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Pourquoi le bâillement est-il contagieux?

Le Premier ministre, Édouard Philippe, qui bâille à l'Assemblée nationale le 18 décembre 2018.

Le Premier ministre, Édouard Philippe, qui bâille à l'Assemblée nationale le 18 décembre 2018. - Lionel Bonaventure-AFP

Il n'y a rien à faire. Lorsque votre compagne, compagnon, collègue de bureau et même voisin de métro bâille, vous bâillez aussi. Et c'est normal.

Un bon bâilleur doit en faire bâiller sept, dit le dicton. Mais pourquoi diable, systématiquement, lorsque votre collègue de bureau, voisin de table ou co-passager de wagon de métro bondé se décroche la mâchoire, cela vous donne une irrépressible envie d’ouvrir largement la bouche? Peut-être même qu’à la lecture de ces lignes, vous tentez de réprimer un bâillement. Ne luttez pas, vous n’y pouvez rien.

L'échokinésie du bâillement

Du latin "bataculare", qui signifie "ouvrir la bouche", le bâillement est avant tout un mouvement d'étirement musculaire involontaire qui se produit lorsque l'on se réveille, qu'on s'ennuie, qu'on a bien mangé ou au contraire jeûné et quand on est fatigué. Sa contagion n’est pourtant pas liée à la fatigue des transports en commun, ni à vos heures de sommeil en retard ou encore à la difficile digestion de votre dernier repas, mais tout bonnement au caractère social de l’être humain.

Durant ce cycle respiratoire de cinq à dix secondes, tous les muscles respiratoires - du visage au cou jusqu'au thorax - sont étirés. Ce mécanisme réflexe se produit en trois temps: d’abord une inspiration longue et profonde par la bouche - le diamètre du pharynx peut être multiplié par quatre - ensuite un bref arrêt de la respiration et enfin une expiration rapide parfois accompagnée d'étirements voire de quelques larmes, les paupières peuvent même se fermer. Et s'il est contagieux, c'est inconscient.

C'est ce qu'explique à BFMTV.com le médecin généraliste Olivier Walusinski. Ce spécialiste et passionné du bâillement - qui y a même consacré un site - préfère évoquer le terme de réplication d'un comportement plutôt que de contagion. "La contagion suppose la transmission, comme c'est le cas avec un virus ou un microbe. Ce n'est pas le cas du bâillement. Il s'agit là de mimétisme et de reproduire un mouvement, Charcot (un neurologue français fondateur de la médecine clinique, ndlr) parlait d'échokinésie."

La théorie de l'esprit

Le bâillement est commun à tous les vertébrés, des reptiles aux primates, souvent associé au rythme veille/sommeil ou à la satiété. Chez les mammifères, il peut également être lié à la sexualité - chez les macaques le mâle dominant bâille bruyamment avant de s'accoupler - ou à l'anxiété. "Pour un sportif avant une compétition ou pour un artiste avant d'entrer en scène, il n'est pas rare de bâiller, ajoute Olivier Walusinski. C'est une réaction du corps au stress qui au contraire apporte bien-être et détente."

Ce n'est que chez quelques espèces, notamment les grands primates, les éléphants, certains perroquets et rats ainsi que chez l'être humain qu'il est dit contagieux. "Chez les bonobos, qui vivent en matriarcat, lorsque la femelle dominante bâille, les autres femelles bâillent aussi, remarque Olivier Walusinski. C'est la même chose chez les chimpanzés mâles. C'est une manière d'unifier les rythmes de vie d'un groupe social mais aussi de reconnaître le statut du dominant et pour les autres d'accepter leur soumission."

Mais pour attraper le virus du bâillement, il faut avoir la capacité à attribuer un état mental à l'autre, à pouvoir décoder ses émotions. C'est la théorie de l'esprit, cette capacité à ressentir le point de vue d'un autre. "C'est pour cela que la contagion serait possible dès que l'enfant a sa propre perception d'être un individu autonome, c'est le test du miroir", note le médecin.

Concrètement, tout se passe dans le cerveau. Physiologiquement, ce sont les neurones miroirs - ces neurones qui permettent de se voir agir à la place de l'autre, comme dans un miroir - qui entrent en jeu lorsque le bâillement d'un inconnu vous fait vous aussi bâiller. C’est le principe de l’empathie. Comme l’explique l’Inserm dans une vidéo d’animation, lorsque l'on observe quelqu’un manger, une cacahuète par exemple, ces neurones s'activent bien que l'on reste immobile, comme si l'on se préparait soi-même à manger une cacahuète. C’est pareil pour le bâillement.

Plus on est emphatique, plus on bâille

Cela fait bien longtemps que la contagion du bâillement est observée. Aristote se posait déjà la question au IIIe siècle avant J.-C. dans ses Problèmes. Au XVIe siècle, dans Pantagruel, Rabelais raconte qu'un personnage bâilla si "profondément" qu'il "par naturelle sympathie, excita tous ses compagnons à pareillement bâiller".

Une étude américaine publiée en 2003 a montré que les personnes les moins sensibles à la réplication du bâillement étaient aussi celles qui avaient le plus de mal à se mettre à la place des autres. Des chercheurs italiens ont également conclu en 2011 que bâillement était d’autant plus contagieux que le bâilleur original était un membre de sa famille.

S'il y a de petits et de gros bâilleurs - le bébé bâille dès la vie intra-utérine - chez les humains, environ 75% de la population est sensible au bâillement d'autrui. "Plus on est emphatique, plus on a la capacité de comprendre les autres, plus on est sensible à leur bâillement, détaille Olivier Walusinski, auteur de Bâillements et pandiculations. Par exemple, pour les personnes qui souffrent d'alexithimie, cette difficulté à lire les émotions des autres, voir quelqu'un bâiller ne leur fait strictement rien. C'est aussi le cas chez certains autistes." Pareil chez certaines personnes qui souffrent de psychopathies.

Le son suffit

Mais il n'y a pas que la vue d'un bâilleur qui donne envie de bâiller. Le son fait le même effet. "Si dans une voiture, une personne à l'arrière bâille, il y a de fortes chances pour que le conducteur à l'avant, qui ne l'a pourtant pas vue mais simplement entendue, bâille aussi", raconte Olivier Walusinski. A moins que toute son attention ne soit portée sur la route. Car pour pouvoir être sensible au bâillement des autres, encore faut-il ne pas avoir l'esprit trop occupé ou trop endormi.

"Ce n'est évidemment pas automatique à 100% mais il faut être dans un état mental particulier pour être sensible au bâillement. Si vous êtes plongé dans une activité intellectuelle ou si vous fournissez un effort physique intense, à moins d'être en hypoglycémie, vous ne bâillerez pas", pointe le médecin.

Vous pouvez faire le test avec la vidéo ci-dessous:

Et, en principe, seule l'espèce humaine vous donnera envie de bâiller. "Il y a eu des expériences menées avec des chiens et leurs maîtres, poursuit le médecin. L'animal pouvait être sensible au bâillement de son propriétaire s'ils avaient tous deux noué une relation particulièrement complice. Ce qui signifie que le chien était capable de décoder les émotions de son maître." Mais aucune étude n'a encore prouvé la réciproque. Rien étonnant donc à ce que la vision de chats ou tortues se décrochant la mâchoire, comme dans la vidéo ci-dessus, puisse vous laisser de marbre.

Céline Hussonnois-Alaya