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Inondations: la folle rumeur de la banlieue sacrifiée pour sauver Paris

Photo des rues inondées de Nemours, en Seine-et-Marne, prise le 2 juin.

Photo des rues inondées de Nemours, en Seine-et-Marne, prise le 2 juin. - Dominique Faget - AFP

Elle court depuis que les eaux de la Seine ont commencé à engloutir les départements de l'Ile-de-France: une rumeur affirme qu'un vaste complot aurait été fomenté par les autorités pour inonder la banlieue en amont, et limiter les dégâts dans les rues de la capitale.

Cette rumeur est un classique. A chaque crue importante de la Seine, elle se ravive. Les autorités auraient dévié en amont le trop-plein du fleuve en banlieue, pour épargner aux Parisiens les désagréments des inondations. Depuis plusieurs jours, cette légende urbaine se répand dans les départements sinistrés, comme en Seine-et-Marne, où plus de 7.600 personnes ont été évacuées depuis le début des intempéries.

"Je trouve inadmissible d'entendre dire qu'il faut sauver Paris, dans la bouche des élus. D'entendre dire qu'ils vont tout faire pour que ça déborde en Essonne pour que Paris ne soit pas atteint", tempête Caroline, une habitante de l'Essonne, ce vendredi matin sur RMC. "Tous nos villages sont inondés parce que - je répète les dires [entendus jeudi] soir dans différentes communes - avant tout, on sauve Paris".

Une rumeur infondée scientifiquement

Autrement dit, la banlieue aurait été sacrifiée dans le but de limiter les dégâts dans la capitale. Interrogé par Le Parisien, le géologue Bruno Janet explique pourquoi cette rumeur ne tient pas debout sur le plan scientifique:

"Nous sommes rigoureusement incapables de dévier de telles masses d'eau", précise le géologue. 

"Cette légende urbaine est une répétition de la rumeur de la Somme, qui s'est propagée il y a quinze ans", constate Jean-Bruno Renard, professeur émérite de sociologie à l’université Montpellier 3 et auteur de Rumeurs et légendes urbaines

En 2001, les sinistrés de la vallée de la Somme se croyaient victimes d'un vaste complot des pouvoirs publics qui auraient préféré inonder leur terre pour épargner la capitale. Paris, prétendait la "rumeur d'Abbeville", devait à tout prix éviter l'image dévastatrice d'une crue, en pleine visite d'une délégation du Comité International Olympique (CIO) pour statuer sur la candidature de la ville aux JO de 2008.

"Le démenti rationnel ne suffit pas"

"Les rumeurs sont comme un serpent de mer, qui reste tapi dans l'inconscient collectif. On pouvait s'attendre à ce qu'une inondation d'ampleur le réveille", souligne Jean-Bruno Renard, qui vient de coordonner un numéro de la revue Diogène sur les "Théories du complot d'aujourd'hui". 

Et cette rumeur met en lumière cette peur sous-jacente: "la banlieue parisienne serait une zone inférieure, dominée par Paris et ses élites", analyse le chercheur, joint par BFMTV.com.

"On est face à un événement dont l'ampleur a peut-être été sous-estimée", avance Aurore Van de Vinkel, auteure de Gérer les rumeurs, ragots et autres bruits. "Les autorités ont peut-être davantage axé leur communication sur Paris et ses beaux bâtiments menacés par la montée des eaux. Et moins sur les villages sinistrés, remuant ce sentiment d'abandon".

Comment éteindre cette rumeur? "Le démenti rationnel ne suffit pas", répond Jean-Bruno Renard. "Il faut faire preuve de compréhension face à leur détresse. Ça devrait atténuer leurs frustrations, qui sont à l'origine de la rumeur".

Caroline Piquet