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LIGNE ROUGE - USA, la poudrière

A quelques heures du résultat de la présidentielle aux États-Unis, certains Américains s'arment et se préparent en vue d'une éventuelle guerre civile, signe d'une fracture de plus en plus profonde entre deux clans irréconciliables.

L'Amérique retient son souffle. A la veille de la présidentielle censée dire qui, de Donald Trump ou de son rival Joe Biden, accèdera à la Maison Blanche, une crainte se fait clairement ressentir: celle d'affrontements physiques entre deux clans irréconciliables. Comme le montre notre long format USA, La Poudrière dévoilé dimanche et rediffusé ce lundi soir sur BFMTV, nombreux sont celles et ceux aux États-Unis à redouter le pire dans les prochaines semaines. Qu'ils soient républicains ou démocrates, Blancs ou Noirs, tous sont préoccupés par leur propre sécurité. Pour assurer cette dernière et se parer à toute éventualité, ils n'hésitent plus à prendre les armes, à s'entraîner et vont même jusqu'à rejoindre des milices prêtes à en découdre à la moindre étincelle. L'élection de ce mardi constitue ainsi une menace imminente à leurs yeux.

Pour prendre la température, nos équipes ont pu se rendre dans le Michigan. Elles y ont notamment rencontré Michelle Gregoire, une modeste mère de trois enfants, âgée de 29 ans, qui réside dans la ville industrielle de Battle Creek.

"Gros Mike"

"Je vous présente 'Gros Mike'", lance-t-elle en brandissant fièrement un fusil d'assaut semi-automatique, juste à côté de son fils qui joue aux jeux vidéo. "Je veux être sûre que si quelqu'un essaye de rentrer chez moi, j'ai plus qu'un simple pistolet. J'ai quelque chose qui peut me défendre en cas d'intrusion" explique-t-elle en nous recevant chez elle. Avant d'ajouter, en rigolant, qu'"il y a une autre raison" pour laquelle elle possède une telle arme: "C'est tout simplement fun de tirer avec."

La "Michigan Home Guard" lors d'un rassemblement en septembre 2020
La "Michigan Home Guard" lors d'un rassemblement en septembre 2020 © Michigan Home Guard

Michelle Gregoire est par ailleurs membre de la Michigan Home Guard, l'une des nombreuses milices armées qui ont vu le jour à travers le pays ces dernières années, et qui est parfaitement légale dans cet État du Midwest. Sur les photos de leur dernier rassemblement, cette formation qui compte plus de 1000 inscrits, ses adhérents portent presque tous des couleurs militaires, certains arborant un équipement complet, du treillis jusqu'au casque.

"Ce sont des citoyens ordinaires, qui n'ont rien de spécial, des gens normaux qui travaillent comme moi du lundi au vendredi" assure la mère de famille. "Ils ne font rien d'exceptionnel ou de dangereux."

Trump a amélioré ses conditions de vie

Rien que pour le Michigan, une vingtaine de milices de ce type existent. Elles ont gagné du terrain ces derniers mois, lors des émeutes qui ont secoué le pays lors des manifestations contre les violences policières, sujet qui a de nouveau embrasé les États-Unis après la mort de George Floyd. Des événements qui font dire à la jeune femme qu'elle ne se sent plus en sécurité. La faute, selon elle, aux Démocrates et leurs soutiens.

"Regardez l'Amérique, qui est à l'origine des violences? Ce n'est pas la droite, c'est la gauche!" accuse notre interlocutrice, pour qui le pire des scénarios est désormais inévitable: "Je pense honnêtement que même si Trump gagne l'Amérique se dirige vers une guerre civile."

Si elle se revendique du libertarisme, Michelle Gregoire juge que seul le républicain Donald Trump peut garantir la sécurité dans son pays. C'est aussi grâce à lui, témoigne-t-elle, que sa vie s'est améliorée, elle qui a enchaîné pendant des années des petits boulots dans une situation précaire.

"J'ai prospéré sous Trump, mes impôts ont baissé, et ça m'a permis d'économiser de l'argent. C'est ça le rêve américain, ce n'est pas de travailler chez McDo pour le reste de sa vie, c'est de commencer par le bas et faire son chemin jusqu'à pouvoir vivre confortablement" témoigne celle qui sera bientôt trentenaire. "J'ai pu le faire sous Trump, je ne sais pas si je survivrai sous un autre président comme Biden, je ne survivrai pas sous le socialisme..." Son vote ne fait aucun doute.

"Là maintenant, nous sommes en guerre"

Parmi les arguments qui reviennent en boucle chez les électeurs de Donald Trump comme Michelle, la peur de perdre une part de leur liberté, symbolisée pendant la crise sanitaire par l'obligation de porter un masque par exemple. Mais surtout par la crainte qu'on leur retire le droit de porter une arme, ce qui est garanti par le second amendement de la Constitution, en cas de retour des Démocrates au pouvoir.

Sauf que la réalité est plus complexe. Face à un tel échauffement des esprits, des électeurs de Joe Biden font aussi valoir leur droit à se défendre. C'est le cas de la famille Lynn, membres de la branche locale du mouvement Black Lives Matter, à Lansing. "Nous ne devons pas avoir peur de faire ce que les Blancs font" explique tout d'abord Michael, un pompier de 39 ans, en montrant une photo de lui et de ses proches où ils posent armés à l'intérieur du capitole du Michigan.

Une réponse à une intrusion similaire réalisée dans cette même institution par des pro-Trump pour dénoncer le confinement imposé dans leur État, manifestation à laquelle avait par ailleurs participé Michelle Gregoire, au printemps dernier.

"Le second amendement ne s'applique pas seulement aux membres des milices blanches, ou aux Blancs qui vivent ici ou encore aux chasseurs qui sont pour la plupart blancs, il s'applique à tout le monde" tient ainsi à rappeler sa femme, Erica Lynn, devant notre caméra. "Donald Trump est totalement responsable de tout ça, de toute cette haine qu’il y a en ce moment dans ce pays, un point c'est tout" ajoute son mari.

Il développe: "Là maintenant, nous sommes en guerre, non pas parce que nous avons décidé de nous défendre, mais parce qu’il y a des nationalistes blancs qui essaient de nous tuer. Il y a eux, et puis il y a la police qui est aussi en train de nous tuer, nous les Noirs."

Apprendre à tuer

Les fusils que le couple exhibe ne sont pas seulement une force de dissuasion. Tout comme leurs adversaires idéologiques, Michael et Erica s'entraînent régulièrement. Intensément même, plusieurs fois par semaine, en se rendant à un stand de tir. L'objectif? Apprendre à tuer, pour faire cesser "une menace".

Les Lynn ne sont pas les seuls à anticiper ce scénario catastrophe. En mai dernier, une milice d’un nouveau genre a vu le jour, ce coup-ci dans l'État de Georgie, la Not fucking around coalition (NFAC), que l’on pourrait traduire par "la milice qui ne déconne pas". Son fondateur, surnommé Grand Master Jay, est un producteur de rap, vétéran de l’armée et ancien candidat indépendant à l'élection présidentielle de 2016. Contrairement à Black Lives Matter, cette organisation paramilitaire se dit prête à utiliser la violence pour parvenir à ses fins: 

"Nous allons prouver au monde entier que nous pouvons être aussi organisés, aussi disciplinés, aussi armés et déterminés que n'importe quel militaire de n'importe quel gouvernement" proclame le chef des NFAC. Il avertit: "Si notre coalition franchit un jour la ligne rouge, c'est que cette ligne aura déjà été franchie par les autres."

Une aubaine pour les armuriers

Dans cette atmosphère pesante, certains en profitent. Ce sont bien sûr les armuriers, qui constatent une explosion de ventes, avec des prix tirés vers le haut. Illustration dans la banlieue de Detroit, où des citoyens de tous horizons se rendent dans l'armurerie Action Impact. Son patron, Bill Kucyk a de quoi sourire: ses ventes ont bondi de +200% depuis le début de l'année. Trois raisons lui semblent évidentes pour expliquer la bonne forme de son marché: 

"Vous avez le coronavirus: les gens ont l’impression que leur sécurité personnelle est remise en cause", débute-t-il. "Vous avez une élection, certains craignent de perdre le droit d’acheter des armes. Et vous avez les troubles civils et émeutes, qui ont un impact aussi en termes de sécurité pour les citoyens."

Preuve en est, des gens qui n'ont jamais porté d'arme sautent le pas. Debora, retraitée, en fait partie. "J’ai besoin de protection" nous confie-t-elle. Elle est particulièrement inquiète par la prochaine présidentielle, et a peur "qu'il n'y aura pas de transition pacifique du pouvoir dans ce pays". Elle conclut: "Certains souhaitent une guerre civile, c'est ce qu'on dit. Et si ça arrive, alors chacun devra se protéger, à commencer par ma famille!"

Même son de cloche pour Kimberley, qui s'apprête à voter Joe Biden. Pour elle, il s'agit d'apprendre à manier une arme, en commençant par son chargement. "L'Amérique est très instable en ce moment" décrit cette infirmière. "C'est pour ma protection. Il y a déjà beaucoup de violence." Une situation qui risque de se dégrader de nouveau, à ses yeux, "si le président Trump est réélu".

Donné largment perdant dans les sondages nationaux, l'actuel président des États-Unis peut-il réitérer la surprise de 2016? Le scrutin s'annonce plus incertain qu'il n'y paraît, en particulier dans les Swing-states, les États clés. Et en cas de défaite face à Joe Biden, va-t-il la reconnaître?

Un long format signé par Fabrice Babin et Quentin Baulier avec Mélanie Bontems, Nicolas de Labareyre, Tom Henault et Elodie Noiret.

Jérémy Maccaud, avec les équipes de Grand Angle