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Kahn : « Un gène ne commande pas un destin »

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Axel Kahn, généticien, directeur de l’institut Cochin et nouveau président de l’université Paris Descartes, vulgarise son domaine de recherche avec maestria.

J-J B : Pour commencer je voudrais regarder de près avec vous cette dépêche, qui nous ait parvenu il y a quelques jours et qui nous apprend que des chercheurs japonais ont produit des souris génétiquement modifiées qui ne manifestent plus de peur devant les chats. Notre monde change, dites-nous…
A K : On commence à connaître les mécanismes des émotions. Et en particulier au niveau du cerveau ; on sait les noyaux centraux qui vont s’allumer, c'est-à-dire au niveau desquels l’activité cellulaire va augmenter, lorsque l’animal va ressentir un stress, une frayeur, une peur, une émotion désagréable. Alors si vous arrivez à handicaper ces structures, à faire en sorte qu’elles ne travaillent plus, il n’y a plus d’émotion, il n’y a plus de peur.

J-J B : Donc on modifie la génétique de l’animal ou de l’homme et on tue la peur ?
A K : Ce n’est pas tellement la génétique, ça l’est un peu parce que le gêne est le programme des propriétés de toutes les parties du corps mais vous pourriez faire la même chose avec une opération chirurgicale. Si vous modifiez ce noyau qui est responsable des émotions, de la même manière, vous allez faire une souris totalement impavide quand elle va voir le matou.

J-J B : Donc un homme par extension, peut être un jour…
A K : Mais c’est très dangereux de ne pas avoir de peur (rires). La souris qui n’a pas peur du chat, elle ne fera pas de vieux os par exemple.

J-J B : Je croyais que la peur était le fruit de l’expérience…
A K : Non, la peur n’est pas le fruit de l’expérience, la peur est innée. Et il faut bien comprendre pourquoi, c’est le mécanisme de l’évolution. L’évolution va conserver des caractéristiques qui apparaissent au hasard, lorsqu’elles sont avantageuses. Prenons le cas de la souris : c’est très avantageux pour une souris d’avoir peur des chats. Si vous avez d’un seul coup une modification génétique telle que les souris arrêtent d’avoir peur des chats mais ne deviennent pas beaucoup plus costauds en même temps, évidemment le lignage va s’éteindre rapidement. C’est donc vraiment un comportement adaptatif sélectionné par l’évolution.

J-J B : Mais vous vous rendez compte, on rend des êtres humains tellement courageux qu’ils n’ont plus peur de rien, c’est de la science fiction…
A K : Vous n’avez pas l’impression qu’on l’a déjà fait : les kamikazes, les hommes et les femmes qui se font sauter avec leur ceinture d’explosifs, les espèces de troupes de brutes épaisses, et même on a eu des hommes en 14-18, dans des conditions totalement épouvantables. En fait, en dehors même de la génétique et de la chirurgie, il y a des procédés psychologiques pour amener des hommes à des comportements totalement insensés surmontant leur peur.

J-J B : Regardons les progrès de la génétique, quels sont les progrès les plus récents et quelles sont les perspectives ouvertes par ces progrès ?
A K : Je vais donner deux grandes directions : la première au niveau un peu fondamental mais ce sera l’application de demain et l’autre au niveau de l’application pas vraiment en génétique mais en biologie cellulaire. Au niveau fondamental, ce qui est très nouveau, c’est qu’on ne connaît pas aussi bien qu’on le croyait. Lorsqu’on a séquencé les génomes, on s’est mis à dire qu’on avait 23 000 gênes, on commence à les connaître tous, et on se disait que c’était la fin de l’histoire de la biologie. Mais pas du tout, c'est-à-dire que ces 23 milles gênes, ce n’est peut être uniquement que la partie émergée de l’iceberg et peut être qu’il y a, en dehors de ces gênes que l’on a repéré, beaucoup plus encore à connaître qu’on a décelé, qu’on a détecté. Il y a des petits signaux, qui sont en quelque sorte les chefs d’orchestre du fonctionnement de nos gênes. Alors il y a nos gênes, mais s’il n’y a pas de chef d’orchestre, s’ils ne sont pas mis en musique alors ils ne fonctionnent pas bien. On commence à savoir qu’en dehors des gênes il y a de très nombreux postes de contrôle qui sont responsables de leur fonctionnement. Moi j’ai 63 ans, j’ai des petits-fils qui auront des enfants, et certains pourront être biologistes et il y aura encore de trucs à chercher et à trouver.
Maintenant, dans un autre domaine qui est celui de la biologie cellulaire, c'est-à-dire la connaissance des cellules et de la médecine régénératrice. Il y a eu une période où l’on a dit n’importe quoi. On a proposé et on a vendu aux gens une idée complètement folle, presque stupide, qu’on allait réussir à soigner les gens, qu’on allait par exemple, si vous aviez un infarctus du myocarde, renforcer votre cœur en prenant des cellules de votre peau, en prenant des ovocytes de jeune femme, et en mettant les noyaux des cellules de votre peau dans les ovocytes des femmes qui auront donné ces cellules et en faisant du clonage thérapeutique. Ça a toujours été stupide comme idée, parce que si pour soigner quelqu’un il faut trente jeunes femmes en activité sexuelle, pour des raisons éthiques et financières et de complication, on ne va pas en faire beaucoup. Maintenant les japonais, il y a un an et maintenant c’est confirmé, ont trouvé le moyen et ont détecté trois gênes qui, introduits dans les cellules de la peau, les transforment en cellules ayant toutes les propriétés des cellules embryonnaires et ensuite on pourra commander à ces cellules embryonnaires de se transformer en cellules du cœur, et peut être, dans dix ans, on pourra, à partir de la peau, faire deux étapes (embryonnaires puis cardiaques) qui feront que le cœur sera à l’ouvrage. Ça c’est la grande découverte dans ce domaine là des années 2006-2007.

J-J B : Ce qui veut dire qu’on pourra soigner toutes les maladies bientôt ?
A K : Non…

J-J B : Parce que je lis « le cancer, le diabète, Alzheimer, ça va permettre de tester de nouveaux médicaments ; en matière de transplantation d’organes, toutes ces recherches vont permettre aux médecins de créer des cellules ayant le patrimoine génétique d’un patient spécifique éliminant les risques de rejet. »
A K : C’est une voie, c’est une piste, mais vous savez il y a des promesses qu’il ne faut jamais croire. Si un médecin vous dit que demain il n’y a plus de maladie et qu’on peut toutes les soigner, il faut se demander s’il n’exagère pas un peu. Tout ce que je peux vous dire c’est que cette voie là n’est pas fantasmagorique, que l’on aboutira dans les dix ans qui viennent vraiment à des traitements.

J-J B : Ça veut dire qu’on cultive des cellules ?
A K : Ça fait très longtemps ça, ça fait 70 ans qu’on sait cultiver les cellules.

J-J B : On cultive des cellules, mais des cellules souches si j’ai bien compris ? C’est quoi une cellule souche ?
A K : Une cellule souche, c’est une cellule qui est souche dans le sens que l’on donne à ce mot comme quand on parle de la souche d’un arbre ; la souche d’un arbre est à l’origine de l’arbre, la cellule souche est donc à l’origine soit d’un organe adulte, soit de l’embryon de chacun.

J-J B : On cultive donc ces cellules souches ?
A K : Mais ce n’est pas ça qui est extraordinaire. Ça c’est déjà dépassé.

J-J B : Qu’est ce qui est extraordinaire ?
A K : C’est qu’on va prendre des cellules de la peau, qui ne sont pas des cellules souches, et on va les retransformer en cellules souches, c’est ça qui est extraordinaire. C'est-à-dire qu’on n’aura plus besoin de cultiver des cellules souches, on pourra prendre des cellules sur la peau, un organe quelconque, de la personne à soigner.

J-J B : Le progrès scientifique vous fait-il peur ?
A K : D’abord, il n’y a pas grand-chose qui me fasse peur, ce n’est pas le progrès qui me fait peur, c’est l’homme, c’est ce que nous ferons du progrès. Quand on me demande si je suis plutôt confiant ou inquiet, je réponds les deux. Mon espoir c’est l’homme, et ma crainte c’est l’homme.

J-J B : Dans toutes les découvertes qui ont été faites ces derniers temps, qu’est ce qui vous a fait peur, qu’est ce qui vous inquiète ?
A K : Ce ne sont pas tellement les découvertes elles-mêmes qui m’inquiètent, ce qui m’inquiète c’est la persistance de fortes contraintes idéologiques. Ce qui m’a inquiété dans la dernière période, je me suis d’ailleurs manifesté, c’est la reviviscence de cette notion qui ramène l’homme à ses bases biologiques, à ses gênes. La détection de la famille humaine ramenée à la famille génétique avec les tests ADN du député Mariani, c’est la notion selon laquelle les délinquants sont des délinquants de naissance, les pédophiles le sont de naissance aussi. Ça, ça me fait peur.

J-J B : Est-ce que les délinquants sont des délinquants de naissance, est ce que les pédophiles le sont aussi de naissance ?
A K : La réponse est non. Un gêne ne commande pas un destin. En revanche, ce qui est vrai, c’est que nous sommes tous confrontés à la dureté de la vie et les réactions que nous allons avoir face à cette dureté, vont être différentes entre chacun. Il y a peut être des personnes, en effet, qui sont plus susceptibles de tomber dans la dépression, d’avoir une réaction très agressive, quand elles sont soumises aux mêmes stimulations difficilement supportables de la vie, ça c’est vrai. Il faut bien retenir qu’un gêne ne commande jamais un comportement ou un destin. Un gêne commande une réactivité à un milieu.

J-J B : Mais à partir de quel moment ces personnes deviennent-elles vulnérables ?
A K : Il y a un très bel exemple qui a été scientifiquement prouvé et élucidé : c’est un gêne qui, il y a vingt-deux ans, était considéré comme un gêne de passage à l’acte de violence et notamment de violence sexuelle. On a ensuite vu que les choses étaient plus compliquées. D’autres études n’ont pas confirmé vraiment leur notion. Ce dont on s’est rendu compte c’est que l’anomalie de ce gêne, lorsque les enfants étaient bien traités dans leur enfance, n’avait aucune incidence. En revanche, tout le monde sait que les enfants maltraités sont plus souvent des adultes maltraitants. Et bien, quand les enfants étaient maltraités et qu’ils avaient une anomalie de ce gêne alors ils devenaient des adultes maltraitants, cinq à huit fois plus fréquemment. Ça veut dire que ce n’est pas un gêne de la violence mais un gêne de la susceptibilité à cette épreuve épouvantable qu’est le fait d’être maltraité dans son enfance. Voila ce qu’il faut comprendre.

J-J B : Les tests ADN, j’oublie l’aspect politique des choses. Certains disent que ça va servir à prévenir certaines maladies, d’autres disent que ça permet de vérifier vraiment de qui est tel enfant…ça se développe partout ces tests ADN ?
A K : Il y a plusieurs aspects.

J-J B : Mais c’est sérieux ou pas ?
A K : Il y a les deux. C'est-à-dire qu’il y a effectivement les tests ADN qui vont permettre non seulement de prédire des maladies mais quand on peut prédire une maladie inéluctable ce n’est pas très intéressant, mais dans certains cas, on peut prédire des maladies que l’on pourra prévenir et ça c’est vraiment très intéressant.

J-J B : Lesquelles par exemple ?
A K : Il y en a plusieurs ; l’une d’entre elles c’est le glaucome dans une forme génétique. On connaît le gêne qui code ses formes génétiques, et on sait très bien que l’hypertension oculaire peut entraîner des accidents. Or, un traitement préventif ou éventuellement une opération chirurgicale préventive, peut mettre totalement à l’abri. Deuxième cas, il s’agit d’une maladie par surcharge en fer qu’on appelle l’hémochromatose qui est très fréquente et si on sait que la personne est susceptible, il suffit de lui dire qu’elle va être donneur ou donneuse de sang, et la personne, comme elle va rejeter du fer en donnant son sang, ne sera jamais malade. Des cas comme ça il y en a maintenant des dizaines.

J-J B : Lorsqu’on dit, commercialement, à quelqu’un, de passer un test ADN et un jour il saura s’il a le cancer, ou une crise cardiaque un jour, c’est bidon ou pas ?
A K : Ça existe, il y a des prédispositions génétiques au cancer. Cela étant dit, lorsque des firmes vendent ce service là, ce qu’elles cherchent c’est du business et souvent il y a totalement une allégation mensongère. Il ne faut pas être étonné : regardez le nombre de personnes qui allaient voir Mme Irma pour connaître son avenir. Aujourd’hui il y a les généticiens qui prétendent faire exactement la même chose mais en plus avec l’aura du grand scientifique et de la grande génétique. Vous pensez s’ils font du business.

J-J B : Donc méfiance…
A K : Naturellement, méfiance.

J-J B : Mais les tests ADN pour la recherche de paternité, ça, ça fonctionne ? Ce n’est pas autorisé en France…
A K : C’est normal. Le problème c’est que la famille humaine, c’est naturellement les gênes, le sang, mais c’est également l’amour, l’affection…L’idée était de ne pas, dans une loi, indiquer qu’on pouvait bouleverser la définition des contours de la famille uniquement sur la base d’une non filiation biologique. Par conséquent, quand un père a reconnu un enfant, il ne peut pas le rejeter sous prétexte de problème familial. La famille humaine ça n’est pas ça. En France, si vraiment vous allez voir le juge en disant que j’ai fait un test et que l’enfant que je croyais mien ne l’est pas, alors très bien mais vous resterez le père. On peut faire le test mais il n’aura pas de valeur juridique.

J-J B : Il parait que dans le cordon ombilical, on découvre des choses passionnantes ?
A K : C’est vrai. On parlait tout à l’heure des cellules souches, on a découvert qu’au niveau du cordon ombilical, il y a des cellules qui sont déjà des cellules souches. Autour de ça, il y a un extraordinaire business également qui s’est développé sur une allégation mensongère. Aujourd’hui il y a des dizaines et des dizaines de firmes qui disent aux parents que grâce aux cellules souches du cordon ombilical du placenta on pourra faire des miracles donc nous proposons de les prélever et de les conserver congelés ; aujourd’hui pour l’essentiel, ce sont des allégations mensongères. Peut être qu’un jour ce sera vrai, mais aujourd’hui c’est un business avec une publicité mensongère.

J-J B : Les cellules du cordon ombilical ne pourront pas soigner un cancer qui toucherait notre enfant ?
A K : Sauf un type de cancer, où c’est déjà vrai, qu’est la leucémie de l’enfant. Pour traiter des leucémies de l’enfant, une des méthodes utilisées qui marche bien c’est la greffe de moelle, en fait la greffe de cellules souches du sang, et il y a une réserve de cellules souches du sang extrêmement importante et avec des propriétés satisfaisantes dans le sang ombilical. Donc d’ores et déjà c’est vrai. Cela étant dit, on peut également soigner cet enfant avec des banques de cellules de sang ombilical, donc vous voyez qu’il y a déjà une alternative. Le risque que notre enfant fasse une leucémie de l’enfant est de 1 pour 100 000 donc ça reste une allégation mensongère.

J-J B : Une dernière question sur l’université : 32500 étudiants pourquoi présider une université ?
A K : Parce que le défi en vaut la peine. J’ai 63 ans, j’ai une carrière, je n’ai plus rien à prouver, et je me suis posé la question de savoir si je continuais à faire ce que je fais depuis quarante ans ou bien éventuellement je peux aider des jeunes beaucoup plus en difficulté que moi parce que j’ai des idées, j’ai l’énergie, j’ai peut être une notoriété qui va nous aider à modifier les choses. Je crois que le défi en vaut la peine.

J-J B : Vous allez avoir suffisamment de moyens ?
A K : On verra, sans doute non, mais j’ai déjà l’énergie.

J-J B : Vous savez que le taux d’échec en premier cycle est un vrai problème ?
A K : C’est une de mes missions prioritaires, ne pas m’en satisfaire. C’est une tragédie épouvantable. Dans mon université, il y a 5 000 étudiants qui rentrent et qui sortent sans aucun diplôme et c’est inacceptable, c’est un gâchis épouvantable, on ne peut pas laisser les choses dans cet état.

La rédaction-Bourdin & Co