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Massacre à la hache polie dans l'Alsace préhistorique

Les squelettes de six personnes vraisemblablement massacrées à la hache il y a plus de 6000 ans ont été découverts en Alsace.

Les squelettes de six personnes vraisemblablement massacrées à la hache il y a plus de 6000 ans ont été découverts en Alsace. - Philippe Lefranc/INRAP/AFP

Une scène de massacre vielle de plus de 6000 ans vient d'être mise au jour à Achenheim, à l’ouest de Strasbourg, par une équipe d'archéologues. Cinq adultes et un adolescent y ont vraisemblablement été tués à coups de hache, avec un acharnement méthodique.

Une véritable boucherie. Des crânes fracassés, des jambes cassées, des bras arrachés: des archéologues ont mis au jour les vestiges d'un massacre vieux de plus de 6.000 ans, à Achenheim en Alsace, qui pourrait être l'expression d'une "fureur guerrière ritualisée".

A une dizaine de kilomètres de Strasbourg, une équipe de l'Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives) a découvert un ensemble de plus de 300 "silos", des fosses couvertes qui servaient surtout à entreposer les céréales et autres denrées dans les villages.

Ces silos sont situés à l'intérieur d'une vaste enceinte, matérialisée par un fossé en V. Un dispositif défensif "évocateur de temps troublés, d'une période d'insécurité, qui, au Néolithique moyen entre 4400 et 4200 avant notre ère, forcent les populations à se protéger", a souligné l'Inrap lors d'une conférence de presse à Paris.

Des individus "sévèrement suppliciés"

Au fond de l'un de ces silos, gisaient les restes de dix individus au total, manifestement victimes de violences. Le dépôt de cadavres semble avoir été constitué en un temps et il évoque une même tuerie.

Les archéologues ont trouvé six squelettes complets (cinq adultes, un adolescent) gisant de façon désordonnée sur le dos, le ventre et le côté. Ils sont tous de sexe masculin, ce qui laisse à penser qu'il s'agit de guerriers. Ils présentent de nombreuses fractures notamment aux jambes, aux mains et au crâne.

"On relève un très grand nombre de fractures faites sur 'os frais', du vivant de la personne", explique Fanny Chenal, anthropologue à l'Inrap, photos à l'appui. "Les individus ont été très sévèrement suppliciés et ont reçu des coups violents, sans doute assénés à la hache de pierre", estime Philippe Lefranc, spécialiste du Néolithique à l'Inrap.

Des "trophées guerriers"

S'y ajoutent quatre bras provenant de trois hommes et d'un jeune garçon. Ces bras étaient sans doute des "trophées guerriers", comme ceux qui ont été trouvés à Bergheim, au nord de Strasbourg, souligne Philippe Lefranc.

Sur cet autre site alsacien, contemporain de celui d'Achenheim, d'autres archéologues ont trouvé en 2012 dans une fosse les restes de huit individus décédés simultanément. Sous eux, se trouvaient sept bras gauche.

"Pourquoi ces mises à mort, cet acharnement sur des cadavres et ces mutilations, si ce n'est l'expression d'une fureur guerrière ritualisée?", s'interroge l'Inrap. "Le trophée accroît le prestige du vainqueur, son statut social", souligne Philippe Lefranc qui rappelle les rites de certains Indiens d'Amérique dans les temps anciens.

L'acharnement sur le corps des victimes, la torture, évoquent eux aussi des pratiques guerrières ritualisées, ajoute-t-il. Mais pourquoi tant de haine? Des analyses génétiques sur les os à venir donneront des clefs pour mieux comprendre.

Raid guerrier qui a mal tourné?

Philippe Leblanc avance d'ores et déjà une hypothèse. "Les événements de Bergheim et d'Achenhein pourraient résulter de la confrontation entre un groupe local (Bruebach-Oberbergen) et un nouveau groupe (Bischheim occidental) venant du bassin de la Seine".

En somme, "un raid guerrier mené par des gens du bassin parisien aurait mal tourné pour les assaillants. Les Alsaciens de l'époque les auraient massacrés". Au final, toutefois, ce sont les "Parisiens" qui ont eu gain de cause.

Le groupe culturel de Bruebach-Oberbergen a disparu d'Alsace vers 4200 avant notre ère, remplacé par celui de Bischheim occidental, comme le montrent le changement des rites funéraires, le nouveau style des poteries et l'emplacement différent des habitats. 

"La Préhistoire n'a jamais été un âge tendre"

Le groupe de Bruebach-Oberbergen, tout comme celui de Bischheim occidental, sont des cultures "filles" de la culture danubienne dite "de la céramique rubanée" (décor en ruban). Celle-ci a colonisé l'Europe en suivant la voie danubienne au Néolithique et a disparu en 5000 avant notre ère. "La Préhistoire n'a jamais été un âge tendre", rappelle l'Inrap.

Des fouilles au Soudan et au Kenya ont mis en évidence des violences de masse entre 12.000 et 10.000 ans, dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs.

Le Néolithique, marqué par la domestication des plantes et des animaux, n'était pas en reste. Des traces d'épisodes violents ont déjà été découverts en Allemagne (extermination d'une communauté à Talheim en 5000 avant notre ère, tuerie d'Herxhiem) et en Autriche (tuerie d'Asparn-Schletz).

C. P. avec AFP