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Société

2011: la zone euro de sommets en crises

Manifestants devant le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort. La zone euro a navigué de sommets en crises en 2011, voyant apparaître une nouvelle voie d'eau sitôt qu'une brèche lui semblait colmatée, comme un navire menacé de naufrage. Ces m

Manifestants devant le siège de la Banque centrale européenne, à Francfort. La zone euro a navigué de sommets en crises en 2011, voyant apparaître une nouvelle voie d'eau sitôt qu'une brèche lui semblait colmatée, comme un navire menacé de naufrage. Ces m - -

par Bertrand Boucey PARIS (Reuters) - Comme un navire menacé de naufrage, la zone euro voit apparaître en 2011 une nouvelle voie d'eau sitôt qu'une...

par Bertrand Boucey

PARIS (Reuters) - Comme un navire menacé de naufrage, la zone euro voit apparaître en 2011 une nouvelle voie d'eau sitôt qu'une brèche lui semble colmatée.

Elle multiplie sommets et rencontres bilatérales censés apporter une réponse globale aux doutes des investisseurs sur la viabilité de la monnaie unique. Rien n'y fait. Alimentée par le poids de la dette de certains des 17 Etats de la zone, la crise gagne les pays les uns après les autres, même l'Allemagne, érigée en modèle de rigueur, se retrouvant surveillée par les agences de notation.

Cinq gouvernements tombent, victimes de leur incapacité à s'attirer les faveurs des "marchés" sans s'aliéner des citoyens exaspérés par leur politique de rigueur. Leur disgrâce prend parfois des allures de psychodrame, comme lorsque le Premier ministre grec George Papandréou est convoqué de toute urgence au sommet du G20 à Cannes, où, sous le regard incrédule des Etats-Unis et des puissances émergentes, il se fait réprimander par Nicolas Sarkozy et Angela Merkel en raison de son projet de référendum.

Dans certains pays, la colère sociale se transforme en mouvement structuré, comme celui des "indignés" espagnols, qui essaime jusqu'aux Etats-Unis.

Pourtant, les dirigeants européens renoncent, au moins dans les faits, à nombre de leurs tabous quant au fonctionnement des institutions. Mais la recherche de solutions favorise la résurgence d'animosités enfouies, la position dominante de l'Allemagne lui attirant nombre de critiques.

Quant à la Grande-Bretagne, elle marque une fois encore ses distances face à la volonté d'intégration exprimée par tous les autres pays lors du sommet des 8 et 9 décembre à Bruxelles.

LE PORTUGAL APPELLE À L'AIDE

"L'année 2011 doit être l'année de la confiance retrouvée dans l'euro", déclare la chancelière allemande Angela Merkel le 4 février, lors d'un sommet de l'Union européenne (UE).

A cette date, deux pays ont déjà dû réclamer une aide financière de l'UE et du Fonds monétaire international (FMI) pour éviter la faillite : la Grèce, d'où la crise est partie fin 2009, et l'Irlande, où la bulle bancaire a éclaté.

Vécu comme une humiliation par ses compatriotes, le recours à cette aide extérieure conduit le Premier ministre irlandais Brian Cowen à provoquer des élections anticipées. Lors de ce scrutin du 25 février, son parti, le Fianna Fail, subit une déroute historique. Avec une représentation parlementaire divisée par quatre, il est la première victime politique de la crise dans la zone euro.

La victime suivante est au Portugal, pays à son tour placé dans l'oeil du cyclone par les investisseurs en raison de son manque de compétitivité. Le socialiste José Socrates y dirige un gouvernement minoritaire. Incapable de faire adopter un plan d'austérité par le parlement, il finit par démissionner le 23 mars, à la veille d'un nouveau sommet européen.

La suite semble écrite d'avance. Le Portugal est contraint d'emprunter à des taux de plus en plus élevés sur les marchés pour financer sa dette et José Socrates, qui gère le pays dans l'attente d'élections législatives anticipées, se résout à solliciter une aide de 78 milliards d'euros auprès de l'UE et du FMI.

Aux élections du 5 juin, son parti est écarté du pouvoir au profit d'une coalition de centre-droit, déterminée à mettre en ouvre une politique de rigueur.

LA GRÈCE INQUIÈTE

Mais le pays qui concentre l'essentiel des inquiétudes reste la Grèce. Il apparaît évident qu'Athènes ne pourra pas respecter ses objectifs d'assainissement des comptes publics et le 17 mai, lors d'une réunion des pays de la zone euro, Jean-Claude Juncker, président de l'Eurogroupe, admet pour la première fois, en pesant chacun de ses mots, que la dette grecque pourrait être "reprofilée".

Or les agences de notation menacent de déclarer la Grèce en situation de faillite si sa dette est restructurée, un scénario que veulent à tout prix éviter les dirigeants européens par crainte des réactions en chaîne sur tout le système financier du continent.

Le 13 juin, l'agence Standard & Poor's (S&P) renforce les inquiétudes des investisseurs en abaissant la note grecque au plus faible niveau possible avant le constat de faillite.

Malgré la grogne populaire, George Papandréou obtient deux semaines plus tard du parlement grec l'adoption d'un plan d'austérité sur cinq ans, nécessaire à la poursuite des versements de l'aide internationale.

Conforté par cet engagement, les dirigeants de la zone euro se mettent d'accord le 21 juillet sur un deuxième plan d'aide à la Grèce, avec notamment 109 milliards d'euros supplémentaires de fonds publics. En outre, Nicolas Sarkozy évoque la création d'un "fonds monétaire européen" avec l'autorisation donnée au Fonds européen de stabilité financière (FESF) d'intervenir sur les marchés secondaires, ceux sur lesquels s'échangent les titres après leur émission, mais aussi de manière préventive pour aider des pays en difficulté.

"Beaucoup de choses ont changé hier", s'enthousiasme François Baroin, le ministre français des Finances, le lendemain. "C'était un vrai rendez-vous d'histoire."

La portée historique de l'accord ne dépasse cependant pas quelques jours. Rapidement, les investisseurs doutent qu'il soit suffisant. Surtout, la participation du secteur privé, prié d'accepter une décote de 21% de la valeur de ses créances grecques, et l'apparition simultanée de craintes quant à la nécessité d'une recapitalisation de certaines banques font dévisser les Bourses européennes.

Pour continuer à percevoir les fonds de l'UE et du FMI, le gouvernement grec impose sans cesse de nouvelles mesures d'austérité à une population exténuée par cette cure drastique de rigueur. Depuis début 2010, les Grecs ont en effet subi des baisses de salaires et des pensions de retraites, un report de l'âge du départ à la retraite, des hausses d'impôts et de taxes, des réductions d'effectifs dans la fonction publique ou encore des privatisations. Les 19 et 20 octobre, une grève générale paralyse le pays pendant 48 heures et des dizaines de milliers de personnes manifestent leur colère à Athènes.

PAPANDRÉOU SE SABORDE

Même au sein du Parti socialiste au pouvoir, la répétition des mesures d'austérité infligées au pays est de plus en plus insupportable. George Papandréou est plus que jamais fragilisé. Il se porte lui-même le coup de grâce le 31 octobre.

Quatre jours auparavant, les dirigeants européens sont parvenus au bout de longues tractations à un accord sur un renforcement des moyens d'actions du FESF, dont les modalités précises restent à définir, et sur une recapitalisation des banques, auxquelles ils arrachent un abandon de 50%, et non plus de 21%, de la valeur de leurs créances grecques.

L'objectif est à la fois d'aider la Grèce et d'éviter une propagation de la crise à l'ensemble de la zone euro. Car l'Italie, troisième économie du bloc, est désormais menacée.

"Le sommet a permis d'adopter les éléments d'une réponse globale, d'une réponse ambitieuse, d'une réponse crédible à la crise que traverse la zone euro", se félicite Nicolas Sarkozy, en soulignant le "caractère historique" des décisions prises. "Je crois que le résultat sera accueilli avec soulagement par le monde entier, qui attendait des décisions fortes."

George Papandréou ruine les espoirs du président français. Sans consulter ses partenaires européens ni même son gouvernement, le Premier ministre grec annonce le 31 octobre la tenue d'un référendum sur l'accord conclu à Bruxelles, qui prévoit de nouvelles mesures d'austérité de la part de la Grèce.

La colère se mêle à la consternation chez les dirigeants européens comme au sein de la classe politique grecque, tant paraît probable un rejet de l'accord lors d'un référendum.

A Cannes, où le G20 est réuni, Nicolas Sarkozy et Angela Merkel convoquent George Papandréou en urgence et le préviennent que la Grèce ne recevra pas un centime de plus si elle ne met pas en oeuvre les mesures d'austérité prévues par le plan. L'hypothèse d'une sortie de la Grèce de la zone euro n'est plus taboue.

A Athènes, George Papandréou est poussé vers la sortie. Son sort est même scellé et on ne lui laisse pas le soin d'annoncer l'abandon de son projet de référendum. Des discussions s'engagent sur la formation d'un gouvernement d'union nationale dans l'attente d'élections législatives anticipées et, après de nombreux atermoiements, Lucas Papadémos est nommé le 10 novembre à la tête d'un cabinet de techniciens.

Les deux grands partis du pays - socialiste et conservateur - propulsent cet ancien vice-président de la Banque centrale européenne (BCE) sur le devant de la scène pour le laisser prendre les mesures impopulaires exigées par l'UE.

FIN DE PARTIE POUR BERLUSCONI

La crise dans la zone euro atteint son paroxysme en cet automne 2011. Plus encore que la Grèce, l'Italie est alors au coeur de toutes les préoccupations: les investisseurs font grimper ses taux d'emprunts à des niveaux proches de la rupture.

Aux yeux des "marchés" mais aussi des autres dirigeants européens, le problème a un nom: Silvio Berlusconi. Le président du Conseil ne leur inspire plus aucune confiance à force de promesses non tenues.

L'illustration en est donnée le 7 novembre. Il suffit que circule la rumeur d'une démission imminente du "Cavaliere" pour que la Bourse de Milan s'envole. Quelques heures plus tard, Silvio Berlusconi dément et la Bourse replonge.

Le lendemain, le président du Conseil doit s'avouer vaincu après avoir déjoué pendant des mois toutes les tentatives visant à le renverser. Un vote à la Chambre des députés prouve qu'il ne dispose plus d'une majorité. Il est contraint de démissionner.

Plusieurs solutions s'offrent à l'Italie mais, là encore, les investisseurs font clairement savoir leur préférence. La Bourse de Milan monte et descend selon que l'hypothèse d'une nomination de Mario Monti enfle ou se dégonfle. Economiste cultivant sa réputation d'austérité, l'ancien commissaire européen est finalement désigné pour succéder à Silvio Berlusconi, dont l'image fantasque peut difficilement être plus éloignée de la sienne.

Quelques jours après la Grèce, l'Italie se dote d'un gouvernement de techniciens non élus auxquels les parlementaires confient la responsabilité de mener une politique impopulaire.

José Luis Rodriguez Zapatero évite ce scénario à l'Espagne. Après avoir porté l'économie espagnole pendant 10 ans, la bulle immobilière explose en 2008. Le pays entre en récession, les comptes publics plongent et le système financier, via ses caisses d'épargne, est au bord du gouffre.

Alors depuis 2010, le président du gouvernement applique une sévère cure d'austérité. Mais son impopularité est telle qu'il invite ses concitoyens à renouveler le Congrès des députés plus tôt que prévu. Le 20 novembre, son parti socialiste subit un revers sans précédent depuis l'instauration de la démocratie à la fin des années 1970. Sans enthousiasme, les Espagnols chargent les conservateurs de poursuivre la politique d'austérité.

La Belgique vit une situation inverse. Depuis les élections législatives de juin 2010, le royaume n'a plus de gouvernement élu. Les partis flamands et wallons se déchirent sur une réforme des institutions et toutes les tentatives pour former une coalition échouent les unes après les autres.

Face à cette impasse politique, l'agence Standard & Poor's abaisse fin novembre la note de la Belgique. L'annonce fait l'effet d'un électrochoc. Quelques jours plus tard, un accord est trouvé entre six partis et un gouvernement est enfin formé.

"INDIGNÉS" CONTRE "MERKOZY"

Partout, la politique de rigueur présentée comme la voie unique de sortie de crise suscite des mécontentements. Cette colère prend une forme originale en Espagne. En mai, des jeunes regroupés sous la bannière des "indignés" commencent à occuper des places publiques, notamment la Puerta del Sol à Madrid, où s'organise un campement autonome.

Ce mouvement essaime dans quelques pays d'Europe. Il gagne même les Etats-Unis, où, sous l'appellation "Occupy Wall Street", des manifestants dénoncent les injustices sociales imposées selon eux par le 1% des Américains les plus riches.

Le Congressional Budget Office (CBO), organisme non partisan du Congrès américain, apporte de l'eau à leur moulin en octobre. Dans un rapport, il révèle que les revenus du 1% des Américains les plus riches ont quasiment quadruplé entre 1979 et 2007, quand ceux des 20% les plus pauvres n'ont augmenté que d'environ 18%.

Première puissance économique du monde, les Etats-Unis sont eux-mêmes menacés par le poids de leur dette en 2011. Il faut même attendre les dernières minutes avant un possible défaut de paiement de l'Etat fédéral américain pour que républicains et démocrates parviennent au cours de l'été à un accord sur d'importantes réductions de dépenses publiques.

Un bras de fer guère apprécié par les agences de notation : S&P retire leur triple A aux Etats-Unis et renforce la défiance des investisseurs à l'égard des emprunts d'Etat.

En Europe, la France n'est pas épargnée. Malgré deux plans de rigueur annoncés en l'espace de moins de trois mois, les investisseurs doutent de la capacité du pays à respecter son plan de réduction des déficits et, surtout, à retrouver le chemin d'une croissance solide.

La France est menacée de perdre sa note triple A, considérée comme le précieux sésame permettant d'emprunter aux meilleurs taux sur les marchés. Pour tenter de la conserver, Nicolas Sarkozy impose une stratégie: suivre l'exemple de l'Allemagne et se coordonner avec elle pour peser sur les choix européens.

Ses opposants y voient une capitulation face à l'Allemagne, qui reste ferme sur ses principes: participation du secteur privé au sauvetage de la Grèce, pas de création d'obligations européennes mutualisant la dette des pays de la zone euro et pas de sauvetage d'un Etat en difficulté par la BCE.

Certains, tels le socialiste Arnaud Montebourg, accusent même Angela Merkel "d'imposer à la zone euro un ordre allemand" par "nationalisme" et de mener une "politique à la Bismarck".

Dans le reste de l'Europe, l'Allemagne et la France sont conjointement la cible de critiques, qui reprochent à Angela Merkel et Nicolas Sarkozy d'imposer leurs vues aux autres pays sous la forme d'un directoire baptisé "Merkozy".

Une image fait particulièrement mal aux Italiens : celle du sourire complice échangé par la chancelière allemande et le président français lorsque, fin octobre, ils sont interrogés sur la confiance qu'ils accordent à Silvio Berlusconi.

En Allemagne, en revanche, nombreux sont ceux qui s'exaspèrent de voir Angela Merkel accepter de renflouer, via le FESF, des pays accusés de laxisme budgétaire et fermer les yeux sur les rachats de dette par la BCE.

Président de la Bundesbank et membre du conseil des gouverneurs de la BCE, Axel Weber claque la porte de l'institution européenne alors même qu'il était pressenti pour succéder au Français Jean-Claude Trichet à sa présidence. Quelques mois plus tard, c'est au tour de Jürgen Stark, économiste en chef et membre du directoire de la BCE, de manifester son désaccord en quittant prématurément ses fonctions.

Une grande réconciliation est entreprise début décembre lors d'un énième sommet. Tous les pays de l'UE acceptent un contrôle de leurs budgets par les institutions européennes, avec menace de sanctions à la clé en cas de déficits excessifs. Tous sauf un, la Grande-Bretagne, qui prend ainsi le risque de se mettre à l'écart de l'UE.

"C'est un sommet qui fera date", prédit Nicolas Sarkozy. Sans crainte de se faire contredire par les marchés dans les semaines à venir, le délai nécessaire à la rédaction du nouveau traité intergouvernemental.

Edité par Henri-Pierre André