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Santé

"Une épée de Damoclès au-dessus de la tête": trois ans après, le Covid est toujours au cœur de leur vie

Des personnes portant des masques. (photo d'illustration)

Des personnes portant des masques. (photo d'illustration) - Pixabay

Immunodéprimés, victimes de Covid long, proches de "personnes à risque" ou simplement soucieux de ne pas transmettre le Covid... Ils sont encore nombreux à prendre d'infinies et éreintantes précautions pour éviter d'être infectés. Mais face à une société qui semble avoir oublié la pandémie trois ans après le début du premier confinement, beaucoup disent leur solitude, leurs peurs et surtout le sentiment d'avoir été abandonnés.

"On m'a dit qu'il fallait apprendre à vivre avec, parce que la vie continue. Mais moi, ma vie, elle s'est arrêtée". C'est lorsque sa petite dernière est rentrée malade de la maternelle que Floriane Vauquoy, 44 ans, a contracté le Covid-19 début 2022. Cela fait 14 mois que cette habitante de Moselle souffre, comme plusieurs centaines de milliers de Français, d'un Covid long qui a mis son existence "en stand by" en la forçant à redoubler de vigilance face au virus pour ne pas voir son état s'aggraver.

Chez elle, le syndrome prend notamment la forme d'une lourde fatigue chronique et d'une intolérance au bruit. Chaque petit virus vient "faire flamber" ces symptômes et elle met à chaque fois plusieurs semaines à s'en remettre. Au point que son médecin a dû la mettre en arrêt maladie:

"J'ai tenté une reprise du travail en mi-temps thérapeutique mais au bout de quatre jours, j'étais totalement désorientée, j'ai dû rentrer chez moi".

Alors, dans l'espoir d'un jour reprendre une vie normale, la Mosellane applique rigoureusement toutes les précautions sanitaires: lavage des mains récurrent, port du masque systématique dans les endroits clos ou au milieu d'une foule, livraison de toutes les denrées qui peuvent l'être et, surtout, un grand isolement. "Mon cercle d'amis s'est beaucoup réduit", confie-t-elle, résignée: "Mais vu la non-vie que j'ai déjà, je ne veux pas prendre de risque".

"Épuisée de cet état sans fin"

Floriane Vauquoy n'est pas un cas isolé. Beaucoup continuent de craindre ou de souffrir du Covid-19: anciens malades du Covid ayant gardé des séquelles ou des souvenirs douloureux de leur infection, des personnes disposant d'un système immunitaire déficient, des proches de patients dits "à risque" ou encore personnes souhaitant simplement éviter de transmettre le virus à autrui, de développer un Covid long ou de faire circuler un Covid propice à muter...

C'est le cas de Natacha, qui préfère ne pas communiquer son nom de famille, et qui a contracté trois fois le Covid et fait tout pour que le compteur s'arrête là. Ses multiples infections lui ont elle aussi laissé un Covid long qui l'épuise depuis trois ans. À 54 ans, cette Parisienne dit vivre "au ralenti, entre parenthèses, dans un corps d’une personne âgée".

"J’ai une épée de Damoclès au-dessus de la tête, car une quatrième infection serait terrible, n’étant toujours pas remise des précédentes", confie-t-elle.

Alors elle s'astreint, elle aussi, à limiter au maximum les risques d'exposition, s'étant déjà faite vaccinée pour tenter d'éviter les formes graves. D'autant que cette "maman solo" dont la fille avait "16 ans quand tout à commencé", doit assurer seule les dépenses du son foyer:

"J’ai la chance de travailler après un an de travail à mi-temps thérapeutique donc mon toute mon énergie passe dans ma vie professionnelle, je veux absolument maintenir mon poste".

Sans porte de sortie, elle se dit "épuisée de cet état sans fin".

Mais la situation n'est pas qu'une affaire de Covid long: Sarah, qui préfère être uniquement désignée par son prénom, était enseignante en sciences économiques et sociales avant qu'elle commence à être victime d'embolies pulmonaires chroniques en 2019. Une situation de santé qui a amené cette Brestoise de 42 ans à s'isoler pour ne pas contracter un Covid qui la mettrait à terre.

Avec succès jusqu'ici, mais au prix d'une grande précarité: "J'ai du arrêter [de travailler] à cause de la maladie, puis mes contrats sont arrivés à leur fin. Quand j'ai été un peu mieux, j'ai voulu reprendre à temps partiel, mais les mesures de protection sanitaires tombaient l'une après l'autre... trop risqué pour moi". Ses tentatives de reprendre un emploi sont depuis restées infructueuses.

"J'ai eu des entretiens d'embauche mais si vous venez en FFP2 l'offre d'emploi 'disparaît' par magie", ironise-t-elle

"Nous sommes restés confinés depuis 3 ans"

Le virus, Florent, développeur informatique qui a contribué à mettre au point le site "ViteMaDose", ne le craint pas pour lui, mais pour sa compagne. Habitant Paris et tous deux âgés de 30 ans aujourd'hui, ils ont contracté le Covid en pleine première vague, en mars 2020. Lui s'en est "remis en quelques semaines, mais pour elle, le calvaire n'a fait que commencer". Le diagnostic a été posé: à nouveau un Covid long. Il liste: "son organisme affaibli, son système immunitaire affaibli également, l'inconnue en cas de réinfection et l'expérience ressentie comme proche de la mort lors de la première infection font d'elle une personne à risque".

"Il est impensable qu'elle puisse recroiser le chemin du virus", tranche-t-il.

Et cette décision a changé sa vie: "Je porte le masque FFP2 en intérieur, je ventile les espaces dès que c'est possible. (...) j'ai changé de travail pour pouvoir télétravailler plus souvent, entre autres raisons, bien entendu. Je ne vois pour ainsi dire plus ma famille ou mes amis en hiver, lorsqu'il est impossible de se voir en extérieur.(...) Globalement, nous sommes restés confinés depuis 3 ans", résume-t-il.

D'autres n'ont pas attendu que le Covid affecte gravement leur santé ou celle de leurs proches pour prendre des précautions drastiques. C'est le cas d'Anaïs qui n'a elle non plus pas souhaité communiquer son nom de famille. À 18 ans, ce n'est qu'en septembre 2022 que cette étudiante en classe prépa littéraire de région parisienne, qui ne se connaît pas de facteurs de risques, a commencé à porter "systématiquement un masque FFP2 dans les lieux clos ou à forte densité" et à aérer lorsqu'elle le pouvait.

Elle a par ailleurs investi dans un capteur de CO2 pour surveiller le taux de ce gaz dans l'air, "corrélé en théorie à celui expiré par les personnes, et à la présence éventuelle des virus dans l’air de la pièce".

Le déclic: des remontrances d'une enseignante masquée face à "toute [une] classe malade, sans masque, et qui se justifiait par le mythe du 'coup de froid'". Elle s'est alors mise à lire études et données sur la pandémie. "En comprenant un peu mieux le Covid, (...) j’ai d’abord souhaité éviter à tout prix de le transmettre et ne plus risquer la vie des personnes à haut risque, puis j’ai compris que j’étais moi-même à risque face aux infections à cause du COVID long", explique-t-elle.

"Moi aussi je veux qu'on continue à vivre"

Qu'ils aient choisi de se défendre contre le Covid ou qu'ils aient été contraints de le faire pour préserver leur santé ou celle d'un proche, tous voient qu'ils sont bien moins nombreux que par le passé. Et dans les réactions de ceux qui ont "oublié" la pandémie, il y au mieux de la surprise, au pire du mépris.

Le fils de Sarah, évoquée plus haut dans cet article, est âgé de seulement six ans, mais subit déjà les remarques de ses camarades d'école car il porte le masque dans le but d'éviter de ramener le virus à sa mère à risque. "Ce qu'il a du mal à supporter ce sont les questions incessantes des autres, voir les affirmations péremptoires 'le Covid c'est fini, le masque c'est pas bien, ça rend malade' ou des moqueries", déplore sa mère.

"Autant avant on dévisageait ceux qui ne portaient pas de masques, maintenant on dévisage ceux qui en portent un", résume Floriane Vauquoy, dont le témoignage constituait le début de cet article.

"Donc je baisse les yeux, je me sens comme une bête curieuse et j'ai un peu honte quand je sors maintenant. L'hôpital, c'est le seul endroit où je me sens à peu près normale, parce que beaucoup de gens portent encore le masque", partage la quadragénaire, qui sait toutefois qu'elle ne lésinera jamais sur les précautions pour autant.

Mais à la honte, certains substituent la colère: "Je refuse de laisser des égoïstes et ou cons avoir une si forte possibilité de me faire mourir", Najat, 38 ans, habitante de Nanterre et immunodéprimée à cause d'un traitement. "Moi aussi je veux qu'on continue à vivre mais pas sans avoir une réduction de risque maximale".

Le masque, "on l'a flingué pour des années"

Un témoignage d'exclusion auquel vient souvent se rajouter celui de l'abandon par les pouvoirs publics, notamment sur la question des restrictions sanitaires et notamment du masque, sans investir dans des palliatifs comme les purificateurs d'air, pourtant promis par le président-candidat Emmanuel Macron. Pour l'épidémiologiste Dominique Costagliola, "ce qui est vraiment dommageable, c'est qu'on ait vendu le port du masque comme une restriction et pas comme un outil qui peut être efficace. On l'a flinguée pour des années et des années.

Elle estime que ce discours a été soldé par une réaction de soulagement lors de la levée de toutes les sanctions sanitaires, au détriment de ceux qui avaient toujours besoin d'une protection: "C'est comme si toutes les personnes qui étaient mortes, on les effaçait. Les handicapés, on les invisibilise. Le fait que plein de gens aient perdu des capacités de travail, ne soient plus en mesure d'occuper un emploi de la même façon, ce n'est pas pris en compte", déplore-t-elle.

Et d'esquisser une porte de sortie pour les personnes à risques, qui gardent des séquelles d'une première infection ou qui cherchent simplement à s'en protéger: "Il n'y a que dans des mesures de santé publique que ces gens pourraient regagner une vie sociale, en sortant de l'enfermement à long terme".

Glenn Gillet