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Alcoolisme: "Mon fils buvait jusqu'à tomber, j'ai appris à ne plus l'aider"

L'alcool isole. (illustration)

L'alcool isole. (illustration) - iStock

Avec de nouveaux modes de consommation extrêmes, l'alcool fait des ravages chez les jeunes. Dans Nathanaël, une mère témoigne des enfers, par lesquels elle est passée avec son fils.

Anaïs Dariot, auteure de Nathanaël (édition Pygmalion) l'a vérifié à ses dépens: l'enfer est pavé de bonnes intentions. Sous-titré "Le combat d'une mère pour sortir son fils de l'alcoolisme", l'ouvrage qui sortira le 22 novembre a longuement maturé dans l'esprit de cette mère confrontée au naufrage, puis à la résurrection de son fils. 

Comment réagir face à l'alcoolisme de son enfant? "Il a perdu dix ans de sa vie", tranche celle qui avant que son fils ne sombre dans l'alcoolisme, le décrivait comme un "gamin brillant".

"Il était à l'article de la mort, il avait perdu 10 kilos, il a fait une hépatite alcoolique, a multiplié les tentatives de suicide et a eu de multiples incidents de vie. L'alcool infantilise", témoigne la mère de Nathanaël.

"Le livre concerne une période de crise"

Pourquoi témoigner aujourd'hui? Pour redonner l'espoir aux familles dont un jeune est tombé sous l'empire de l'alcool? Ce n'était pas du tout l'intention de départ, confie l'auteure.

"Le livre concerne une période de crise. Il est né d'un besoin immédiat, d'une urgence. En 2003, une altercation avec mon fils et une tierce personne a été le déclenchement. J'ai réalisé grâce aux Alcooliques anonymes que mon fils était malade. Nous avons eu deux années d'affrontement. Je voulais qu'il prenne son autonomie, qu'il habite un appartement avec un colocataire. Mais il mettait en péril le droit que nous avions à prétendre à une HLM près de Paris. C'était très précieux puisque nous venions de banlieue et mes trajets étaient de plus de trois heures par jour. Je ne voyais que ça, à l'époque.
L'amour que j'avais pour mon fils était totalement enfoui. Les alcooliques anonymes m'ont donné une ligne de conduite. J'en avais besoin. Pour l'accompagner."

"J'ai compris que l'aider, c'était l'enfoncer"

Avant cette prise de conscience, Anaïs s'étonne rétrospectivement elle-même de ne pas avoir vu ce dont son fils souffrait. Comme beaucoup de parents, elle admet qu'elle "avait des œillères".

"Quand j'ai découvert son alcoolisation pour la première fois, il avait 19 ans. Il m'a assuré que c'était accidentel, qu'il ne fallait pas que je m'inquiète. Il m'a toujours à la fois protégée et roulée dans la farine. Les addictions entraînent cette ambivalence des sentiments, mais avec cette constante qu'un addict ne cherche qu'à assouvir son addiction. C'est quelque chose d'insurmontable.
Je suis passée par différents stades: de la colère à une infinie compréhension, avant de décrocher. J'ai compris que chercher à l'aider pouvait être une manière de l'enfoncer.
A partir du moment où j'ai pris conscience de sa maladie et que j'ai voulu l'accompagner, un système s'est mis en place. Au fur et à mesure de ses appels au secours, ou en l'absence de ceux-ci mais quand son état dictait qu'on agisse pour l'hospitaliser, je le prenais en charge. Mais lui, ne le faisait pas.
D'hospitalisation en hospitalisation, le cycle recommençait. Ce n'est arrivé qu'une fois, mais j'ai été contrainte de le faire mettre dehors de chez moi par la police parce qu'il était particulièrement violent. J'ai appris à ne plus lui donner d'argent ou à manger quand il était en état d'ébriété.
Quand il disparaissait pendant des mois, je croyais qu'il était mort. Mon psy me faisait comprendre que j'étais une femme indépendante, que ma vie n'était pas suspendue à celle de mon fils. Le but était que je ne le suive pas s'il ne revenait pas."

Une dépendance "comparable à l'héroïne"

Loin de l'alcoolisme social "à la papa" (qu'en l'espèce le père de Nathanaël pratique), ce jeune avait adopté comme beaucoup une mode extrême de consommation, le "binge drinking" ou "Neknomination".

"Il buvait jusqu'à en tomber. Ça a été comme ça pendant des années, des prises d'alcool comme s'il se shootait. Pour moi, les cafés sont un peu aux alcooliques ce que sont les salles de shoot pour les drogués. La dépendance à l'alcool est aussi forte que celle à l'héroïne."

Selon l'auteur, la consommation débridée d'alcool modifie, "comme avec l'héroïne" les circuits neuronaux. De sorte que le moindre écart est synonyme de rechute.

Selon une étude de l'Observatoire français des drogues et toxicomanies de décembre 2015, près d'un adolescent sur deux vivant dans l'Ouest parisien avait connu une "alcoolisation ponctuelle importante" dans le mois précédent l'enquête.

"S'il s'arrête, il se remet à boire"

Aujourd'hui, Nathanaël a retrouvé "une vie normale". Après sept ans d'alcoolisme massif déclaré, sans doute plus aux dires des sa mère, le Baclofène lui a offert la tant attendue porte de sortie. Mais Anaïs Dariot y tient, elle "ne veut pas faire l'apologie de ce médicament". Détourné de son usage premier, soit un relaxant musculaire notamment utilisé dans les cas de sclérose en plaques, le Baclofène a montré un bénéfice pour beaucoup d'alcoolodépendants.

Le traitement administré à haute dose a été bénéfique à Nathanaël. Mais il doit, pour l'instant, continuer à le prendre de peur de replonger.

"S'il s'arrête, il se remet à boire, prévient sa mère. Mais l'avantage du Baclofène est qu'il permet à un alcoolique de boire deux ou trois coupes de champagne dans une occasion sociale, à un baptême, un mariage, sans qu'il ne sombre à nouveau". 

Anaïs Dariot se remémore une rencontre avec le professeur Philippe Batel qui après avoir participé à l'étude ayant permis la commercialisation du Baclofène, "en revient", à cause d'effets secondaires importants. L'ANSM a d'ailleurs mis en garde contre l'administration de très hautes doses. 

Nathanaël voit de sa propre initiative un alcoologue et reconstruit petit à petit sa vie. Encore très fragile, il lui reste du chemin à faire pour être au faîte de ses capacités et, pourquoi pas, rattraper le temps perdu.