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Santé

Suicide et crise sont-ils liés ?

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A l'occasion de la journée mondiale de prévention du suicide, BFMTV a interrogé Michel Debout, professeur de médecine légale, sur l'évolution des chiffres du suicide. Et leur rapport avec la crise économique actuelle.

La crise va-t-elle directement impacter les chiffres du suicide en France ? Oui selon Michel Debout, l'ancien président de l'Union nationale de prévention du suicide, qui part en campagne pour défendre la mise en place d'un Observatoire national pour la prévention du suicide. Un projet qu'il prépare depuis avril 2011 avec Jean-Claude Delgènes, directeur général du cabinet de prévention des risques Techonologia, et qu'il soumettra au Premier ministre ce mercredi 12 septembre.

Selon le site Infosuicide.org, on dénombre près de 11.000 morts par suicide par an en France et près de 220.000 tentatives de suicide. Ces chiffres sont-ils en hausse ou en baisse ?

Il s’agit des chiffres de 2009. L’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) n'a pas encore intégré la crise, commencée fin 2008, dans ses calculs. La crise est une réalité économique et financière, mais avant qu’elle ne se transforme en réalité humaine et sociale, il y a un décalage. Pour l’heure, on ne sait donc pas encore quelles sont les catégories de la population les plus concernées par les suicides liés à la crise. Ce qui est sûr, c’est que l’on va observer une hausse significative du nombre de suicides.

Quelle catégorie d’âge est la plus touchée ?

Il est difficile de parler en termes de catégories d’âge, chacune ayant ses spécificités. Ainsi le suicide, n'affecte pas vraiment les plus de 65 ans. La principale cause de décès de cette catégorie étant la maladie. En revanche, chez les vingtenaires, il arrive en deuxième position, après les accidents. Et chez les 40-45 ans, moins susceptibles de mettre leur vie en danger que les jeunes (par des sports ou des pratiques extrêmes) le suicide est la première cause de mortalité. Chez les plus de 80 ans, il continue d’augmenter. La perte d’autonomie, la maladie et la dépression en sont les causes principales.

Comment expliquer que la France soit parmi les pays les plus touchés en Europe ?

La France a mis plus longtemps que d’autres pays à développer une authentique politique de prévention. La tradition catholique, qui a longtemps considéré l’acte de suicide comme un blasphème, n’a pas aidé à ce développement. C’est d’ailleurs une tendance que l’on retrouve en Italie et en Espagne. Dans les pays protestants, on trouve une approche beaucoup plus humaine, axée sur la compréhension du geste. La prévention du suicide consiste aussi à l’envisager comme un acte humain.

Que permettrait la mise en place d’un Observatoire de prévention du suicide, que vous défendez ?

La seule question de santé publique importante qui n’a pas été l’objet de la création d’un Observatoire, c’est le suicide. Ce qui prouve bien qu’il y a un tabou autour de cet acte. Au-delà du fait qu’il permettrait de croiser les chiffres, en mesurant l’impact de la crise sur le taux de suicide par exemple, d’analyser leur évolution et d’indiquer des pistes de préventions, l’Observatoire viserait à montrer que le suicide est un fait social. Ce qui, pour l’heure, n’est pas un acquis dans notre société, qui le considère de façon réductrice comme un acte individuel. Alors qu’il est, de nos jours, intimement lié à la crise et ses méfaits.

La création d’un Observatoire permettrait de porter un regard d’ensemble sur le phénomène suicidaire et de rassembler toutes les données qui l’entourent. La meilleure façon de prévenir un risque est de le connaitre.

Combien y-a-t-il de signataires pour le moment et qui sont-ils ?

Nous avons, pour l’heure, près de 2.500 signataires, de tous horizons. Des représentants du monde médical, des psychiatres et des psychologues, bien sûr. Mais aussi des membres d’associations d’écoute et de familles de victimes. Des gens qui connaissent la réalité du suicide et qui y sont confrontés au quotidien. Toutes les centrales syndicales nous ont également rejoints, ainsi que l’association nationale des directeurs des ressources humaines, le Syndicat des journalistes, le président du Conseil économique et social, diverses instances humanistes et philosophiques et beaucoup de particuliers.

C’est une idée que vous défendez depuis dix ans. Pourquoi est-il si difficile de mettre en place une structure de ce genre ?

Probablement parce qu’il y a toujours une crainte, de la part des pouvoirs publics, de voir les chiffres du suicide directement mis en relation avec ceux du chômage ou d’autres effets de la crise.

Pensez-vous qu’il existe encore en France, à l’heure actuelle, un tabou autour du suicide et de ses chiffres ?

La journée nationale de prévention du suicide existe depuis quinze ans. Jusqu’à présent, l’accent a surtout été mis sur le suicide chez les adolescents. Il y avait, au départ, plus de 900 morts par suicide dans cette tranche d’âge, chaque année. Aujourd’hui, ce chiffre a baissé de 45%. Cette mobilisation autour de la détresse des jeunes et la prévention mise en place ont donc donné de vrais résultats.

Mais pour le moment, rien n’est fait pour les adultes, pourtant touchés par les épreuves de la vie, qu’il s’agisse du chômage ou du divorce.