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Soupçons de maltraitance en Ehpad: comment sont contrôlés ces établissements en France?

La parution mercredi de l'enquête Les Fossoyeurs, sur un système favorisant des maltraitances présumées dans des maisons de retraite du groupe Orpea soulève la question des contrôles des Ehpad. Si la feuille de route est bien établie, l'encadrement semble trop faible pour couvrir efficacement les plus de 7000 structures françaises.

Les maltraitances et négligences présumées à l'égard des séniors dans certains centres du groupe Orpea qui ont été dévoilées par l'enquête Les Fossoyeurs de Victor Castanet soulèvent plusieurs questions, dont celle du contrôle des Ehpad. Quels sont les organismes en endossant la responsabilité? Comment les mènent-ils? À quelle fréquence et avec quels moyens?

Les réponses à ces questions sont connues mais dessinent une situation où le manque de personnel ne permet pas d'empêcher les défaillances.

Un schéma clairement établi

Les Ehpad sont placés sous une double tutelle: d'une part, celle des Agences régionales de santé (via leurs antennes locales) et des Conseils départementaux. Ces institutions conduisent des missions de vérification somme toute assez classiques, en dépêchant des inspecteurs sur place.

Le ministère de la Santé expliquait mercredi dans Le Figaro la manière dont ces établissements sont inspectés par l'État: "Un rapport d’inspection provisoire est alors établi par l’ARS dans lequel des recommandations sont adressées à l’établissement qui a un délai de réponse pour expliquer comment il va agir et ce qu’il va modifier pour exécuter les recommandations".

Dans le cas où l'inspection notifie un point à améliorer, la réponse de l'établissement clôt le rapport stricto sensu, mais enclenche l'écriture d'une feuille de route pour pallier les problèmes ou manquements éventuels. Celle-ci est co-rédigée par l'établissement et l'ARS ou le département. Le ministère de la Santé a affirmé au quotidien que s'ensuivait alors nécessairement un suivi pour s'assurer que les objectifs fixés étaient bien remplis.

Des drames qui interrogent

Pourtant, l'idée d'un suivi sérieux du programme de redressement cadre mal avec les mauvaises pratiques dénoncées par Victor Castanet, notamment au sein de la structure Orpea de Neuilly-sur-Seine, au coeur de la tourmente actuelle. Dès mardi devant l'Assemblée nationale, le ministre de la Santé Olivier Véran a d'ailleurs senti le besoin de prendre la défense de l'ARS d'Ile-de-France:

"Cet établissement en particulier, cité comme exemple dans ce livre, a fait l’objet d’une inspection missionnée par l’agence régionale de santé en 2018 sur la base d’allégations moins graves que celles rapportées dans le livre, donc probablement que l’ARS n’avait pas connaissance de tous les faits reprochés". "Les conclusions de cette mission ont été délivrées à cet établissement en février 2019 pour action", a-t-il ajouté.

Mercredi, répondant à la presse, le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, est allé un cran plus loin dans la précision, évoquant pour sa part un "contrôle inopiné" auprès de l'établissement.

"Nous avons demandé à l’Agence régionale de Santé d’Île-de-France leur dernier rapport après un contrôle inopiné sur l’établissement dont il est fait état et sur les suites données à ce rapport", a-t-il ainsi souligné.

De trop rares contrôles inopinés

Contrôler à l'improviste apparaît en effet comme une procédure-clé pour saisir le quotidien de l'Ehpad dans son état brut. Cité par Le Figaro, le Défenseur des droits a fait le tour des ARS pour les années 2017, 2018, 2019 afin d'en faire le compte. Les données collectées indiquent que 3 à 50 contrôles inopinés ont été menés sur cette période selon les régions. Des statistiques très irrégulières qui, ramenées aux plus de 7000 Ehpad répartis sur l'ensemble du territoire français, ne pèsent pas lourds.

"Il ne faut pas compter sur les contrôles inopinés!", a d'ailleurs corroboré sur notre plateau mercredi Luc Broussy, directeur du Mensuel des Maisons de retraite, qui soutient qu'on ne pilote "même pas une fois par an" une telle visite par établissement. Selon lui, cette lacune est due à une pénurie de moyens humains: "Les effectifs des agences régionales de Santé et des Conseils départementaux sont trop faibles pour effectuer des contrôles très nombreux".

"Les contrôles de l'Etat sont défaillants", a encore appuyé Victor Castanet. Le reporter d'investigation penche toutefois vers une autre forme d'explication. Ses travaux l'ont ainsi mis sur la piste de mauvaises volontés.

"J’ai des sources internes qui témoignent à visage découvert – des cadres dirigeants de l’entreprise qui me racontent la facilité avec laquelle ils pouvaient pipeauter les inspecteurs de l’Etat parce que les contrôleurs prévenaient un mois avant le contrôle. Donc vous aviez tout le loisir de prendre des mesures de nettoyage avant que les inspecteurs arrivent", a-t-il raconté mercredi sur BFMTV.

Réformer le système de contrôle

Dans tous les cas, l'urgence humanitaire est claire: il faut remédier à ce schéma très imparfait qui expose certains séniors. "Il faut inventer un contrôle efficace", a exhorté Luc Broussy. Certes, mais comment s'y prendre? Une fois posé le constat du manque de personnel, c'est la nécessité d'un recrutement qui semble s'imposer.

Et les renforts pourraient bien venir d'un endroit inattendu. "J’ai vu qu’il y avait une proposition législative qui voulait proposer que des parlementaires puissent faire des visites inopinées. Pourquoi pas?", a suggéré le directeur du Mensuel des Maisons de retraite.

Laurent Garcia, infirmier et ancien salarié du groupe Orpea, a poussé auprès du Figaro l'hypothèse d'"une autorité administrative indépendante pour contrôler les Ehpad publics et privés".

La transparence plutôt que les inspections?

Pour Luc Broussy, ce raffermissement des tournées d'inspection est un début. Mais "il faut un contrôle plus systématique", a-t-il encore glissé sur BFMTV - mais ne pourrait suffire. "Il faut bien comprendre que ce n’est pas dans la multiplication des contrôles de l’administration vers les établissements qu’on trouvera la solution", a-t-il argué:

"Il y a toute une série de dysfonctionnements qui peuvent apparaître qui ne se verraient pas dans un contrôle. Parfois même ce sont des dysfonctionnements humains, à l’instant T, de tel salarié".

Invitant à regarder le problème plus en amont, il a insisté sur la nécessité de mettre au propre des principes directeurs limpides pour les Ehpad et à en vérifier le respect, structure par structure, en toute transparence.

Or, si cet outil existe déjà, son application en serait grippée. "Une loi de 2015 propose un référentiel qualité qui permette d’avoir des critères objectifs. Ce référentiel est encalminé à la Haute Autorité de Santé depuis trois ans. Les professionnels le réclament année après année et il n’est toujours pas sorti", a en effet déploré Lc Broussy.

Robin Verner
Robin Verner Journaliste BFMTV