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« L’Arctique est un territoire qui excite beaucoup de convoitises »

Jean-Claude Gascard, Océanographe

Jean-Claude Gascard, Océanographe - -

Jean-Jacques Bourdin recevait Jean-Claude Gascard, Océanographe, coordinateur du programme d’étude de l’Arctique Damoclès

J-J B : On va parler de l’Arctique mais aussi de l’Antarctique, ces grandes cités blanches qui intéressent au plus haut point beaucoup de pays du monde, parce que sous la glace il y a des ressources minières importantes, notamment du pétrole, du gaz…Toutes les convoitises sont là et de nombreux pays revendiquent ces contrées blanches. Une expédition danoise fait route vers l’Arctique afin de cartographier les fonds marins au nord du Groenland. Quelle est la superficie de l’Arctique ?

J-C G : L’Arctique, en hiver, si on le circonscrit à la partie qui est couverte de banquise , fait 14 millions de km², ce qui représente plus de vingt fois la superficie de la France. Pour l’Océan, c’est au moins autant que les parties émergées. C’est un continent immense.

J-J B : Que vont faire les danois là-bas ?

J-C G : Ils sont sur un brise glace suédois, c’est donc une mission Danemark et Suède. Ils vont cartographier, au nord du Groenland, l’extension du plateau continental, c’est-à-dire la partie de l’Océan qui est peu profonde, soit entre cent et deux cent mètres, et voir son raccordement avec cette chaîne de montagne qui s’appelle la Ride de Lomonosov et qui rejoint le Groenland à la Sibérie.

J-J B : Il s’agit de savoir à qui appartient le territoire.

J-C G : Il y a eu une convention internationale qui a été signé par plus de cent quarante pays, donc tout le monde s’attache à la respecter, qui donne aux pays riverains un droit territorial et économique sur le plateau continental où l’on fait beaucoup de pêche, où il y a beaucoup d’explorations minières. Ce plateau continental est donc rattaché aux pays riverains.

J-J B : Vous allez nous parler du programme Damoclès, projet pilote de l’Union Européenne pour l’année polaire internationale. L’Arctique, le continent, est donc revendiqué par sept pays.

J-C G : Il y a cinq pays riverains : les Etats-Unis avec l’Alaska, le Canada, la Russie, le Danemark et la Norvège. Ni la Suède ni la Finlande n’ont en revanche de rivage qui atteigne le continent. Tous ces pays nordiques font partie du comité arctique mais ils ne sont pas riverains.

J-J B : Comment regardez-vous, avec l’œil du scientifique, ces rivalités qui sont en train de s’exacerber ?

J-C G : L’Arctique, contrairement à l’Antarctique est un territoire très sensible, c’est un endroit géostratégique depuis très longtemps. On a longtemps parlé de la Guerre Froide avec les Russes et les Américains qui se regardaient par-dessus l’Arctique. L’Arctique est un territoire qui excite beaucoup de convoitises et qui n’est pas protégé, comme l’Antarctique, par un traité, donc il y a de l’exploitation minière, il y a des opérations militaires, il y a beaucoup de pêche aussi qui s’exerce dans ces territoires. Avec le réchauffement climatique qui ouvre des voies maritimes nouvelles, les données du problème changent. Dans le cadre de l’année polaire internationale, il y a une sorte d’exacerbation sur tous ces problèmes qui attisent donc les convoitises.

J-J B : Le programme Damoclès vise à observer, comprendre et quantifier les changements climatiques en Arctique.

J-C G : C’est effectivement l’objectif du programme Damoclès, qui est un programme européen, coordonnée par la France ; il a pour objectif de comprendre quelle est l’influence de l’Océan Arctique sur le climat, comment cet Océan subit les effets du réchauffement climatique, et, se faisant, comment pourrait il changer les données du problème de réchauffement climatique global.

J-J B : Certains disent que la Banquise va disparaître…

J-C G : Oui, mais en été. En hiver, la glace se reformera. Paradoxalement, on aurait plus de glace qui se reformerait en hiver puisqu’il faudrait regeler tout l’Océan, alors qu’actuellement, la moitié de l’Océan Arctique reste couvert de glace de mer toute l’année. Les sept millions de glace sont en voies de disparition si je puis dire.

J-J B : Ce qui veut dire que les ours polaires vont disparaître ?

J-C G : C’est un véritable problème car l’ours polaire a besoin de la glace pour chasser, pour attraper les phoques, donc pour se nourrir, et si la glace fait défaut il va effectivement y a voir un problème pour les ours.

J-J B : Pour les ours et d’autres espèces ?

J-C G : Et d’autres espèces qui sont aussi liées à la Banquise.

J-J B : Et c’est inéluctable ?

J-C G : Disons que ça s’est produit dans le passé, naturellement, la terre joue sur plusieurs registres sur le plan climatique. Depuis quelques millions d’années nous sommes dans un cycle climatique glaciaire interglaciaire. Hors de ce cycle là, il y a très longtemps, la Terre était en surchauffe, il n’y avait pratiquement pas de glace sur Terre et on peut effectivement se retrouver dans des conditions semblables. On en est encore assez loin. Ce qu’on est en train de voir c’est effectivement, dans le cycle glaciaire interglaciaire, si on ne peut pas atteindre d’autres extrêmes, avec des disparitions massives de glace de mer mais aussi de glace continentale.

La rédaction-Bourdin & Co