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"Accuse les étoiles": horoscope, mantras... Comment l'appli d'astrologie Co-Star construit son succès

Capture d'écran du site de l'application d'astrologie Co-Star

Capture d'écran du site de l'application d'astrologie Co-Star - Co-Star

Co-Star vous promet de vous livrer en temps réel votre horoscope mais aussi celui de vos proches. Téléchargée des millions de fois, cette application assure utiliser les "données de la Nasa", même si l'astrologie n'a rien de scientifique, tout en misant aussi sur une part de second degré.

"Quand je ressens quelque chose, je regarde l'application, et je me dis: 'OK, tout s'explique, il s'est passé quelque chose dans le ciel'', confie à BFMTV.com Margot, une ingénieure parisienne de 26 ans. Depuis quatre ans, cette jeune femme a adopté Co-Star, une application d'astrologie qui promet un horoscope "hyper-personnalisé", "en temps réel" et qui a aussi la particularité d'être un réseau social.

Une application qui va jusqu'à rythmer le quotidien de ses utilisateurs. "Il m'est déjà arrivé de mettre une alerte dans mon agenda et de réfléchir à la meilleure date pour la signature d'un contrat du fait de mon horoscope", confesse à BFMTV.com Clémence, une consultante parisienne de 37 ans.

Si cette passionnée d'astrologie navigue sur d'autres applications du même genre, Co-Star reste sa préférée. "Ce que j'aime, c'est la langue châtiée et très poétique. Et puis, c'est aussi très abstrait."

"C'est comme une lecture de tarot, on peut faire ses propres interprétations."

Co-Star a été créé en 2017 aux États-Unis et cumule quelque 5 millions de téléchargements à travers le monde. En France, l'application reste confidentielle pour le grand public. Mais chez les étudiants et jeunes actifs diplômés à l'aise en anglais -Co-Star n'est disponible que dans la langue de Shakespeare- elle est connue et fait parler.

"Un truc convivial"

Visuellement, l'application tranche avec les modèles existants. Le design est volontairement sobre: tout est en noir et blanc, les photos ou illustrations sont rares et plutôt en lien avec le naturel (végétal, fruit, coquillage ou minéral, insecte).

Capture d'écran de l'application Co-Star
Capture d'écran de l'application Co-Star © Co-Star

Concrètement, l'application propose une "météo" du signe astrologique de l'utilisateur dans différents domaines: "quotidien", "spiritualité", "soi-même", "sexe et amour" ou encore "vie sociale". Et combine son propre horoscope avec celui de ses contacts. Il est ainsi possible de consulter l'horoscope de ses proches et de vérifier, selon la date, dans quels domaines les signes s'accordent ou au contraire dissonent.

"J'ai une cinquantaine de contacts", continue Margot. "Souvent, quand je rencontre quelqu'un, je l'ajoute tout de suite sur Co-Star. On voit le signe de la personne, sa compatibilité." Elle a notamment déjà envoyé un message à une amie, sur le ton de l'humour, lui disant: "T'as vu, Co-Star dit qu'il ne faut pas qu'on se parle aujourd'hui".

"Ça créé un lien, une intimité en plus", s'enthousiasme la jeune femme.

Il est aussi déjà arrivé à Margot dans le cadre d'un flirt qu'elle demande à la personne fraîchement rencontrée de s'inscrire sur Co-Star. "Mais ce n'est pas parce qu'elle serait tel ou tel signe que je ne vais pas date (sortir avec elle, NDLR)", précise-t-elle néanmoins.

"On regarde ensemble ce que nous dit l'appli, on en parle, on en rit. C'est un truc convivial."

Des mantras quotidiens

L'application formule également quotidiennement une sorte de mantra personnalisé, présenté comme "la journée en un clin d'œil", envoyée tous les jours via une notification. Du type: "Sois là, maintenant" ou encore "Méfiez-vous de la culpabilité aujourd'hui" mais aussi "C'est à votre tour de courir comme un fou dans les bois" ou "Il y a quelque chose de beau à vieillir".

Capture d'écran de l'application Co-Star. Mantra du jour: "Il peut être utile de continuer quoi qu'il arrive"
Capture d'écran de l'application Co-Star. Mantra du jour: "Il peut être utile de continuer quoi qu'il arrive" © Co-Star

"C'est la seule chose que je regarde", témoigne pour BFMTV.com Manon, une parisienne de 31 ans qui dirige une association. "Ça me fait marrer quand j'arrive à voir un lien avec ma propre vie. Et si ça fait écho, je le partage avec mes copines" -ce que permet l'application. Son mantra du jour en l'occurrence: "Ne reste pas là où ils t'ont laissé".

"Mais là, je ne vois pas trop", reconnaît Manon. "Du coup, je m'en moque un peu."

Chaque jour, l'application recommande également trois choses à faire -comme "nouveau livre, galerie des glaces, faire une folie" ou encore "inspiration, lire les signes, ralentir"- ainsi que trois choses à ne pas faire -"auto-sabotage, nuits tardives, chaussures inconfortables" ou "partir du principe que le pire va arriver, 'et si', quitter le navire".

Capture d'écran de l'application Co-Star. Les trois choses du jour à faire: "aller vivre, poètes morts, des courses". Et les trois choses à ne pas faire: "ressentiment, les larmoyants, hauteurs"
Capture d'écran de l'application Co-Star. Les trois choses du jour à faire: "aller vivre, poètes morts, des courses". Et les trois choses à ne pas faire: "ressentiment, les larmoyants, hauteurs" © Co-Star

"Des phrases ni vraies ni fausses"

"Des fois, c'est en plein dans le mille", assure Clémence, interrogée plus haut. "Mais parfois, ça n'a aucun sens." Si la trentenaire apprécie la fantaisie, voire l'humour de certains de ces mantras et recommandations, elle y voit aussi quelque chose "de l'ordre de la méditation".

Un second degré que Co-Star revendique. Exemple avec la petite phrase de présentation de l'application sur Instagram: "Accuse les étoiles".

Des mantras que Pascal Wagner-Egger, enseignant-chercheur en psychologie sociale à l'université de Fribourg, en Suisse, juge plus sévèrement. "Ce sont des phrases ni vraies ni fausses", remarque-t-il pour BFMTV.com.

"C'est ce qu'on appelle en psychologie le 'pseudo-profound bullshit', ou en français du 'baratin prétentieux'", note cet universitaire.

Une phrase correcte du point de vue grammatical mais dont les mots ont été assemblés de manière aléatoire "et qui ne veut rien dire", résume-t-il.

Un storytelling "extraordinaire"

Mais avec le code couleur "tout sauf cheap" et l'impression d'une hyper personnalisation, "on est loin du fortune cookie", analyse pour BFMTV.com Catherine Lejealle, enseignante-chercheuse à ISC Paris et auteure de Les Coulisses du dating, tout savoir sur la rencontre en ligne. "Le storytelling est extraordinaire."

Une application qui navigue entre pensée positive et développement personnel, surfant sur la tendance bien-être. "On ne vous prédit pas l'avenir, il n'y a pas de fausse promesse", poursuit la sociologue spécialiste du digital. "Ce n'est pas la diseuse de bonne aventure qui vous annonce que vous allez rencontrer le grand amour."

"L'application apparaît plus comme une forme d'aide, un outil pour se connaître et se comprendre. En gros, on vous explique votre quotidien."

Ce qui séduit d'autant plus dans une société compétitive qui impose aux individus de se réaliser avec "l'injonction de réussir sa vie", poursuit Catherine Lejealle. "Il y a quelque chose de rassurant et de déculpabilisant à se dire que tout est déjà inscrit dans sa date de naissance."

"Finalement, si j'échoue, je n'y pouvais rien. C'était le destin."

"On se sent appartenir à un groupe"

Le succès de cette application pourrait également s'expliquer par la dimension sociale que prend ainsi l'horoscope. "Avec cette application, on rencontre une communauté, on se sent appartenir à un groupe, c'est ce qui la différencie des autres", note pour BFMTV.com Bastien Trémolière, maître de conférence en psychologie cognitive à l'université Toulouse-II-Jean Jaurès. Tout à fait dans l'ère du temps.

L'application se revendique par ailleurs rigoureuse, avec thème astral très détaillé et "données de la Nasa", l'agence spatiale américaine, écrit-elle. "Ça donne une impression de sérieux mais cela n'a rien de scientifique, ce sont juste les positions des planètes", met en garde la sociologue Catherine Lejealle.

L'impression d'hyper-personnalisation de Co-Star ne serait en réalité que le fruit de l'effet Barnum, "un biais qui consiste à ne voir, entendre ou lire que ce qui nous arrange", pointe le chercheur Pascal Wagner-Egger, qui travaille notamment sur les raisonnements quotidiens et naïfs ainsi que les croyances.

Lui-même en a fait l'expérience avec ses élèves: il leur a donné à chacun un horoscope présenté comme propre à leur signe alors qu'il s'agissait en réalité d'un même et unique distribué à tous. Plus de la moitié a affirmé que cet horoscope leur correspondait.

"Les phrases sont toujours assez générales pour pouvoir s'appliquer à tout le monde mais par ce biais, on a l'impression qu'elles ne s'adressent qu'à nous."
https://twitter.com/chussonnois Céline Hussonnois-Alaya Journaliste BFMTV