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Enfouir les déchets nucléaires, mais sans les oublier

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par Muriel Boselli PARIS (Reuters) - Comment l'humanité se souviendra-t-elle, dans des dizaines de milliers d'années, que des déchets radioactifs...

par Muriel Boselli

PARIS (Reuters) - Comment l'humanité se souviendra-t-elle, dans des dizaines de milliers d'années, que des déchets radioactifs sont enfouis sous ses pieds: en bâtissant une pyramide géante ou un musée, en créant des oeuvres d'art ou grâce à la géologie ?

Patrick Charton, spécialiste de la mémoire à l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), se débat avec cette question depuis près de 16 ans.

La France, pays dont la part du nucléaire dans la production d'électricité est la plus importante au monde - à 74% en 2010 -, envisage de stocker les déchets les plus radioactifs produits par ses 58 réacteurs dans une couche d'argile à proximité du laboratoire de Bure (Meuse), où des expérimentations sont en cours.

Le premier lot de ces déchets actuellement stockés sur le site d'Areva à La Hague (Manche) pourrait y être accueilli en 2025, à 500 mètres sous terre, si le gouvernement autorise la mise en service du centre de stockage.

La question n'est pas tranchée alors que le débat, plus large, sur l'avenir de l'énergie nucléaire en France a été relancé par la catastrophe de Fukushima en mars et qu'il s'annonce comme l'un des enjeux de l'élection présidentielle de l'an prochain.

L'exploitation du centre de Bure, qui pourrait à terme abriter des déchets représentant un volume équivalent à celui d'un stade de football, durerait environ un siècle et demi avant qu'il soit fermée et placé sous surveillance.

Certains des déchets appelés à être stockés sur le site pourraient rester radioactifs pendant 100.000 ans.

Si les habitants de la région de Bure restent sceptiques sur le caractère inoffensif d'un tel site d'enfouissement, de récents sondages montrent, selon l'Andra, qu'ils commencent à prendre conscience de l'impact positif potentiel en matière d'emploi et de développement économique local.

"Je ne dis pas que les gens sont enthousiastes (...) mais je pense qu'ils ont compris ce qu'on allait faire", a estimé Patrick Charton lors d'une interview accordée à Reuters. "La confiance est un long chemin."

UNE PYRAMIDE ? "UN PETIT PEU FARFELU"

L'Andra a déjà travaillé sur 26 thèmes pour préserver la mémoire du site, qui vont de la création d'un musée à l'archéologie des paysages, en passant par des sauvegardes sur un disque de saphir censé durer deux millions d'années. Mais il est peu probable qu'une solution unique soit retenue.

"Ce n'est pas une solution miracle mais tout un cocktail de choses qui permettront de préserver cette mémoire sur un pas de temps important", a déclaré Patrick Charton.

L'idée, régulièrement évoquée, de bâtir une pyramide pour signaler la présence du site de Bure, n'est pas forcément la plus judicieuse à ses yeux, ne serait-ce que d'un point de vue esthétique.

"C'est un petit peu farfelu (...). Pourquoi est-ce qu'on trouve ça magnifique en Egypte et qu'on vient du monde entier ? C'est parce qu'il s'agit du témoin d'une civilisation. Là, notre pyramide serait simplement le témoin d'un petit centre de stockage si on se ramène à l'échelle de la planète."

Ses faveurs vont plutôt à "l'archéologie des paysages", qui permettrait de repérer les accès au site de stockage en fonction des matériaux utilisés pour les reboucher.

"Ça pourrait attirer la curiosité d'un géologue du futur ou d'un archéologue des paysages du futur", a-t-il souligné, ajoutant qu'un certain nombre d'informations pourraient être gravées sur des plaques de cuivre au moment du rebouchage des accès au site.

Reste à trouver le langage et les symboles à employer pour rédiger ce type de messages, appelés à survivre à des milliers d'années. Et cette seule question est en soi un autre domaine de recherche pour l'Andra.

"Que peut-il se passer une fois que le français aura disparu, est-ce que des symboles peuvent subsister ? Est-ce que le sens de ces symboles peut rester le même sur des grands pas de temps ?", s'interroge Patrick Charton.

Les études de l'Andra ne font que commencer mais les chercheurs ne sont pas pressés par le temps: le site de Bure, s'il ouvre effectivement, ne devrait pas être définitivement refermé avant 250 ans.

"Il subsistera, je l'espère, un bâtiment pour que des gens puissent surveiller le site et dialoguer avec le public", dit Patrick Charton.

Benjamin Mallet pour le service français, édité par Marc Angrand