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Santé

Médicaments sous ordonnance délivrés par le pharmacien: ce que reprochent les médecins en colère

Les pharmaciens de plus en plus jeunes

Les pharmaciens de plus en plus jeunes - FLORIAN DAVID / AFP

Les députés ont prévu cette semaine d'autoriser les pharmaciens à délivrer des médicaments normalement sous ordonnance pour des pathologies sans gravité comme des cystites ou des angines. Une mesure déjà appliquée en Suisse et au Canada qui divise profondément pharmaciens et médecins. Explications.

La liste des médicaments concernés n’est pas encore fixée. La Haute autorité de santé n’a pas encore décidé quelles boîtes, en principe sous ordonnance, pourront être délivrées par le pharmacien. La formation des pharmaciens n’est pas encore précisée. L’arrêté n’est pas encore publié.

"On n’est pas en train de dire qu’on va soigner des leucémies à la pharmacie!"

Malgré toutes ces incertitudes, les syndicats de médecins sont déjà vent debout.

"Notre principale préoccupation, c’est la sécurité du patient. Or cette mesure pose des problèmes de qualité et de pertinence des soins", assure Margot Bayart, médecin généraliste à Réalmont, dans le Tarn. "Etre médecin, ce n’est pas uniquement prescrire. C’est faire une démarche clinique", explique celle qui est aussi vice-présidente du syndicat MG France.

"On n’est pas en train de dire qu’on va soigner des leucémies à la pharmacie!", réagit l’auteur de l’amendement, le députe LREM Thomas Mesnier. "Cette mesure doit s’appliquer dans le cadre d’un exercice coordonné: avec des professionnels qui se connaissent, qui travaillent ensemble; et qui acceptent de mettre en place le protocole qui sera défini. Il y aura une formation obligatoire pour le pharmacien et il devra obligatoirement informer le médecin traitant" nous explique l’élu, ex-médecin urgentiste.

"Quand on dit délivrance de médicaments pour des pathologies bénignes, "bénignes", je ne sais pas ce que c’est. Pour la cystite par exemple, si une femme dit à son pharmacien qu’elle a des brûlures en urinant, comment faire la différence entre mycose et infection urinaire? Il va lui demander si cette douleur fait suite à un rapport sexuel au comptoir, devant tout le monde? Moi, je fais un test avec de l’urine sur une bandelette pour m’en assurer", justifie Margot Bayart.

"Ce qui est dangereux pour un patient, c’est de ne pas avoir de réponse"

"Nous pourrions également proposer ce test dans notre espace de confidentialité. Et quand les patients viennent nous voir, c’est souvent que les médecins ne répondent pas ou ne sont pas disponibles", riposte Gilles Bonnefond. Selon le président de l’Union des Syndicats de Pharmaciens d'Officine (USPO), "40% des patients entrent aujourd’hui dans une pharmacie sans ordonnance pour du conseil. Selon les cas, on les rassure, ou les réoriente vers des médecins. Ce qui est dangereux pour un patient, c’est de ne pas avoir de réponse".

Pour lui, la mesure ne revient pas à prendre la place des médecins : "Les médecins sont spécialistes du diagnostic. Nous, nous ne savons pas faire et ne le revendiquons pas. Nous sommes spécialistes du médicament. On peut donc être à l’initiative de traitements, garantir le bon usage et assurer le suivi du patient. Avec cette mesure, on élargit nos compétences", explique Gilles Bonnefond.

Un manque de traçabilité?

"Un mal de gorge n’a pas toujours besoin d’être vu par un médecin", poursuit-il. Pour autant, le pharmacien estime qu’il faudra des référentiels, c’est-à-dire des protocoles bien établis pour savoir comment procéder en fonction des affections:

"Pour l’angine, nous pourrons poser quelques questions notamment pour savoir si fièvre, douleurs, qui ne nécessitent pas de toucher le patient. A partir de là, nous ferons un test, via un prélèvement au fond de la gorge: si c’est viral, nous pourrons le prendre en charge. Si c’est bactérien, on le renvoie chez le médecin avec le résultat du test. Il faut bien sûr du partage d’informations et de la traçabilité".

C’est notamment le manque de traçabilité que redoutent les médecins. "Après prescription et délivrance d’un médicament par le pharmacien, si le patient ne va pas mieux, ou qu’il y a une complication, il se tournera vers nous, et nous ne saurons pas forcément ce qu’il a pris", déplore Margot Bayard.

"Nous ne sommes pas opposés à l’exercice coordonné. Mais cela se fait sur le terrain, cela ne se décrète pas", ajoute la généraliste qui regrette le calendrier et la méthode de cette mesure: "alors que nous étions en pleines négociations avec l’Assurance Maladie pour nous organiser sur le terrain autour des CPTS (communautés professionnelles territoriales de santé, ndlr), on a vu sortir cet amendement de nulle part pour attribuer plus de pouvoir aux pharmaciens. Ce n’est pas un bon signal".

Suite à cette mesure, le syndicat MG France a d’ailleurs quitté la table des négociations.