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ENQUÊTE BFMTV - L'intrigant professeur Raoult, entre controverse et engouement

Le professeur Didier Raoult. - AFP

Le professeur Didier Raoult. - AFP - -

BFMTV diffuse ce jeudi soir un entretien exclusif de l'infectiologue marseillais, accompagné d'une enquête sur le médecin qui défraye la chronique.

A Marseille, c'est quasiment un fan-club qui s'est constitué autour de la nouvelle figure locale: Didier Raoult, infectiologue directeur de l'Institut hospitalo-universitaire (IHU) Méditerranée Infection. Ce professeur soutient le recours à l'hydroxychloroquine, un dérivé d’une molécule utilisée depuis les années 1950 pour soigner notamment le paludisme, afin de guérir les malades atteints du Covid-19.

BFMTV diffuse ce jeudi soir à partir de 20h30 un entretien exclusif de Didier Raoult, ainsi qu'une enquête exclusive sur l'infectiologue.

A 20 heures dans la cité phocéenne, à l'heure où les Français rendent hommage aux soignants depuis leur fenêtre, des enfants chantent dans le jardin familial: "Monsieur Raoult on t'aime". Le père de la fratrie a même étendu au fond de sa propriété une banderole visible depuis l'autoroute: "Marseille et le monde avec le professeur Raoult." "On va dire qu'il a sauvé le monde", raconte-t-il à BFMTV.

Personnalité qui ne fait pas l'unanimité

Le cas de cette famille n'est pas isolé. A en croire le compte Twitter de l'IHU, des farandoles de taxis, éboueurs, défilent au pied du bâtiment dans un concert de klaxons, rendant hommage au médecin controversé. Mais à l'endroit de Didier Raoult, les sentiments sont tranchés.

"On ne peut pas se comparer au professeur Raoult. Il est d'un niveau de 'nobellisable'", va jusqu'à dire Renaud Muselier, président Les Républicains (LR) de la région Sud Provence-Alpes-Côte d'Azur, médecin de formation qui a connu Didier Raoult sur les bancs de la faculté de médecine. "Il n'est absolument pas hors système. Ça c'est une fable qu'il construit", analyse le journaliste de Marsactu Benoît Gilles. Ses méthodes sont contestées: "On nous a témoigné de scènes d'humiliations publiques, d'agressions verbales", relate Cédric Bottero, secrétaire général CGT Université Aix-Marseille. 

Âgé de 68 ans, Didier Raoult est né à Dakar, au Sénégal, d'un père militaire et d'une mère infirmière. La famille s'installe à Marseille au cours de son enfance. Il devient un lycéen fantasque, qui était déjà, d'après ses camarades de l'époque, "très sûr de lui", raconte à BFMTV Hervé Vaudoit, ancien journaliste à La Provence.

Avant de passer son bac, il part deux ans dans la marine marchande, avant d'être finalement rattrapé par son appétence pour les sciences. Il s'inscrit en faculté de médecine, où il fait donc la connaissance de Renaud Muselier. Ce dernier, qui deviendra ministre, se souvient:

"Il fait partie de ces personnalités qui ne passent pas inaperçues. Parce qu'il est plus travailleur, plus brillant, plus fort que tous les autres. Donc c’est une personnalité qui ne laisse pas indifférent."

Référence en bactériologie

Raoult se spécialise dans l’étude des bactéries, et devient rapidement l’une des références en la matière. L'homme commence alors sa carrière et va se faire connaître, pour ses méthodes efficaces, mais musclées, qui n'entraînent pas l'adhésion de tous. 

Ses méthodes peuvent s'illustrer par cet événement, survenu en 1996. Au printemps de cette année-là, le médecin arrive à Briançon, dans les Hautes-Alpes. La ville est aux prises avec une étrange épidémie: plusieurs habitants sont subitement atteints de fièvre Q, en pleine ville, alors que ce mal est transmis par le bétail et touche généralement les bergers. Raoult mène l'enquête en deux jours. Il identifie l'abattoir de la ville. C'est l'héliport de la gendarmerie, situé à côté, qui en survolant la zone, aurait ainsi disséminé le virus présent sur les carcasses animales. 

A cette époque, l'actuel maire de Briançon, Gérard Fromm, était le vétérinaire de l'abattoir incriminé. Il se rappelle d'"un côté très cavalier", alors qu'il n'avait pas été consulté par le chercheur marseillais. Pour mettre un terme à cette épidémie, déjà, Didier Raoult préconise le recours à l'hydroxychloroquine.

Carrière brillante

Le docteur Raoult mène une carrière indéniablement brillante. Il est nommé président de l'université Méditerranée Aix-Marseille à 42 ans. Il est mandaté quelques années plus tard pour rédiger pour le compte du gouvernement un rapport sur le bioterrorisme et les risques épidémiologiques. Il n'aura de cesse à partir de là d'alerter sur les dangers d'une pandémie. En 2010, il reçoit le grand prix de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), l'une des plus hautes distinctions scientifiques françaises.

Dans le même temps, Nicolas Sarkozy, alors président de la République, annonce pour 2010 la création de cinq IHU (Instituts hospitalo-universitaires) en France. Didier Raoult décroche 10 millions d'euros pour sa structure. Au conseil d'administration, de nombreuses personnalités politiques: son ami Renaud Muselier, l'ancien ministre de la Santé Philippe Douste-Blazy ou encore Jean-François Delfraissy, actuel président du conseil scientifique sur le Covid-19.

Publications foisonnantes

Didier Raoult multiplie les publications scientifiques. Ce sont elles qui, au niveau mondial, permettent d'établir un classement. Sur un moteur de recherches spécialisé, on dénombre près de 3000 résultats rattachés à son nom, notamment dans la prestigieuse revue Science.

Sous couvert d'anonymat, une ancienne thésarde de l'IHU dénonce une pression à la publication afin que le chercheur puisse apposer sa signature, une pratique qui serait courante dans ce milieu. En 2019, la signature de Raoult apparaît 168 fois, soit presque une publication tous les deux jours.

Pour cette jeune femme, il est impossible que Didier Raoult ait réalisé toutes ces recherches. "A moins que cet article soit vide, à moins que cet article soit creux, à moins que cet article soit uniquement descriptif. Un article de sciences s'écrit en six mois, un an. Forcément, je pense qu'il signe absolument tous les papiers qui sortent de chez lui, mais ça veut dire qu'il ne peut même pas tous les vérifier ou les lire". 

Une preuve selon elle que certains travaux de l'institut manquent parfois d'intégrité. Un reproche que l'on retrouve également dans un rapport du Haut conseil pour la recherche scientifique (HCERES), un organisme indépendant d'évaluation, qui estime que le nombre de publications est privilégié au détriment de la qualité. Un point sur lequel le professeur Raoult ne veut pas faire de commentaire.

Ambiance délétère

Le HCERES fait un autre constat, sur l'ambiance qui règne au sein de l'équipe. Et dénonce à mi-mots l'emprise puissante de Didier Raoult. En mars 2017, une douzaine d'employés ont accusé la direction de l'institut de harcèlement moral. Une enquête est ensuite diligentée par les instances représentatives du personnel.

"On avait vraiment affaire à une ambiance extrêmement toxique, une ambiance toxique au niveau du travail, et avec un management qu'on pourrait qualifier de dictatorial", indique Cédric Bottero.

La chercheuse anonyme évoque une ambiance "assez infantilisante, assez irrespectueuse", et se remémore sa "boule au ventre" avant de se rendre à la réunion hebdomadaire. Raoult admet à l'époque des dysfonctionnements mais nie le climat malsain.

Il lui est aussi reproché de ne pas avoir dénoncé des faits d'agressions sexuelles dont il avait eu connaissance, commis par quelqu'un de son équipe. Ce qui est un délit au sens de l'article 40 du code pénal. Il se défendra en disant ignorer cette disposition légale.

Perte de crédibilité

Récemment a ressurgi sur les réseaux sociaux une vidéo tournée lors d'un gala de la faculté de médecine en 2018. Le genre d'événements où les étudiants ont l'habitude de brocarder leurs chefs. Cette année-là, Didier Raoult est particulièrement pris pour cible dans une chanson scandant "Il pleut de la merde sur la Timone" ou encore: "Pire que ses germes, l'homme est dégueulasse, tout le monde le hait".

Parallèlement, l'Inserm et le CNRS retirent chacun le label qu'ils avaient décerné à l'IHU, et l'institut accuse une perte de crédibilité. Raoult change de style, ses cheveux poussent. A Hervé Vaudoit, de La Provence, qui l'interroge sur ce changement d'allure, il répond: "'Parce que ça les fait chier.' Il aime bien provoquer les puissants, les décideurs". Dans des chroniques écrites dans Le Point, il remettra en cause le réchauffement climatique.

Minimisation du Covid-19

Mi-janvier, à l'orée du confinement en Chine, Raoult déclare sur la chaîne YouTube de l'IHU que "le monde est devenu complètement fou. C'est-à-dire qu'il se passe un truc où il y a trois Chinois qui meurent et ça fait une alerte mondiale". Idem deux semaines plus tard: "Si j'avais une hypothèse sur le devenir, je ne crois pas que ça changera la mortalité par pneumonie dans le monde cette année."

Le 25 février, Didier Raoult change de camp: alors que la crise du coronavirus explose, il préconise le recours à la chloroquine pour soigner les malades qui en sont atteints. "C’est une excellente nouvelle. C’est probablement l’infection respiratoire la plus facile à traiter de toutes! La moins chère", dit-il. Il organise à l'IHU des dépistages, des files se forment devant le bâtiment. Les Marseillais semblent rassurés par cette initiative, mais la méthode ne plaît pas à tous.

Infectiologue et cheffe de service à l'hôpital Saint-Antoine à Paris, Karine Lacombe s'en ouvre alors à France 2. Elle estime que l'efficacité du remède n'a pas été prouvée par des études réalisées dans les règles de l'art et que ce médicament peut avoir des effets secondaires graves.

"Ce qui se passe à Marseille à mon avis est absolument scandaleux", dit-elle.

Elle se met des milliers de Français à dos. En un après-midi, elle reçoit plus de 1000 mails. Elle dépose plainte pour tenter de retrouver les personnes la menaçant de mort. Elle a depuis décidé de quitter les réseaux sociaux, mais reste critique:

"Quand on est dans un climat très anxiogène avec une peur de la mort, la pensée magique, ça marche."

Didier Raoult a derrière lui de nombreux partisans. Sur Facebook, une page rassemble plus de 460.000 abonnés. Mi-mars, en pleine controverse, il décide de ne plus se rendre aux réunions du conseil scientifique sur le Covid-19. Malgré cette décision, Emmanuel Macron le rencontrera longuement lors d'une visite à l'IHU, dans un climat de défiance.

Relents conspirationnistes?

"Il a su jouer le rôle de médecin avec son tablier pour proposer une solution en disant en quelque sorte 'vous voyez bien - parce que c'est ça le discours conspirationniste - que l’Etat n’arrive pas à répondre à la crise et donc moi je vous propose une solution alternative", analyse l'historienne Marie Peltier, spécialiste du complotisme.

Didier Raoult est désormais sur le devant de la scène, entre ses partisans et ses détracteurs. Renaud Muselier continue de le défendre: "Il a toujours été comme ça. Et s’il est là aujourd'hui, c’est parce qu’il est comme ça. Donc vous ne pouvez pas demander à M. Raoult aujourd'hui, à partir du moment où il est intimement convaincu que ce qu’il fait va dans le bon sens, de changer."

Caroline Mier, Quentin Baulier, Etienne Grelet et Sophie Herbé