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La Provence attend sans passion son réacteur nucléaire

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par Jean-François Rosnoblet MARSEILLE (Reuters) - Malgré Fukushima, la Provence se prépare dans une relative sérénité à accueillir le réacteur...

par Jean-François Rosnoblet

MARSEILLE (Reuters) - Malgré Fukushima, la Provence se prépare dans une relative sérénité à accueillir le réacteur expérimental à fusion thermonucléaire Iter.

L'enquête publique relative à la création de l'installation à Cadarache, dans les Bouches-du-Rhône, a été lancée mercredi dans une douzaine de communes réparties sur quatre départements.

Du 15 juin au 20 juillet, les habitants des communes environnantes pourront consulter les 3.500 pages du dossier et consigner leurs observations.

Cette nouvelle étape dans le projet international suscite pourtant davantage d'animosité à l'échelon international qu'au niveau local où l'on a pris l'habitude de vivre au contact de l'industrie nucléaire.

"Une fois de plus, on se retrouve devant le fait accompli puisque le chantier est déjà bien avancé", regrette le président du comité de défense de l'environnement de Jouques et Peyrolles, Maurice Welhoff.

L'enquête publique porte sur le bâtiment du "tokamak", la chambre de confinement qui se trouve au coeur d'Iter et qui abritera en novembre 2019 les premières expériences de fusion. Sa structure en béton armé se compose d'une partie souterraine, profonde de 13 mètres, et d'une partie aérienne d'une hauteur de 61 mètres.

Les travaux de terrassement ont pour leur part débuté au mois de mars 2008. Plus de 2,5 millions de mètres cubes de matériaux ont été dégagés pour construire une plate-forme longue d'un kilomètre et large de 400 mètres sur une surface totale proche de 42 hectares.

A l'abri des regards, le chantier ne suscite guère de polémique. Il est vrai qu'ici, au coeur de la Provence, le désastre nucléaire de Fukushima n'a pas soulevé de passion particulière dans ces villages qui cohabitent, en bonne harmonie, depuis une cinquantaine d'années avec le Centre d'études nucléaires (CEA) de Cadarache.

NI FUKUSHIMA, NI TCHERNOBYL

"Cadarache et nous, c'est une histoire sans accroc", affirme le maire socialiste de Saint-Paul-lez-Durance, Roger Pizot.

"Le coeur des 21 réacteurs de base du CEA ne sont pas plus gros que le tambour d'une machine à laver. Rien ici n'est comparable à Fukushima ou Tchernobyl", ajoute celui qui est aussi le président de la Commission locale d'information.

Ce sentiment de sécurité est largement partagé par la population locale, même si Fukushima a un peu changé la donne.

"Les gens ne sont pas dupes sur ce projet mais ils ne sont pas encore prêts à passer dans une opposition active", explique Maurice Welhoff.

"Ils n'ont toutefois plus une confiance aveugle dans le nucléaire comme c'était encore le cas dans un passé récent. Fukushima a eu le mérite de leur rappeler que l'accident n'était pas qu'un fantasme", ajoute-t-il.

Il est aussi bien difficile pour les gens du cru de mordre la main qui les nourrit. Le CEA fait vivre une large partie des familles du Val de Durance, entre Sisteron et Aix-en-Provence. Avec ses 6.000 salariés, le CEA est l'un des plus gros employeurs de la région.

VOIX DISCORDANTES

Le projet Iter doit créer 500 emplois directs et 3.000 emplois indirects, dont 1.400 en Provence, pendant la phase de construction. Durant la phase d'exploitation, 1.000 personnes seront directement employées par Iter, dont 400 scientifiques, étrangers pour les deux tiers.

"Nul ne songe à nier les retombées économiques à l'échelon local, mais les gens supportent de plus en plus mal les inconvénients liés à la situation: spéculation sur les terrains à bâtir, manque de transports en commun ou encore augmentation de la pollution dans une région parmi les plus touchées en France par les pics d'ozone", tempère Maurice Welhoff.

Les voix discordantes se font aussi entendre au-delà des limites du territoire provençal.

Avant sa mort, Le prix Nobel de physique Georges Charpak avait réclamé l'été dernier avec plusieurs chercheurs de haut l'arrêt du projet de réacteur, jugé hors de prix et inutilisable.

Le coût du projet, porté par la Chine, la Corée du Sud, l'Europe, l'Inde, le Japon, la Russie et les États-Unis, s'est depuis envolé, passant de 5,9 milliards d'euros en 2001 à 16 milliards d'euros aujourd'hui, dont 45% à la charge de l'Europe.

"C'est un véritable hold-up sur le contribuable européen et les générations futures. Alors qu'on ne sait même pas si cette technologie produira de l'électricité un jour, la facture a déjà triplé", s'insurge l'eurodéputée écologiste Michèle Rivasi.

Décrié par ses opposants scientifiques et politiques, Iter reste aussi sous la stricte vigilance de l'autorité de sûreté du nucléaire (ASN) qui, en 2008, avait retoqué le dossier de création de l'installation nucléaire avant de le juger recevable, en 2010, après révision de plusieurs points.

Le gendarme du nucléaire poursuit aujourd'hui l'instruction technique de la demande d'autorisation relative à l'installation du super réacteur, dont l'enquête publique est l'un des volets.

Points positifs, l'ASN a constaté une "progression du niveau de sûreté" et des "efforts de transparence" du CEA lors des 49 contrôles menées en 2010 sur le site de Cadarache.

Edité par Patrick Vignal