction". A l'AFP, le procureur indique que la demande lui a été faite "avec insistance". Selon lui, la Chancellerie n'a pas caché ses intentions de vouloir à la tête du parquet général un magistrat "partageant la sensibilité de la place Vendôme".

"Les règles de nomination seront revues"

Le ministère de la Justice réfute toute intention de le limoger ou de le "contraindre à démissionner": rien de plus normal que de proposer ce type de poste, qui lui aurait en outre permis de rester plus longtemps en fonctions, à un magistrat à un an et demi de la retraite.

"Le procureur général de la cour d'appel de Paris a été invité pour un entretien tout à fait classique avec la direction de mon cabinet, par un appel le jeudi 23 janvier. Il a été reçu le lundi suivant. Par contre, il a attendu plus de huit jours pour m'adresser un courrier", a plaidé la garde des Sceaux devant les députés mercredi, face aux nombreuses critiques qui ont fusé à droite. Bref, "pas de quoi fouetter un chat", a réagi sur i-Télé Alain Vidalies, le ministre des Relations avec le Parlement.

Le fait est que, pression ou non, la réforme promise par François Hollande ("les règles de nomination seront revues; je réformerai le Conseil supérieur de la magistrature -CSM") n'a toujours pas été actée. Cette réforme valait pour la nomination des membres du parquet – comme François Falletti –, magistrats placés sous l'autorité du garde des Sceaux: celle-ci est toujours décidée par l'exécutif, contrairement aux juges du siège, nommés par le CSM.

La réforme promise suspendue

Virginie Duval, secrétaire générale de l'Union syndicale des magistrats (USM), accuse le gouvernement Ayrault de faire preuve "d'hypocrisie" sur la question. "Christiane Taubira se targue d'avoir obtenu l'indépendance du parquet en supprimant (en juillet 2013, ndlr) les instructions transmises oralement par la Chancellerie aux procureurs", indique-t-elle.

"C'est une avancée indéniable. Mais ce n'est pas suffisant, on le voit avec l'affaire du procureur général Falletti: il faut aussi que la nomination des procureurs soit effectuée par un organe indépendant."

L'affaire était pourtant bien amorcée. En juillet 2013, le Parlement adoptait un projet de loi constitutionnelle portant la réforme du Conseil supérieur de la magistrature. Dans le texte, la réforme de la nomination des procureurs, attendue par les syndicats. Actuellement, les noms des magistrats du parquet sont proposés au CSM par le gouvernement. Le CSM rend un avis, mais le ministère de la Justice n'est pas tenu de le suivre. Le projet de loi prévoyait donc que le garde des Sceaux soit tenu d’émettre un avis conforme à celui du CSM.

Adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en juin 2013 et par le Sénat en juillet, ce projet de loi a finalement été suspendu par le gouvernement ce même mois. Le fait est que la réforme de la nomination du parquet était couplée à une autre réforme, la composition du CSM, qui nécessitait une loi constitutionnelle. Celle-ci nécessitant une majorité des 3/5e qui n'a pas été trouvée, le gouvernement a décidé de la suspendre.

"Personne ne veut aller au bout"

Mais pour l'USM, cette suspension arrange bien le gouvernement. "Droite comme gauche, personne ne souhaite aller jusqu'au bout de cette réforme: on préfère être sûr de nommer des gens proches politiquement", regrette Virginie Duval.

"Bien sûr, sous le gouvernement précédent, c'était pire: des histoires de procureurs généraux déplacés, il y en a eu plus d'une", note-t-elle. Là, c'est la première dont on a vent en 18 mois. Mais de la part d'un gouvernement qui se targue de défendre l'indépendance des magistrats du parquet, c'est d'autant plus inacceptable!"

L'affaire du procureur général Falletti rappellera-t-elle François Hollande à sa promesse? "On nous dit régulièrement que (la réforme du CSM) va revenir sur la table", note Virginie Duval. Sur la question, la Chancellerie n'a néanmoins pas répondu à la sollicitation de BFMTV.com.

Mathilde Tournier