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"Je n'avais jamais vu de fœtus noir": sur Instagram, un étudiant pointe le manque de diversité dans la médecine

Quelques illustrations médicales de Chidiebere Ibe.

Quelques illustrations médicales de Chidiebere Ibe. - Chidiebere Ibe

Son dessin de foetus à la peau noire a fait le tour du monde. Avec ses schémas médicaux de corps noirs, le jeune étudiant en médecine veut mettre en exergue le manque de représentation des personnes noires dans le milieu médical. Chiedebere Ibe, Nigérian de 25 ans, a répondu aux questions de BFMTV.com.

"Je n'avais jamais rien vu de tel!" Depuis début décembre, un dessin médical de foetus noir dans le ventre de sa mère a fait le tour du monde. Cette illustration a été réalisée par Chiedebere Ibe, un jeune étudiant en médecine nigérian désireux de donner davantage de place aux corps noirs dans la sphère médicale.

Depuis cet été, le jeune homme dessine des schémas anatomiques représentant des personnes noires afin d'attirer l'attention sur le manque de diversité dans les représentations scientifiques. Avec cette cette publication sur Instagram, il a récolté près de 92.000 "like" (j'aime) et compte désormais plus de 123.000 abonnés.

"Dès les premiers jours, je me suis rendu compte que toutes les illustrations médicales montraient des personnes à la peau blanche", raconte à BFMTV.com le jeune Nigérian de 25 ans, encore étonné en repensant aux premiers jours où il a ouvert ses manuels.

"Je me suis dit qu'il y avait un problème"

"Ça a vraiment attiré mon attention (...), je me suis dit qu'il y avait un problème", se rappelle cet étudiant en première année de médecine qui souhaite devenir neurochirurgien pédiatrique. "Ça peut paraître surprenant mais même en Afrique, tous les schémas illustrent des personnes blanches".

Dès juillet 2020, le jeune homme, frustré, décide de prendre ce problème à bras le corps et d'y remédier lui-même. Ce passionné d'art profite alors du confinement pour se mettre au dessin de façon intensive. "Je me suis lancé le défi d'apprendre à dessiner en ligne. Je suis allé sur internet et j'ai commencé à apprendre grâce à des tutoriaux, avec un vieil ordinateur, une vieille souris (...) et petit à petit, je me suis amélioré".

Eczéma, boutons de chaleur, rougeole, dermatite séborrhéique... Le jeune homme se met donc à illustrer et à publier sur son compte instagram les symptômes de plusieurs maladies sur des peaux noires, et notamment des pathologies dermatologiques qui se manifestent de façons bien différentes que sur des peaux caucasienne ou asiatique. Des dessins qu'il publie désormais dans The Journal of Global Neosurgery.

Un manque de représentation qui fausse les diagnostics

Chiedebere Ibe déplore le manque de diversité dans la littérature scientifique. "Ça pose beaucoup de problèmes", souligne-t-il, "parce que les médecins ou les physiciens ne savent pas toujours comment soigner les personnes noires avec leurs spécificités, telles que les particularités de leur peau par exemple".

"Ça peut mener à de mauvais diagnostics", poursuit-il. "C'est un challenge énorme parce que la santé est la première des priorités. Si on prend les États-Unis par exemple, il y a beaucoup de disparités dans la manière dont sont traitées les personnes noires et les personnes blanches. Les taux de mortalité ne sont pas les mêmes", avance l'étudiant.

Ces dernières années, plusieurs études ont confirmé ce manque de diversité. Une étude australienne réalisée en 2014 par des chercheurs de l'Université de Wollogong montrait par exemple que sur 6000 illustrations scientifiques présentes dans des manuels, seuls 36% des corps représentés étaient des femmes, dont la grande majorité étaient blanches. Seuls 3% des corps montraient des personnes handicapées.

Une autre étude, datée de 2019 et publiée dans la revue scientifique Plastic and Reconstructive Surgery, a révélé que les patients caucasiens étaient surreprésentés dans les revues de chirurgie plastique, ce qui pourrait avoir une incidence sur les soins reçus par les patients non blancs. Enfin, il faut rappeler qu'il n'existe qu'environ 2000 illustrateurs médicaux formés à travers le monde, selon les données de l'Association of Medical Illustrators.

Aujourd'hui, plusieurs revues scientifiques et autres maisons d'éditions spécialisées ont fait part de leur désir de travailler avec Chiedebere Ibe afin de faire place à plus de diversité dans les ressources qu'elles proposent. "Il faut que les choses changent, mais ça commence et c'est génial de voir que les gens sont prêts à embrasser ces avancées", se réjouit l'étudiant nigérian. "Il faut que l'intégration et l'égalité deviennent une réalité".

Jeanne Bulant Journaliste BFMTV