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L'Homo naledi "sans âge" laisse les scientifiques sceptiques 

La découverte jeudi en Afrique du Sud d'un lointain cousin de l'espèce humaine, pour enthousiasmante et réelle qu'elle soit, a aussi été magistralement mise en scène. Mais, pour, selon le vœu des découvreurs d'Homo naledi, "marquer l'histoire" et convaincre tout à fait leurs collègues paléontologues, une datation de ces ossements fait cruellement défaut.

Il manque une caractéristique essentielle pour parfaire auprès de la communauté scientifique l'importance de la découverte par le paléoanthropologue américain Lee Berger d'Homo naledi "une nouvelle espèce de notre ancêtre", révélée au grand public ce jeudi. Ce détail qui fâche tient tout simplement à la datation des ossements. L'âge des fossiles retrouvés au fond d'une grotte profonde près de Johannesburg en Afrique du Sud, sur le très riche site archéologique du "Berceau de l'humanité", n'est pas connu avec certitude.

"Cela peut devenir une découverte très importante, mais c’est l’âge géologique qu’on pourra attribuer à ces spécimens qui le dira", commente auprès du Monde Michel Brunet, découvreur de Toumaï (7 millions d’années), au Tchad. William Jungers, anthropologue à l'école de médecine new-yorkaise Sony Brook, souligne l'enjeu de cette datation: "S'ils sont vieux de deux millions d'années, alors ils (les ossements, ndlr) pourraient appartenir à une variante précoce d'Homo erectus, une espèce bien connue dans la région. S'ils sont bien plus récents, il pourrait s'agit d'une espèce endémique qui a perduré de manière isolée. Dans ce cas il s'agit plus d'une curiosité, que d'une découverte susceptible de changer la donne", explique-t-il dans le journal britannique The Guardian. Tim White, paléontologue à l'Université de Californie est du même avis: "Les éléments présentés ici semblent plutôt appartenir à une forme primitive d'homo erctus, une espèce identifiée dans les années 1800".

Une mise en scène de premier ordre

Le mythe du scientifique discret tout à ses travaux et ne sachant pas communiquer a vécu. Lee Berger en collaboration avec le National Geographic a mis en scène de manière magistrale sa découverte. S'il est vrai qu'en sciences plus encore qu'ailleurs la publicité ne vaut pas vérité, certains collègues se sont agacés qu'un documentaire et qu'une statue étaient déjà prêts lors de la révélation de la découverte jeudi. L'autre canal de diffusion de cette découverte le magazine eLife qui a été préféré aux sérieuses revues Nature ou Science, paraît également étonnant au regard de l'importance revendiquée d'Homo naledi.

Les "chasseurs d'os", on pourtant réalisé un travail extraordinaire en exhumant entre 2013 et 2014 plus de de 1.550 os appartenant à au moins 15 individus, parmi lesquels des bébés, de jeunes adultes et des personnes plus âgées. Il s'agit du plus grand échantillon de fossiles hominidés jamais exhumés en Afrique.

Des hypothèses un peu vite formulées?

Alors, faut-il finalement s'enthousiasmer ou relativiser l'exhumation d'Homo naledi? Outre son époque inconnue, le profil de ce supposé lointain cousin prête à la controverse. Avec son cerveau minuscule "de la taille d'une orange", il joue davantage dans la cour des australopithèques que dans celle du genre Homo. Même si son corps, rappelons qu'il mesurait en moyenne 1,5 mètre pour 45 kg était "très élancé", et que ses mains et ses pieds étaient déjà très semblables à ceux de l'homme moderne.

Yves Coppens, découvreur de Lucy en 1974, tranche dans Le Monde que "l'Homo en question n’est, bien sûr, pas un Homo, avec la petite tête qu’il a, mais un australopithèque de plus, de même qu’il y a eu de nombreuses espèces différentes de cochons, d’éléphants, d’antilopes, en fonction des variations du climat et des niches écologiques." Autrement dit, cette découverte ne ferait que confirmer l'extrême complexité de l'arbre généalogique humain sans faire d'Homo naledi le chaînon manquant entre les pré-humains et nous.

Rites funéraires ou piège mortel?

L'autre point d'achoppement concerne l'hypothèse formulée jeudi par les chercheurs qu'Homo naledi se livrait à des rites d'inhumation, la grotte dans laquelle ils ont été retrouvés pouvant être une chambre funéraire préhistorique. Dans ce cas les corps auraient été transportés par ces hominidés à travers le boyau étroit – certes, Homo naledi était plutôt fluet – au fond de la cavité. Là encore, rien n'est moins sûr, affirme Yves Coppens qui pensent que ces individus "ont été pris dans un piège naturel". Dans ce cas, Homo Naledi serait plus proche de l'australopithèque que de l'homme de Néandertal où de l'homo sapiens dont on sait avec certitude qu'ils inhumaient leurs morts.

David Namias