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Addyi, présenté comme le "Viagra" au féminin, entre promesse de libido et réserves médicales

L'agence américaine du médicament a autorisé mercredi la mise sur le marché de l'Addyi, un traitement destiné aux femmes souffrant d'un manque de libido. Que faut-il penser de ce nouveau médicament? Alain Ducardonnet, spécialiste santé de BFMTV, et Ghislaine Paris, sexologue, apportent leur éclairage.

L'Addyi connaîtra-t-il le succès du Viagra? Présenté comme le pendant féminin de la célèbre petite pilule bleue, il s'agit d'un traitement destiné aux femmes souffrant d'un manque de libido. Mais son efficacité va être scrutée à la loupe. Si la FDA, l'agence américaine du médicament, a accepté sa mise sur le marché américains après des essais cliniques effectués sur cinq ans, seules 10% des 2.400 femmes étudiées ont ressenti des améliorations. Alors, que penser de ce nouveau médicament? L'avis d'Alain Ducardonnet, spécialiste santé de BFMTV et Ghislaine Paris, sexologue auteure du livre Un Désir si fragile.

Tout d'abord, les deux spécialistes ont tenu à préciser que la comparaison avec le Viagra était erronée et portait même à confusion. "C'est très vendeur mais ça n'a strictement rien à voir", assure Alain Ducardonnet. Si les deux médicaments ont vocation à améliorer la vie sexuelle, ils ne jouent absolument pas sur les mêmes mécanismes. "Le Viagra, qui a maintenant 17 ans de commercialisation, est un médicament qui marche de façon physiologique, il augmente l'érection avec des phénomènes vasculaires", explique Alain Ducardonnet. 

"Sans désir, le Viagra ne marche pas"

"L'Addyi stimule le désir, à savoir l'émotion sexuelle", précise Ghislaine Paris. Il s'agit d'une action directement neurologique au niveau du cerveau où un neurotransmetteur est utilisé. La sexologue précise: "on n'a rien pour agir sur la libido des hommes parce que le Viagra n'agit pas sur la libido, il agit sur l'érection. D'ailleurs quand les hommes n'ont pas de désir, le Viagra ne marche pas". En résumé, le premier médicament agit sur la performance, l'autre sur le désir. Avec l'Addyi, la performance sexuelle n'est pas augmentée alors qu'avec le Viagra, il est parfois utilisé à cet usage.

Dans certaines conditions de travail, de stress, de fatigue, l'appétit sexuel est un "petit peu en berne. Ce médicament serait semble-t-il un stimulant du désir sexuel", souligne encore Alain Ducardonnet. Et il pourrait même profiter aux hommes. Selon Ghislaine Paris, même s'il vise d'abord les femmes, ce médicament pourrait profiter aussi aux hommes qui se plaignent, de temps en temps, d'une baisse de désir.

"L'appétit sexuel fait partie de l'envie de vivre"

Comme le Viagra, la propriété aphrodisiaque de l'Addyi a été découverte accidentellement. Le Viagra avait initialement été développé pour traiter des problèmes de cœur et l'Addyi était à l'origine un antidépresseur. Des études ont montré que des femmes qui en prenaient avaient un retour d'appétit sexuel. "Ce qui n'est pas étonnant. Quand vous prenez un antidépresseur, vous libérez l'angoisse et vous retrouvez cette envie de vivre et l'appétit sexuel fait partie de cette envie de vivre", assure Alain Ducardonnet.

L'autorisation de la mise du médicament sur le marché américain de la FDA a été refusée par deux fois en 2010 et 2013 en raison de ses effets secondaires. Parmi eux, on retrouve des chutes de tension, des possibles évanouissements et des malaises. L'Agence américaine des médicaments a d'ailleurs insisté pour que tous les effets secondaires soient bien cités dans la notice. "Son action joue sur les hormones au niveau du cerveau, la sérotonine, la noradrénaline, la dopamine qui ont des influences sur le sommeil, l'agressivité ou l'appétit sexuel qui peuvent aussi jouer sur la tension", détaille l'expert santé de BFMTV.

Bientôt en Europe?

"Ce médicament a été mis aux forceps sur le marché, je crois qu'il faut être extrêmement prudent", met en garde Alain Ducardonnet, qui préconise de le donner avec modération. D'ailleurs, il n'est délivré que sur prescription médicale. Et n'est pas disponible en France pour le moment. Un dossier a été remis à l'Agence européenne du médicament mais il n'est "pas sûr que ce soit aussi facile de le commercialiser en Europe et éventuellement en France", estime Alain Ducardonnet.

Autant dire que la mise de l'Addyi sur le marché américain va faire office de test pour les autres pays. "Il sera intéressant d'avoir le retour des patientes à une grande échelle. On aura alors une idée plus précise de son efficacité mais surtout de la manière dont on va l'utiliser", estime Ghislaine Paris. Reste un autre point qui doit encore être clarifié selon la sexologue: "la restriction aux femmes non ménopausées m'a beaucoup étonnée. J'ai peur de débusquer un résidu de tabou de la sexualité féminine".

Elise Maillard