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L'incendie de Fort McMurray, "une parabole de la folie humaine"

Vue aérienne d'un site Syncrude d'exploitation de sables bitumineux près de Fort McMurray en 2009.

Vue aérienne d'un site Syncrude d'exploitation de sables bitumineux près de Fort McMurray en 2009. - Mark Ralston – AFP

Le gigantesque incendie qui ravage la région de Fort McMurray, au Canada, a fait des milliers de sinistrés et porte un coup dur à l'économie du pays, met aussi en lumière l'exploitation controversée des sables bitumineux.

Il aura fallu que plus de 200.000 hectares de forêts aient brûlé et que 100.000 personnes soient évacuées pour que les projecteurs soient braqués sur Fort McMurray, cette ville surnommée "Fort McMoney" tant sa croissance paraissait sans limite ces dernières années. Plus grand site mondial d’exploitation de pétrole situé dans la troisième réserve de pétrole de la planète, cette "ville pétrole" est depuis longtemps décriée par les écologistes pour son exploitation à marche forcée et particulièrement polluante des sables bitumineux (voir encadré en bas de l'article).

Le journaliste français David Dufresne avait réalisé le documentaire et le jeu documentaire "Fort McMoney" en 2013. Il décrit sur son blog "un territoire vaste comme la Hongrie, le plus grand chantier industriel de la planète, troisième réserve mondiale d’hydrocarbures, sorte de Gotham City, flammes et fumées, avec poissons difformes et multiplications de cancers rares chez les peuples autochtones".

"C'est une ville fascinante puisqu'il y a une dizaine d'années, c'était encore une petite ville de 30.000 habitants qui avec l'explosion du prix du pétrole et l'exploitation des sables bitumineux est passée à 130.000 habitants", expliquait-il sur BFMTV dimanche. "Ce feu, il faut le voir pour ce qu'il est, un symbole, une parabole de la folie humaine qui nous conduit à exploiter un sol de manière complètement dingue", ajoutait-il.

Moteur de l'économie canadienne sur le déclin

Parmi les 100.000 personnes évacuées de la région de Fort McMurray figurent des milliers de travailleurs de l'industrie pétrolière, poumon économique de la province et moteur de l'économie canadienne, avant la dégringolade du prix de l'or noir, il y a deux ans.

Pour les compagnies et pour l'économie canadienne, cette catastrophe tombe au plus mauvais moment. Sur les deux dernières années, les pétroliers ont licencié en masse leurs salariés et l'économie canadienne est même tombée en récession l'an dernier, le secteur énergétique comptant pour 10% du PIB.

En 2015, le secteur pétrolier et gazier a licencié 30.000 personnes, selon les chiffres du cabinet Petroleum Labour market, après déjà quelques milliers l'année précédente.

Avant même le départ des feux il y a tout juste une semaine, l'économie de l'Alberta, où le secteur des ressources naturelles contribue pour le tiers du PIB, était déjà en récession. Pour le seul mois d'avril, 21.000 emplois avaient été supprimés, portant le taux de chômage à 7,2%, soit plus de deux fois son niveau d'avant la crise pétrolière.

Exploitation de sables bitumineux près de Fort McMurray, en 2009.
Exploitation de sables bitumineux près de Fort McMurray, en 2009. © Mark Ralston - AFP

"La ville qui croyait pouvoir ignorer le changement climatique"

Officiellement, les compagnies pétrolières comme la canadienne Suncor misent sur "un redémarrage rapide et fiable des installations" une fois que les feux auront été maîtrisés ou éloignés de leur zone d'exploitation. Mais des voix commencent à s'élever pour réclamer une réflexion sur la pertinence du projet.

"Il faudrait que le gouvernement se demande si ça vaut le coup de parier dessus", pointait sur BFMTV dimanche, Thomas Porcher, co-auteur de 20 idées reçues sur l'énergie.

"Le feu de Fort McMurray, c’est l’opportunité de nous sortir des hydrocarbures. Pourquoi dépenser plusieurs milliards, encore, dans une industrie destinée à mourir?", s'interroge Jean-François Hotte, blogueur québécois et ex-travailleur de Fort McMurray, dont le post a été relayé par Le Devoir, Métro Montréal et Le Journal de Montréal.

Dans un éditorial consacré à ce "symbole de la folie de la cupidité et de l’aveuglement", Reporterre rappelle que "le changement climatique se déploie sur la planète, et les régions les plus proches du pôle Nord sont les plus affectées par le réchauffement. Au printemps 2016, la température moyenne dans l’Alberta était bien plus élevée que la normale saisonnière: 30°C au lieu de 15°C ! Des conditions idéales pour que se déclenchent des feux de forêts. Ceux-ci ont rugi, créant un brasier d’enfer autour de la ville des sables bitumineux, la ville qui croyait pouvoir ignorer le changement climatique, la ville qui croyait que l’on pouvait détruire la nature impunément."

c'est quoi les sables bitumineux?

Les sables de l’Athabasca, du nom la rivière qui arrose Fort McMurray, sont connus de longue date, mais n'ont commencé à intéresser les géants du secteur pétrolier que lorsque le cours du pétrole a dépassé les 100$ le baril. "C'est une énergie extrême", décrivait l'économiste Thomas Porcher sur BFMTV dimanche, auteur de 20 idées reçues sur l'énergie.

L'exploitation de ce pétrole non conventionnel coûte en effet très cher. Extraire le pétrole du sable bitumineux requiert des quantités énormes d’eau. Pour chaque baril de pétrole produit, au moins 2,6 barils d’eau doivent être extraits de la rivière Athabasca, ou de nappes phréatiques locales. Leur exploitation détruit des forêts et des zones humides, pollue les sols et les eaux, tout en générant des rejets de gaz à effet de serre très supérieurs à ceux des forages pétroliers conventionnels.

Défenseur sans faille des sables bitumineux, le gouvernement de droite de Stephen Harper avait claqué la porte au protocole de Kyoto sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre en 2011, se sachant incapable d'en respecter les engagements ,du fait de l'exploitation des sables bitumineux.

L'essentiel de la production est vendue aux Etats-Unis, mais Barack Obama y avait mis un coup d'arrêt en rejetant en novembre dernier le rejet du projet d’oléoduc Keystone XL. À moins d’un mois de la conférence de Paris sur le climat, le Président américain avait notamment invoqué le rôle des États-Unis dans la lutte contre les changements climatiques pour justifier sa décision.