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"J'appréhende le retour à la normale": les personnes atteintes de phobie sociale confrontées au déconfinement

La réouverture des terrasses, des cinémas et autres lieux culturels laisse entrevoir pour beaucoup la fin de la crise sanitaire, notamment grâce la vaccination. Mais cette situation constitue une source d'angoisses pour certains souffrant de phobies sociales et craignant ce retour à la vie normale.

"Ce sont les interactions sociales qui me font peur, pas le virus". Les réouvertures ont été attendues par bon nombre d'entre nous, mais pas par Tristan*. Âgé de 23 ans, cet étudiant en économie installé en banlieue parisienne n'est pas de ceux qui ont partagé sur les réseaux sociaux leur joie de reprendre un verre en terrasse ou de se presser à nouveau dans les salles obscures. Ces lieux rouverts, il les fuit depuis longtemps déjà.

"Depuis tout petit, les situations sociales m'ont très souvent provoqué de l'inconfort, surtout dans des endroits qui ne me sont pas familiers, où les gens se rencontrent... Cela me rend assez agité et me donne envie de fuir", confie le jeune homme à BFMTV.com.

"Je me suis conforté dans ce style de vie, à rester seul chez moi"

Un sentiment de malaise, une impression d'être fustigé du regard, un risque de devenir le centre d'attention d'un groupe d'individus... Tristan vit ces craintes lorsqu'il se retrouve dans une foule, qu'il s'agisse de parfaits inconnus ou même de proches: lors du mariage de sa sœur en 2017, il ne parvenait pas à dialoguer avec son entourage, pourtant des membres de sa famille.

"J'entendais ce qu'on me disait mais je n'étais pas concentré, je faisais des allers-retours entre la maison et dehors pour éviter d'être paniqué, cela m'apaisait", raconte-t-il.

Les années ont passé, pas la phobie. Et puis la pandémie est survenue. La crise sanitaire, incontrôlable, a contraint chacun et chacune d'entre nous à rompre quasiment tout lien social. Une situation insupportable pour la plupart, mais bienvenue pour Tristan: "je trouvais ça vraiment cool de rester à distance, ça me réconfortait, là, j'appréhende le retour à la normale parce que je me suis conforté dans ce style de vie, à rester seul chez moi dans mon appartement".

Pour Samuel*, qui ne met plus les pieds dans les transports en commun ou encore au cinéma depuis des années, les images de foule faisant la queue devant les grandes surfaces lors des premiers confinements l'ont contraint à revoir sa façon de faire les courses.

"Plus d'une fois, j'ai préféré aller dans une petite supérette où je ne pouvais faire que la moitié de mes achats mais où je savais qu'il y aurait beaucoup moins de monde et donc moins de crainte de me retrouver coincé avec une foule autour de moi", témoigne le trentenaire pour BFMTV.com.

Une hausse des troubles anxieux depuis mars 2020

S'isoler pendant les confinements, et après? La peur de Tristan, de ne pas être en sécurité à l'extérieur et de risquer de faire une crise de panique, porte un nom: l'agoraphobie.

"Le trouble panique avec agoraphobie est le premier motif de consultation en psychiatrie libérale dans le monde", affirme le psychiatre Hervé Montès à BFMTV.com. "On ne peut pas affirmer qu'il y a eu plus d'agoraphobes, c'est encore sous-diagnostiqué".

Contacté par BFMTV.com, Santé Publique France ne dispose pas de données propres à ce trouble anxieux spécifique. L'organisme note toutefois, grâce à l'enquête CoviPrev, "une hausse globale" des états anxieux et dépressifs chez les Français depuis le mois de mars 2020.

Syndrome de la cabane

Le sentiment de liberté, la capacité à faire des projets, voir les gens qu'on aime, la pratique sportive régulière, le développement personnel ou encore l'investissement par rapport à des valeurs... Des "régulateurs" permettant de compenser l'anxiété, le stress et la peur, mais qui ont été "quasi-empêchés par les confinements", selon Hervé Montès, "on a donc tous perdu un peu de notre capacité à réguler nos émotions".

Source d'angoisse pour beaucoup, la crise du Covid-19 a poussé certains à se retrancher chez soi et à garder les habitudes prises lors des confinements. Une expression a même vu le jour pour qualifier ce ressenti né lors de la crise: le syndrome de la cabane.

"Dans un contexte où on n'a plus de magasins ouverts, où on est sollicité pour rester en télétravail et où on nous invite à rester chez nous, cela a rassuré ceux souffrant de phobie sociale", explique Hervé Montès. L'ancien président de l'AFTCC (Association Française de Thérapie Comportementale et cognitive) souligne cependant que cette situation ne va qu'aggraver sur le long terme leur état de santé, "cela, en définitive, les empêche d'avancer".

L'importance de l'entourage dans le traitement de cette phobie

Le sentiment d'être rassuré, de ne pas avoir à faire d'efforts, empêche les patients atteints de phobie sociale de se confronter progressivement à ce qui leur fait peur, selon le psychothérapeute. Une étape pourtant essentielle à leur rétablissement, qui passe avant tout par la consultation, le plus tôt possible, d'un spécialiste.

"La règle, c'est de convenir avec eux d'un exercice qu'ils s'engagent à suivre, mais on ne force jamais", assure Hervé Montès, "on commence par des petits pas et ce sont ces petits pas qui font les grands chemins". eur font peur pour enfin faire en sorte qu'ils se confrontent progressivement à des situations sociales. Un travail long et pour lequel l'entourage joue le rôle déterminant de co-thérapeute.

"La règle c'est de convenir avec eux d'un exercice qu'ils s'engagent à suivre, mais on ne force jamais", assure Hervé Montès, "on commence par des petits pas et ce sont ces petits pas qui font les grands chemins".

Un déconfinement progressif bénéfique pour certains patients

Si elle constitue une épreuve pour ces phobiques, la réouverture des lieux accueillant du public n'en demeure pas moins progressive et soumise à des conditions sanitaires strictes (capacités d'accueil limitées et jauge à respecter pour chaque client). Une "opportunité" pour les personnes atteintes d'anxiété sociale? Oui et non. Tout dépend des troubles de chacun, selon le psychiatre.

"C'est intéressant pour les agoraphobes, car ils auront plus d'espace et une mobilité plus importante, la confrontation est donc plus facile", explique Hervé Montès. "A contrario, cela risque de provoquer l'effet inverse pour les autres phobies sociales: les personnes ne pourront plus se mêler dans la foule et auront l'impression que tout le monde les regarde, ce qui risque d'augmenter l'inconfort et la difficulté de cette épreuve".

Tristan affirme avoir eu le "déclic" lors du troisième confinement et a récemment pris la décision de se faire suivre, l'occasion pour lui de "faire le pas" et de "sortir de sa coquille": "j'en ai aussi pris conscience grâce au Covid, et même si ça risque d'être difficile pour moi, je me dis que c'est en essayant que j'arriverai à m'en sortir".

* Les prénoms ont été modifiés

Hugues Garnier Journaliste BFMTV