BFMTV
Santé

"C'est comme si on était à la guerre": à l'orée de la deuxième vague, le cri d'alerte des soignants

Fatigués par la première phase de la crise sanitaire, des médecins et infirmiers demandent des moyens et bras supplémentaires afin d'aborder l'hiver et la résurgence de la pandémie de coronavirus.

Alors que le nombre de cas de contamination au Covid-19 bat des records ces derniers jours, et que le nombre de malades hospitalisés en réanimation ne cesse d'augmenter, pour s'établir à son plus haut niveau depuis le mois de mai dernier, les chiffres brossent l'arrivée d'une deuxième vague épidémique en France.

"Les trois semaines à venir vont être très compliquées", a déclaré l'épidémiologiste et membre du Conseil scientifique Arnaud Fontanet à nos confrères du Journal du dimanche.

Samedi, 26.896 cas avaient été détectés au cours des 24 heures passées, et 54 morts supplémentaires étaient à déplorer. Le taux de positivité des tests avait grimpé pour s'établir à 11%.

"Retour à l'anormalité"

"On a, encore une fois, besoin de la population pour gérer cette épidémie parce qu'une chose qui marche, c'est les mesures de prévention", s'alarmait la docteure Agnès Ricard-Hibon à notre antenne ce dimanche, présidente de la Société française de médecine d'urgence.

"La grande inquiétude des soignants, c'est d'avoir à prendre en charge un malade qui a des chances de survie, mais pour lequel on ne pourra pas offrir la qualité, la sécurité des soins qu'il mérite. (...) Or là, il y a un peu le retour à l'anormalité d'avant, avec des difficultés pour hospitaliser les patients, les patients qui stagnent dans les structures d'urgence en attente de lits d'hospitalisation", a-t-elle poursuivi.

37% des infirmiers veulent changer de métier

Selon une enquête réalisée par l'Ordre nationale des infirmiers et relayée par Le Parisien, 37% de ces soignants ont envie de changer de métier depuis la crise du Covid-19, et 57% estiment être en burn out.

Au CHU de Nantes, des soignants testés positifs au coronavirus continuent malgré tout de travailler. Asymptomatiques, ils risquent de contaminer leurs patients. Un fait qui illustre la crise que traverse l'hôpital et le manque de bras nécessaires à son bon fonctionnement, dénoncent certains membres du corps médical.

"Quand on est obligés de faire travailler des gens qui sont Covid positif en période épidémique, il faut bien comprendre que là on a atteint le stade du niveau zéro de l'organisation, du niveau zéro de la réserve d'effectifs et en fait, c'est comme si on était à la guerre, et que les envahisseurs sont sur le point de rentrer dans la ville, et qu'on est obligé de demander aux amputés d'aller essayer de se battre, là c'est pareil", a fustigé sur BFMTV Arnaud Chiche, anesthésiste-réanimateur à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) et fondateur du collectif Santé en danger.

"Quand on sait que le Covid va être dans notre vie pendant plusieurs années, ce n'est pas forcément très rassurant", s'inquiète l'anesthésiste.

"Une crise sociale" chez les soignants

Dans le JDD de ce jour, on pointe le fait que malgré l'accalmie estivale sur le front épidémique, toutes les opérations et actes médicaux déprogrammés au printemps dernier n'ont pas pu être "rattrapés", et risquent de se télescoper avec l'afflux de nouveaux patients Covid dans les établissements de soins.

"J'ai été admirative de la mobilisation et de l'engagement des personnels, et effectivement ils sont fatigués, et effectivement il y a une crise sociale depuis un certain nombre de temps", pointe Agnès Ricard-Hibon.

"On part à la guerre avec une armée beaucoup moins importante et moins enjouée. On est là pour ça, on fera le travail, mais on est épuisé", avoue David Luis, chef du service de réanimation du centre hospitalier de Beauvais (Oise), dans le JDD.

"Les soignants ne sont pas moins motivés mais sont un peu désabusés, ils sont fatigués, n'en peuvent plus, et je sens qu'il y a moins d'entrain pour ce rebond épidémique que pour la première vague où on vivait sous adrénaline", abonde Frédéric Adnet, chef du service d'urgences SAMU-SMUR de l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis), sur BFMTV.

"Ce qui m'inquiète beaucoup actuellement, c'est qu'on ne pourra pas faire comme pour la première vague. C'est-à-dire qu'on ne pourra pas ramener du personnel de province pour venir nous épauler, on pourra pas transférer des patients en province, parce que la province est aussi impactée que [Paris]. Donc on risque, avec moins de malades, d'être plus mis en difficulté que lors de la première vague", craint l'urgentiste.

"Une trop forte résilience"

Pour la docteure Agnès Ricard Hibon, la crise actuelle peut agir comme un révélateur de dysfonctionnements préexistants:

"On a choisi ce métier pour soigner. Il y a une résilience, mais probablement une trop forte résilience. [...] Là, on paye le fait qu'il y a eu un abandon de l'hôpital. On est en train de se rendre compte que la crise de l'hôpital, ça entraîne une crise médico-économique - et économique tout court - majeure et que ça impacte tout le pays."
Clarisse Martin Journaliste BFMTV