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La médecine générale attire (de nouveau) les futurs internes 

Le nombre de bénéficiaires de l'AME a augmenté de 62% entre 2007 et 2017.

Le nombre de bénéficiaires de l'AME a augmenté de 62% entre 2007 et 2017. - Fred TANNEAU / AFP

Pour la toute première fois, la médecine générale connaît un regain de popularité auprès des futurs internes, comme le révèlent leurs choix de spécialisations pour 2019-2020.

Bien que ses excellents résultats au concours ECNi (classée 28e au classement général sur quelques 9000 candidats) lui permettaient de choisir n'importe quelle autre spécialité, Aurélie Mégnien a préféré se tourner vers la médecine générale. Un choix pas si évident pour d'autres étudiants en médecine, ou pour certains professeurs de la vieille école qui considèrent encore cette voie comme un choix par défaut.

"Avant de faire mon choix, j'ai dû effectuer un travail sur moi-même pour outrepasser les préjugés que j'avais inconsciemment sur cette filière, et surpasser le 'lavage de cerveau' dont on peut être victime tout au long de nos études de médecine, où on nous martèle que les spécialisations sont les voies royales, alors que la médecine générale n'est qu'une filière par défaut", explique l'étudiante à Créteil, âgée de 23 ans, à BFMTV. 

Traditionnellement, la médecine générale est ainsi l'une des spécialités les moins prisées par les étudiants en médecine au terme de leurs études. Mais la tendance pourrait bien s'inverser: les chiffres du Centre national de gestion révèlent qu'un nombre croissant de futurs internes (ayant passé les ECNi en juin dernier) a fait le choix de la médecine générale pour l'année 2019-2020.

Pour la première fois depuis l'entrée en vigueur de l'internat pour tous, la médecine générale réussit cette année à remplir ses 3213 postes disponibles (hors CESP: contrat d’engagement de service public). Ces dernières années, le taux de remplissage de la spécialité tournait plutôt autour des 95 %: 95 % en 2018, 94 % en 2017, 94 % en 2016.

Or en 2019, parmi les 1000 premiers étudiants du classement, 68 ont opté pour la médecine générale, contre 37 l’année dernière et 46 en 2017. Et parmi les 3000 premiers, pas moins de 384 internes iront en médecine générale, contre 353 en 2018 et 331 en 2017.

"Une vieille mentalité qui est en train de changer"

Une tendance "positive et encourageante", juge Antoine Reydellet, président de l'Intersyndicale des internes en médecine (ISNI) contacté par BFMTV.com, qui rappelle néanmoins qu'elle est aussi liée à la réduction du nombre de postes par le ministère de la Santé de 2% par rapport à l'année dernière. Par conséquence, le nombre de places disponibles est moins difficile à pourvoir.

Cette année, 55 postes de médecine générale en moins étaient disponibles, tandis qu'un peu plus de CESP étaient cette fois proposés (11 supplémentaires). Mais au-delà du taux, c’est surtout la vitesse à laquelle les postes ont été pourvus qui est encourageante pour la spécialité.

Aurélie Mégnien se réjouit ainsi de voir les clichés sur le manque de prestige de la médecine générale s'estomper, eux qui conduisent beaucoup d'étudiants à choisir leur spécialité en fonction de leur potentiel et non de leur vocation. 

"C'est une vieille mentalité qui perdure, mais qui petit-à-petit est en train de changer", poursuit la jeune femme désormais interne à l'AP-HP. "Personnellement, je préfère choisir une voie qui, je le sais, me correspondra plutôt qu'une spécialisation simplement pour le prestige".

"Contrecarrer cette image négative"

De plus en plus, soutient Aurélie Mégnien, les étudiants en médecine lancent des initiatives pour essayer de "faire changer les mentalités et contrecarrer l'image négative et les préjugés" dont cette spécialité peut être victime au sein du monde médical. Récemment, des 'influenceurs' comme l'ancienne Miss France 2013 Marine Lorphelin ou le youtubeur Aviscène, qui avaient eux-même volontairement choisi la médecine générale, s'engagent publiquement pour essayer de redorer l'image de cette spécialité auprès des jeunes professionnels de la santé.

En novembre dernier, l'ancienne Miss France et étudiante en médecine avait même publié un texte sur son blog afin de défendre les raisons qui la poussaient à vouloir devenir médecin généraliste.

"Vous savez ce qui m’exaspère le plus? C’est que, quand je dis avoir choisi la médecine générale comme spécialité, on ne me pose pas la question de 'pourquoi la médecine générale' mais plutôt 'pourquoi ne pas avoir choisi d’autre spécialité?' Tout comme la petite déception qui se dessine sur le visage de mon interlocuteur…", déplorait alors la jeune femme, ancienne Miss France 2013.

Et de revendiquer le rôle de ""pivot central du parcours de soin du patient" incarné par le médecin généraliste.

"Je refuse de me restreindre à une seule et ainsi de devoir mettre de coté certains savoirs", clamait Marine Lorphelin.

Un point de vue largement partagé par Aurélie Mégnien, pour qui la dimension humaine et globale du métier est primordiale. Bien que certaines personnes autour d'elle aient pu s'étonner de son choix, l'étudiante en médecine est sûre d'elle. 

"Contrairement à l'hôpital, là il y a une proximité, on peut prendre son temps", étaye la jeune femme. "Je me souviens que l'un de mes maîtres de stages suivait une femme enceinte qu'il avait lui-même vu naître et dont il avait suivi la mère. Un lien précieux, qui n'existe pas ou peu au sein des structures hospitalières, où "les patients sont davantage des numéros", juge la future médecin.

Sortir de l'hyper-spécialisation?

À l'heure où les établissements hospitaliers font face à d'énormes difficultés, il n'est pas à exclure que les jeunes internes se tournent vers la médecine générale en vue d'exercer en libéral; et ainsi d'échapper aux pressions budgétaires ou encore hiérarchiques de l'hôpital.

Alors que la France souffre d'un manque criant de médecins traitants, Margot Bayart, médecin généraliste en exercice dans le Tarn, se réjouit du fait que cette spécialité attire finalement de plus en plus de jeunes internes. 

"On en a vivement besoin!", lance la médecin traitant. "Il est possible que les jeunes veuillent sortir de l'hyper-technicité et de l'hyper-spécialisation de ces dernières décennies. Aujourd'hui le degré de spécialisation de la médecine est devenu tel qu'en choisissant de s'engouffrer dans une spécialisation, les jeunes craignent peut-être de 's'enfermer' dans quelque chose de trop étroit voire trop répétitif", analyse Margot Bayart auprès de BFMTV.com.

Pour elle, la médecine générale présente un gros avantage par rapport aux spécialités: celui de la variété des compétences et des missions.

"À l'inverse des spécialités, la médecine généraliste peut être extrêmement satisfaisante dans le sens où elle embrasse tout: le côté technique, l'approche globale au corps, la dimension humaine, le suivi du patient dans la continuité. Je pense que les jeunes veulent faire des métiers plus proches des gens et qui ont du sens", ajoute-t-elle.

Les Alpes attirent

Malgré tout, en proportion de postes disponibles, la spécialité reste bien loin de celles les plus prisées cette année par les mieux classés, parmi lesquelles se trouvent la chirurgie plastique, l’ophtalmologie et la spécialisation en maladies infectieuses et tropicales. En bas du classement, on retrouve à nouveau les spécialités qui ont traditionnellement du mal à trouver preneurs. Cette année, la médecine d'urgence s'arrête à 98%, la biologie ne remplit que 92 % de ses postes, la gériatrie 86 %, la médecine du travail 84%, la psychiatrie 82 % et la santé publique à peine 64 %.

Le ministère de la Santé avait également décidé cette année de modifier la répartition géographique des postes en médecine générale, afin qu’elle colle davantage aux besoins des territoires. Il n’est donc pas étonnant de voir que la ville de Tours qui offrait 22 places supplémentaires a été l'une des dernières à faire le plein juste avant les Antilles.

Du côté des subdivisions les plus prisées, les villes de Grenoble, Nantes et Bordeaux étaient les plus demandées en médecine générale parmi les 1000 premiers classés aux ECNi. Le chef-lieu de l’Isère est d’ailleurs le premier département de médecine générale à afficher complet, le dernier interne à avoir pu opter pour Grenoble étant classé à la 6545e place.

Jeanne Bulant