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L'interdiction totale de la burqa, un risque juridique

LE VOILE INTÉGRAL EN FRANCE

LE VOILE INTÉGRAL EN FRANCE - -

par Clément Guillou PARIS - L'option de l'interdiction totale de la burqa en France, choisie par Nicolas Sarkozy après des mois de tergiversations,...

par Clément Guillou

PARIS (Reuters) - L'option de l'interdiction totale de la burqa en France, choisie par Nicolas Sarkozy après des mois de tergiversations, est la plus risquée pour trancher ce dossier, estiment la gauche et des juristes.

Le Premier ministre François Fillon s'est dit prêt mercredi à prendre "des risques juridiques", allusion à l'avis du Conseil d'Etat pour qui le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) pourraient rejeter ce texte.

Selon lefigaro.fr, le gouvernement va décréter l'urgence sur le projet de loi dans l'espoir qu'il soit adopté avant la fin de la session extraordinaire, prévue autour du 20 juillet.

Les services de Matignon ont toutefois indiqué que "cette question de procédure n'(avait) pas été tranchée". "Pour l'instant on ne sait pas quand ça le sera", a-t-on ajouté.

Le président de l'Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a déclaré jeudi à Reuters qu'il souhaitait que la loi soit examinée rapidement mais sans précipitation et ajouté que l'information du Figaro était "fausse".

Une partie de la droite, dont le chef de file des députés UMP, Jean-François Copé, s'était prononcée en faveur d'une loi interdisant le port du voile intégral.

"Nous avons pensé que l'interdiction partielle avait autant d'inconvénients et sans doute plus de complexité, de difficultés, que l'interdiction totale", a dit jeudi sur Canal+ le porte-parole du gouvernement Luc Chatel, interrogé sur l'éventualité d'une censure par les Sages.

"Ce n'est pas passer en force, à un moment le pouvoir politique doit prendre ses responsabilités", a-t-il ajouté, rappelant que les socialistes avaient agité la même menace d'inconstitutionnalité lors du débat sur l'interdiction des signes religieux à l'école en 2004.

QUID DES TOURISTES SAOUDIENNES ?

Pour le député socialiste Pierre Moscovici, qui s'exprimait sur France Inter, les propos de François Fillon témoignent d'une volonté de "passage en force contre la Constitution".

Les socialistes, tout en se disant opposés au voile intégral, ont prévenu que la loi serait difficile à appliquer.

"On imagine mal les policiers courir dans les rues pour retirer le voile au femmes", a ironisé Jean-Christophe Cambadélis sur i>Télé.

Le médiateur de la République, Jean-Paul Delevoye, a ironisé sur le risque de situations ubuesques pour un problème qui, selon le gouvernement, concerne 2.000 femmes. "Je ne sais pas comment on va faire avec les Saoudiennes qui viennent acheter sur les Champs-Élysées", a-t-il dit mercredi sur RMC.

L'ancien Premier ministre Dominique de Villepin a accusé sur i>Télé le gouvernement de "vouloir éternellement appuyer là où ça fait mal, vouloir cliver, prendre le risque de diviser et de stigmatiser un peu plus".

Le gouvernement a choisi d'ignorer les recommandations du Conseil d'Etat, pour qui l'interdiction du voile intégral dans les lieux publics était préférable à l'interdiction totale, qui soulèverait de "sérieux risques" constitutionnels.

"SYMBOLIQUEMENT FORTE MAIS JURIDIQUEMENT FRAGILE"

Les constitutionnalistes interrogés lors d'une audition en novembre devant la mission d'information de l'Assemblée nationale sur cette question sont partagés.

"Les risques en question, pour réels qu'ils peuvent être, n'apparaissent absolument pas considérables", a dit Guy Carcassonne sur France Info.

Le professeur de Nanterre expliquait devant la mission parlementaire que la loi ne passerait les obstacles juridiques qu'en étant fondée sur l'ordre et la sécurité publics, soulignant qu'il ne fallait pas utiliser comme fondement la laïcité ou les contraintes faites aux femmes.

Or, selon Luc Chatel, l'interdiction totale vise à montrer que la République ne transige pas avec la "dignité de la femme".

Bertrand Mathieu, professeur à l'université Paris I, estimait devant la mission que l'interdiction générale serait "symboliquement forte mais juridiquement fragile".

Selon lui, la CEDH, dont la jurisprudence met en avant la liberté de conscience, et le Conseil constitutionnel, dont la position s'inspire généralement de la jurisprudence du Conseil d'Etat, s'y opposeraient.

Denys de Béchillon, de l'université de Pau, décrivait, lui, l'interdiction complète comme "le scénario maximal, celui qui fait problème sur le plan juridique".

Avec Emmanuel Jarry et Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse