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Société

40 ans après la Marche pour l'égalité et contre le racisme, "la situation ne s'est pas améliorée"

Le cortège de la Marche pour l'égalité et contre le racisme lors de son départ à Marseille, le 15 octobre 1983.

Le cortège de la Marche pour l'égalité et contre le racisme lors de son départ à Marseille, le 15 octobre 1983. - P. CIOT

Quarante ans plus tard, la plupart des ex-marcheurs font part de leur désillusion renforcée par la mort de Nahel en juin. Pour eux, la situation des personnes issues de l'immigration n'a pas évolué.

Le 15 octobre 1983, trente-deux personnes, les "marcheurs" de la première heure, quittaient à pied la cité marseillaise de la Cayolle dans la quasi-indifférence. Sept semaines plus tard, le 3 décembre, ils étaient finalement près de 100.000 à défiler dans la liesse à Paris.

Initiée par des habitants du quartier des Minguettes à Vénissieux près de Lyon à l'issue d'une année marquée par une longue liste de jeunes tués dans des cités et une poussée spectaculaire de l'extrême droite aux municipales, la "Marche pour l'égalité et contre le racisme" a mis en lumière les discriminations quotidiennes vécues par les immigrés et leurs descendants en France.

Quarante ans plus tard, les élans sociaux de tolérance et de mixité espérés par ce mouvement, rebaptisé "marche des beurs" par les médias - ce que les principaux protagonistes dénoncent - semblent pour autant ne pas suffisamment avoir été suivis.

"Beaucoup de jeunes vivaient dans leur cité où ils étaient enfermés et n'avaient pas du tout une vue globale de la société française", se rappelle Saïd Boukenouche, l'un des marcheurs historiques désormais âgé de 66 ans.

"L'idée, c'était d'aller à la rencontre de la France profonde avec comme message 'nous, on est ici en France et on veut avoir notre place, que les discriminations cessent, que les problèmes avec la police cessent, poursuit-il.

Le meurtre de Nahel a ravivé des souvenirs tragiques

En juin dernier, les heurts partout en France après la mort de Nahel, abattu par un policier à Nanterre après un refus d'obtempérer lors d'un contrôle, ont de nouveau pointé du doigt la persistance des violences policières.

"[Le meurtre de Nahel] prouve qu'il y a toujours un problème de logiciel du maintien de l'ordre à la française", déplore Farid L'Haoua, 65 ans, porte-parole de la Marche de 1983 et militant antiraciste.

"C'est aussi un peu ce qu'on vivait avant, à la différence que maintenant les choses ne peuvent pas se cacher, renchérit Saïd Boukenouche. Pour Nahel, il y avait les caméras et ça a été filmé, donc on a cru cette version alors que nous, on avait l'habitude des crimes racistes mais sans que ça se sache. C'était considéré juste comme une bavure".

C'est justement après avoir été victime d'une "bavure" que Toumi Djaïdja, jeune de Vénissieux d'une vingtaine d'années à l'époque, a eu l'idée avec le père Christian Delorme, surnommé depuis "le curé des Minguettes", de lancer cette longue marche pacifiste inspirée de Gandhi et Martin Luther King. Quelques mois plus tôt, en juin 1983, il avait été blessé par balles par un policier.

"La situation des jeunes des cités ne s'est pas améliorée"

Si une délégation de marcheurs a finalement été reçue à l'Élysée par François Mitterrand, qui a, à leur demande, annoncé la création d'une carte de séjour de dix ans, le soufflé sociétal est ensuite retombé. Le président de la République de l'époque esquivant l'autre revendication du mouvement pour un droit de vote pour les étrangers.

"Globalement, la situation sociale des jeunes des cités ne s'est pas améliorée", estime Marilaure Garcia Mahé, 61 ans, ex-marcheuse. Selon l'Insee, en 2020 le taux de pauvreté atteint 42,6% dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville contre 14,8% de moyenne en France métropolitaine.

En 2023, le slogan "Vivre ensemble, avec nos différences, dans une société solidaire" de la Marche semble encore de la réalité actuelle. Après les émeutes de juin dernier, des membres de la classe politique appelaient ainsi à reproduire ce genre de rassemblement, à l'image de la députée LFI de Seine-Saint-Denis, Clémentine Autain, qui avait lancé l'idée d'une "grande marche pour la justice" sur le modèle de 1983.

Gabriel Joly avec AFP