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Gaucher ou droitier, ce n'est pas le cerveau qui décide

Raphael Nadal joue au tennis et au foot en tant que gaucher, mais reste droitier pour le reste de ses activités.

Raphael Nadal joue au tennis et au foot en tant que gaucher, mais reste droitier pour le reste de ses activités. - Keith Lyndaker-Schlabach

Les gauchers représentent quelque 10% de la population. Les explications les plus farfelues, parfois les plus culpabilisantes, ont été avancées pour expliquer cette différence. Mais les scientifiques formulent de nouvelles hypothèses justifiant cette particularité.

Pourquoi certaines personnes sont gauchères? Et, question subsidiaire, pourquoi n'y en a-t-il pas davantage? Cette utilisation privilégiée de la main gauche ne concerne que 10% de la population, selon une étude de 2011. Comme tout ce qui sortirait de la norme, les gauchers ont été contrariés, voire persécutés. Une hypothèse farfelue incriminait à une époque les mères dont le stress pendant la grossesse aurait conduit à cette particularité. Depuis les années 80, la recherche a montré que dans le fait de naître gaucher ou droitier, tout se jouait effectivement avant la naissance.

Mais les mères, stressées ou pas, n'ont a priori rien à y voir. A partir de la 13e semaine de développement, les fœtus sucent soit leur pouce droit, soit le gauche, a révélé l'imagerie médicale. L'explication de ce comportement inné a été recherchée dans les gènes des individus en rapport avec le développement différencié des hémisphères gauche et droit du cerveau. Mais une étude publiée dans la revue scientifique eLife donne une autre explication. La clé résiderait dans la colonne vertébrale.

Le cerveau prend le contrôle, mais un peu plus tard

Dans un circuit de commande des gestes mature, l'impulsion d'un mouvement volontaire part dans une zone du cerveau appelé le cortex moteur. Le signal est transmis à la moelle épinière puis traduit de manière effective en mouvement. Mais les chercheurs ont découvert que dès la huitième semaine, la préférence du fœtus pour la gauche ou la droite s'affirme déjà. Sauf que le cortex et la moelle épinière ne sont pas encore reliés. Il apparaît donc que le fœtus "choisit" une main préférée avant même que le cerveau soit à la manœuvre. 

Pour percer à jour ce processus, les chercheurs ont analysé l'expression des gènes dans la moelle épinière entre la huitième et la douzième semaine de grossesse. Ils ont trouvé des différences significatives dans les segments gauche et droit de la moelle épinière qui contrôlent le mouvement des bras et des jambes. Ils ont conclu que la nature asymétrique de la moelle épinière pourrait être réduite à l'épigénétique, ou comment les organismes sont affectés par des changements dans leur expression génique plutôt que par les gènes eux-mêmes. Dans le domaine de l'épigénétique, qui transcende le traditionnel débat de la prééminence de l'inné ou de l'acquis, les causes environnementales déterminent l'expression (ou non) des gènes.

La génétique joue un rôle, mais pas seulement

Reste l'autre question: pourquoi n'y a-t-il pas davantage de gauchers? Une étude de 2012 de la Northwestern University avait mis au point un modèle mathématique montrant que le pourcentage de gauchers résultait de l'évolution. De manière simplifiée, chez une espèce hypersociale telle l'homme, tout est affaire de "coopération". "Le facteur le plus important pour une société efficace est un haut degré de coopération. Chez les humains, cela a abouti à une majorité droitière", avançait Daniel Abrams, alors professeur assistant à la McCormick School of Engineering and Applied Science, qui avait aidé à développer le modèle.

Il se pourrait donc qu'à partir du moment où la main droite s'est imposée, beaucoup de personnes génétiquement gauchères ont été incitées à utiliser la main droite en dépit de leur prédisposition pour la gauche.

Julie Schmitz, l'une des auteures de la nouvelle étude a exposé à Business Insider une hypothèse un peu différente. Selon la scientifique, le penchant gaucher ou droitier n'est déterminé qu'à 25% par les gènes, tandis que le reste de la détermination provient de facteurs environnementaux. Un parallèle avec certains oiseaux, poulets et pigeons est mis en exergue. Chez ces deux espèces, "un facteur génétique détermine la position dans l'œuf avant l'éclosion - l'embryon est enroulé de telle sorte que l'œil droit est tourné vers la coquille semi-translucide, tandis que l'œil gauche est recouvert par le propre corps de l'embryon", explique-t-elle. A la sortie de l'œuf, le poussin affirme déjà une "meilleure discrimination visuelle" de l'œil droit. Mais si l'incubation se fait dans l'obscurité, alors cette asymétrie visuelle n'est pas réalisée.

Il est possible qu'un phénomène du même genre détermine la plus grande proportion de gauchers. Mais le mystère de leur suprématie n'est toujours pas élucidé, mais il apparaît clairement que les différences génétiques ne sauraient à elles seules expliquer cette différence.

David Namias