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Perte de confiance, retard dans la vaccination... La suspension d'AstraZeneca inquiète les médecins

Alors que la France a suspendu la vaccination avec AstraZeneca, les médecins rappellent que le bénéfice-risque est largement en faveur du vaccin, et qu'arrêter la campagne vaccinale, c'est la promesse de plus de personnes à l'hôpital.

Après plusieurs pays européens, la France a, à son tour, décidé ce lundi de "suspendre par précaution" l'utilisation du vaccin AstraZeneca, après le signalement de thromboses (formation d'un caillot sanguin), effets secondaires "possibles" de la vaccination, mais sans lien avéré à ce stade. Emmanuel Macron a déclaré attendre le rendu de l'avis de l'autorité européenne du médicament (EMA), avant de l'autoriser à nouveau.

La campagne vaccinale française, déjà critiquée pour sa lenteur, se voit encore ralentie par cette décision de l'exécutif. S'ils sont en faveur de vérifications plus poussées, afin de lever le doute, les professionnels de santé ont de leur côté, parfois du mal à comprendre cette décision, plus politique que scientifique selon certains, et s'inquiètent de la perte de confiance de la population dans la vaccination.

"Un jour c'est 300 décès et 25 à 30.000 cas, donc on n'est pas dans une situation où on peut se dire 'on va voir, attendre un vaccin de 3e génération...'", déclare sur BFMTV Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Tenon (Paris), qui rappelle qu'on "est dans une urgence sanitaire, on est dans une course contre la montre". "Si vous regardez les thromboses qui ont été rapportées avec d'autres vaccins, et notamment avec le vaccin Pfizer, il est plus important. Donc on a du mal à comprendre pourquoi on s'inquiète avec AstraZeneca", abonde sur BFMTV Jean-Daniel Lelièvre, chef de service des maladies infectieuses de l'Hôpital Henri-Mondor à Créteil (Val-de-Marne).

"Aucun lien avéré pour l'instant"

"Il n'y a pas lieu d'avoir d'inquiétudes aujourd'hui pour les personnes qui ont été vaccinées, beaucoup plus ont été vaccinées en Angleterre et il n'y a pas eu de problème", assure sur notre antenne Gilles Bonnefond. Pour le président de l'union des syndicats des pharmaciens d'officine, "les cas d'effets secondaires sont quand même très isolés dans différents pays". "Nos voisins anglais ont vacciné plus de 10 millions de personnes et ils n'ont rien décrit", explique Jean-Daniel Lelèvre, rappelant qu'il "n'y a aucun lien avéré pour l'instant avec le vaccin d'AstraZeneca."

Pour l'Organisation mondiale de la santé (OMS) il n'y a "pas de raison de ne pas utiliser" ce vaccin, et l'EMA a estimé dans un communiqué ce lundi, malgré l'enquête en cours, qu'elle "reste actuellement d'avis que les avantages du vaccin AstraZeneca dans la prévention du Covid-19 (...) l'emportent sur les risques d'effets secondaires".

Selon les dernières données, 30 cas d'événements thromboemboliques ont été signalés parmi près de 5 millions de personnes vaccinées avec le vaccin AstraZeneca dans l'Espace économique européen. Et ce "nombre d'événements thromboemboliques chez les personnes vaccinées n'est pas supérieur au nombre observé dans la population générale", assure l'EMA.

"On a surveillé tous les gens vaccinés de très très près, et effectivement on a pu mesurer des choses, des petits signaux, mais si on les avait mesurés chez 5, 9 ou 11 millions de gens non vaccinés, on aurait trouvé la même incidence des thromboses", abonde sur BFMTV Alexandre Mignon, anesthésiste réanimateur à l'hôpital Bichat (Paris).

En France, "à ce jour, peu de cas ont été signalés, dont aucun cas de décès, dans le cadre de la surveillance renforcée mise en place depuis le début de la vaccination", écrit l'Agence nationale du médicament (ANSM) dans son dernier rapport publié lundi, sans préciser le nombre exact de cas. Dans un précédent point du 5 mars, elle notait un cas de thrombose, sans qu'aucun lien avec la vaccination n'ait été établi.

La balance bénéfices-risques

"Il y a l'hypothèse qu'il n'y a rien, c'est une coïncidence entre deux événements rares. La deuxième hypothèse c'est qu'il y ait un lot qui donne une réaction inflammatoire plus importante, et qui associée à d'autres risques, puisse donner des caillots sanguins", explique sur notre antenne Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses à l'hôpital Tenon (Paris). "Mais de toute façon on est dans un phénomène ultra rare".

L'argument avancé par ces soignants, c'est que comparés à ces cas considérés comme rares, et dont le lien avec AstraZeneca n'est pas du tout prouvé pour le moment, les bénéfices apportés par la vaccination en pleine pandémie sont bien plus forts. "Le rapport bénéfice-risque est tout à fait en faveur de la vaccination large, massive, et rapide" estime Alexandre Mignon. "Non seulement cela protège de la mort, mais cela protège aussi des formes graves."

"On est dans une situation de pandémie, avec un virus qui est actif, et qui lui va vous conduire à l'hôpital", souligne Jean-Daniel Lelièvre, et en ce sens, "la balance en faveur du bénéfice est très claire" car "le vaccin Astrazeneca est remarquablement efficace pour empêcher les hospitalisations, les formes sévères". "Arrêter comme cela brutalement, deux trois jours, pour faire le point, d'accord. Mais arrêter plus longtemps, ça veut dire qu'on ne va pas vacciner les gens, ces gens risquent d'attraper le Covid et de finir à l'hôpital."

Rappelant lui aussi les grands avantages de la vaccination avec AstraZeneca, Gilles Bonnefond souligne qu'il était normal d'interrompre la vaccination:

"On ne peut pas vacciner quand il y a un doute qui s'installe à la fois dans la population et chez des professionnels de santé (...) Levons le doute, sécurisons, ayons des arguments pour rassurer la population, pour pouvoir réutiliser (ce vaccin) si c'est la décision de l'agence européenne".

"La suspension est toujours une suspicion"

"Cette décision n'est pas une décision scientifique, c'est une décision politique" juge sur France inter Mathieu Molimard, chef de service de pharmacologie médicale au CHU de Bordeaux, pointant du doigt le fait que c'est le président de la République qui l'a annoncée, non pas un représentant de l'ANSM. "Je pense que politiquement, il est difficile de tenir le fait de continuer à vacciner quand son partenaire le plus proche, l'Allemagne, dit 'j'arrête'", explique-t-il.

Entre les possibles effets secondaires forts que ce produit peut déclencher, les balbutiements du début concernant la vaccination des plus âgés, et les annonces des retards de livraison, "ce vaccin n'a pas de chance" note Gilles Bonnefond. Et cet énième épisode pourrait entâcher encore un peu plus la confiance de la population à son égard.

Carte des pays ayant suspendu la vaccination avec le vaccin AstraZeneca au 16 mars
Carte des pays ayant suspendu la vaccination avec le vaccin AstraZeneca au 16 mars © BFMTV
"Pour ce vaccin là, le mal est fait, la suspension est toujours une suspicion", déclare Gilles Pialoux. "La suspension dans un contexte comme cela de vaccino-scepticisme, de politisation de la crise de Covid, c'est un peu comme la diffamation: même si on innocente le vaccin AstraZeneca, il en restera toujours quelque chose. On va ramer pour ce vaccin-là, et on n'en a pas les moyens".

"Les gens qui ont perdu la confiance ça va être très compliqué de leur redonner", déclare également Jean-Daniel Lelièvre. Selon lui, "à ceux qui avaient des doutes et qui n'ont pas perdu la confiance, il faut leur dire qu'il n'y a aucun problème à se faire vacciner avec ce vaccin-là", explique-t-il. "Malheureusement c'est le vaccin maudit."

Salomé Vincendon
Salomé Vincendon Journaliste BFMTV