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"Si l'on met le doigt là-dessus...": Martin Hirsch divise en proposant de faire payer les non-vaccinés

Si de nombreux professionnels de la santé assurent qu'ils continueront à soigner les patients, peu importe leur statut vaccinal, d'autres estiment que la sortie du patron de l'AP-HP permet de réfléchir au traitement de la maladie en France.

Un "débat délicat", qui suscite l'émoi au sein du corps médical. Alors que 4,4 millions de Français âgés de plus de 12 ans n'ont toujours pas reçu la moindre dose de vaccin contre le Covid-19, dont près de 2 millions de Français de 50 ans et plus, le directeur général de l'AP-HP (Assistance publique-Hôpitaux de Paris) a jeté ce mercredi un pavé dans la mare, lors de son intervention sur le plateau de l'émission C à vous sur France5.

"Quand un instrument de prévention gratuit, reconnu par la communauté scientifique comme quelque chose d'utile, est disponible, est-ce qu'on y renonce sans en porter aucune des conséquences ? Ou est-ce qu'on tend la main pour soigner, mais on dit qu'il n'y a aucune raison qu'il n'y ait pas de conséquences alors qu'il y en aura pour les autres patients qu'on aura du mal à soigner et qui, eux, n'y peuvent rien", a-t-il questionné.

Une sortie qui relance l'épineux débat des frais d'hospitalisation qui seraient à la charge des non-vaccinés lorsque ceux-ci sont admis en hospitalisation usuelle ou bien en réanimation.

"Propos scandaleux"

Très vite, de nombreux professionnels de santé ont réagi à ces propos polémiques. A notre antenne, Robert Sebbag, infectiologue à l’hôpital de la Pitié Salpêtrière à Paris (AP-HP) l'assure, "moi je vais soigner tout le monde même si effectivement on râle, on se dit qu’ils auraient pu se faire vacciner, qu’à cause d’eux on va faire des gardes de nuit."

"Mais on ne peut pas... Sinon vous mettez le doigt dans beaucoup de choses, vous fumez, vous buvez, donc on ne soigne plus les cancers du poumon. Il faut faire très attention, si l’on met le doigt là-dessus, tout notre système de solidarité va disparaître", insiste-t-il.

De son côté, Christophe Rapp, infectiologue à l’hôpital américain de Paris et consultant santé BFMTV va un peu plus loin dans la critique, et se dit "surpris qu’à ce niveau de responsabilité on puisse s’interroger sur ce questionnement. Je veux bien qu’on soit très intello, mais je trouve ça bizarre comme discussion et ce n’est pas un levier efficace", tacle-t-il.

"Je pense qu’il faut apaiser et ne pas discriminer les non-vaccinés, il faut essayer de les encourager et de les amener sur le bon chemin. Ce type de propos, qui ne sont pas applicables et qui ne sont pas en phase avec les principes d’éthique de la médecine française, je suis un peu surpris qu’un directeur avec ce niveau de responsabilité puisse essayer de le mettre à débat", insiste-t-il.

Ce jeudi matin à l'antenne de RMC, Christophe Prudhomme, urgentiste au Samu 93, en Seine-Saint-Denis, a quant à lui laissé éclater sa colère, dénonçant "des propos scandaleux, surtout venant d'un directeur d'hôpital. Ce n'est pas son rôle."

Question éthique et politique

Au-delà de la critique, plusieurs autres médecins se sont interrogés sur le bien-fondé d'une telle sortie. A notre antenne ce jeudi, Didier Pittet, infectiologue et épidémiologiste aux hôpitaux universitaires de Genève évoque "une question politique et éthique", mais rappelle cependant que ces interrogations ne sont pas nouvelles.

"Je peux vous dire qu’à l’époque du Sida, il y a toute une série de ces questions qui se posait."

"En tant que médecin, nous ne sommes pas habitués à discriminer, pas du tout. Mais le système de santé est sous une forme de pression. Les personnes qui ne sont pas victimes de Covid sont quand même victimes car on ne peut pas les recevoir. Ces questions éthiques et politiques doivent se poser", assure-t-il.

"On s'est tous posé la question à un moment, nous sommes humains", renchérit quant à elle, toujours à notre antenne, Anne Sénéquier, médecin, co-directrice à l’Observatoire de la Santé à l’Iris. Selon elle, cette sortie de Martin Hirsch pose la question de la médecine préventive et de comment les Français abordent celle-ci.

"C'est celle qui marche le mieux, en investissant peu, ça peut rapporter beaucoup, mais c'est difficile à appréhender, faire un effort maintenant pour un avantage éventuel pour plus tard, sachant que sans fumer on peut avoir un cancer du poumon", tance-t-elle.

Mercredi soir, Jean-Michel Molina, chef de service des maladies infectieuses et tropicales de l’hôpital Saint-Louis, a tenté de défendre le directeur de l'AP-HP et de lui-même ouvrir le débat quant à la perception de la maladie.

"Je pense que ce qu’a voulu dire Martin Hirsch, c’est parler du 100% parce que depuis l’épidémie du Covid, la maladie est prise en charge à 100%. La question est ‘est-ce que ça doit rester une maladie prise en charge à 100%?', ou bien, comme toutes les autres maladies chroniques moins graves, prises en charge par la sécurité sociale au tarif habituel?", questionne-t-il.

Inabordable pour les Français

Si le débat revêt un aspect politique, plusieurs élus ont déjà réagi aux propos de Martin Hirsch. A l'origine d'un amendement, refusé, qui prévoyait de faire payer uen franchise aux non-vaccinés en cas d'hospitalisation, le député LR du Nord Sébastien Huyghe adhère à cette proposition.

"C’était une incitation financière à se faire vacciner. Le gouvernement dans le pass vaccinal l’a fait avec une mort sociale. Le but ce n’est pas de mettre sur la paille en demandant de payer 3000 euros par jour (coût d'une journée en réanimation, ndlr), mais d’avoir une franchise puisque vous avez fait le choix de ne pas vous faire vacciner, de participer financièrement", assume-t-il.

"L’amendement n’était pas pour faire des économies d’argent, mais surtout pour faire une économie en vie", ajoute-t-il.

Comme le rappelle Anne Sénéquier, le coût d'une hospitalisation, en particulier en réanimation, est totalement inabordale pour les Français. "On ne se rend pas compte mais 15 jours en réanimation coûtent 50.000, 60.000 euros. Parfois plus suivant le niveau de soin", précise-t-elle.

Invitée à notre antenne, Olga Givernet, députée LaREM de l'Ain, estime qu'"on ne peut pas ignorer que la question se pose dans la communauté médicale" tandis qu'Anne Hidalgo, invitée du programme 2022 Grand Format, s'était dit "pas d'accord" avec cette démarche.

Mesure déjà prise dans cerains pays

A l'international, plusieurs mesures de ce type ont déjà été mises en place. En novembre passé, Singapour a annoncé cesser de prendre en charge les frais médicaux des malades atteints du Covid-19 qui n'ont pas voulu se faire vacciner.

“Les personnes qui ne sont pas vaccinées représentent une majorité conséquente de ceux qui ont besoin de soins intensifs, et contribuent de façon disproportionnée à la pression sur nos infrastructures sanitaires”, soulignait le ministère de la Santé dans un communiqué daté lundi 8 novembre repris par l'AFP.

Dernièrement, la Québec a également annoncé la mise en place d'une nouvelle taxe concernant les non-vaccinés appelée "contribution santé." Le Premier ministre québécois avait expliqué que les 10% d'adultes non-vaccinés représentaient 50% des personnes en soins intensifs, évoquant une situation "choquante".

https://twitter.com/Hugo_Septier Hugo Septier Journaliste BFMTV