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Le rapport roussely sur le nucléaire joue les arlésiennes

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par Emmanuel Jarry

PARIS (Reuters) - Commandé en fanfare fin 2009 et très attendu, le rapport Roussely sur la réorganisation de la filière nucléaire française ne sera vraisemblablement publié que sous une forme édulcorée, s'il l'est même un jour.

D'abord annoncé pour avril puis remis en mai au président Nicolas Sarkozy, ce rapport a été classé secret défense pour éviter les fuites et l'Elysée s'est montré de plus en plus vague, au fil des semaines, sur le sort qui lui serait réservé.

Aux dernières nouvelles, le chef de l'Etat attend une version allégée susceptible d'être rendue publique.

De source proche de la commission présidée par l'ancien président d'EDF François Roussely, on confirme qu'une sorte de "résumé" destiné à être publié à l'occasion d'une intervention de Nicolas Sarkozy sur la filière nucléaire est en préparation.

Cela pourrait avoir lieu "avant l'été", dit-on. Mais l'entourage du président de la République affirme qu'il n'y a pas encore de date précise fixée.

Ce flou entretient dans les milieux industriels concernés comme du côté des experts et des parlementaires familiers du dossier le sentiment que le rapport pourrait bien être enterré.

Pour les uns, il s'agissait avant tout d'une arme de guerre contre la présidente d'Areva, Anne Lauvergeon. Mais il n'aurait plus de raison d'être maintenant qu'"Atomic Anne" semble assurée d'aller au bout de son mandat.

D'autres estiment, à en juger par les auditions de la commission, que le rapport devrait être "très équilibré", voire relativement creux, et en aucun cas révolutionnaire.

Pour une troisième catégorie, son contenu serait tellement en contradiction avec l'analyse du président qu'il serait de facto condamné à rester secret ou à être réécrit.

SARKOZY FAVORABLE À EDF EN CHEF DE FILE

"Le fait que l'Elysée ne le rende pas public veut peut-être dire qu'il y a des choses difficiles à avaler dedans", résume Jean-Marie Chevalier, professeur d'économie à Paris-Dauphine.

Nicolas Sarkozy l'a commandé fin octobre 2009, deux mois avant le fiasco d'un consortium constitué des principaux acteurs du nucléaire en France, dont Areva, EDF et GDF-Suez, qui ont laissé échapper, au profit de la Corée du Sud, un contrat de quatre centrales aux Emirats arabes unis.

Cet échec, ajouté aux besoins en capitaux d'Areva et à une vive rivalité entre Anne Lauvergeon et le nouveau P-DG d'EDF Henri Proglio, a conforté le chef de l'Etat dans l'idée qu'une réorganisation de la filière à l'export s'imposait.

C'est précisément un des sujets, avec la stratégie en matière d'alliances et de partenariats et la place de l'Etat, sur lesquels il a demandé à François Roussely de se pencher.

"Qui peut être assemblier, qui peut monter des centrales ? De mon point de vue, c'est EDF", confiait Nicolas Sarkozy quelque temps avant de recevoir le rapport.

Le chef de l'Etat arguait notamment des difficultés d'Areva en Finlande, où la construction du premier réacteur EPR a pris quatre ans de retard, avec une facture presque doublée.

Dans son esprit, Areva doit cependant rester le fournisseur du coeur des centrales nucléaires tout en élargissant son offre.

"L'EPR est une Rolls tout à fait adaptée à des pays comme la Chine, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, mais pas forcément à des pays de 10 millions d'habitants", a-t-il coutume de dire.

Il souhaitait enfin que la réorganisation de la filière fasse une place à GDF-Suez et au pétrolier Total, "qui ne peut pas rester uniquement branché sur l'énergie fossile".

"ÉCOUTER LE CLIENT"

Selon des informations parues dans la presse bien avant qu'il ne soit remis à Nicolas Sarkozy, le rapport préconiserait la création d'un comité stratégique auprès du Premier ministre.

Ce comité pourrait notamment décider de la configuration du consortium qui répondra à tel ou tel appel d'offres étranger.

Le rapport devrait confirmer en outre la nécessité d'une diversification de l'offre française de réacteurs.

Areva développe avec le japonais Mitsubishi un réacteur plus petit (1.100 MW) et moins cher que l'EPR, l'Atmea, auquel l'Autorité de sûreté nucléaire française tarde à donner son feu vert bien qu'il soit présélectionné par la Jordanie.

Le P-DG de GDF-Suez, Gérard Mestrallet, s'est dit prêt à s'associer à Areva pour en construire un prototype en France.

Il n'est pas du tout certain en revanche que le rapport Roussely affirme la prééminence d'EDF, contrairement à ce que laissaient entendre les premières fuites, ni même qu'il propose la constitution d'un groupement d'intérêt économique (GIE).

Selon une source industrielle, François Roussely a donné l'assurance aux dirigeants d'Areva qu'il ne recommanderait pas un démantèlement du groupe dans son rapport et que son modèle intégré - des mines d'uranium au retraitement des combustibles usés - serait conforté. Ce qui semble aussi exclure un meccano industriel et une montée d'EDF dans le capital d'Areva.

Quant au GIE, "ce n'est pas absolument nécessaire", juge le député UMP Claude Gatignol, coprésident du groupe énergie de l'Assemblée nationale. "Je ne veux pas que la responsabilité soit diluée sous l'appellation GIE ou quelque chose comme ça."

En tout état de cause, spécialistes et industriels militent plutôt pour une formule assez souple, avec des consortiums à géométrie variable, selon les projets.

"Il faut avant tout écouter le client. Certains ne veulent voir qu'EDF, d'autres ne veulent pas voir EDF, qui appartient à 85% à l'Etat francais", souligne une source industrielle.

Edité par Gilles Trequesser