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"Webinaires" et gestes barrières: comment faire campagne à l'heure du coronavirus

Affiches électorales pour les municipales de 2020 à Paris

Affiches électorales pour les municipales de 2020 à Paris - AFP - Philippe Lopez

Le Conseil scientifique a rendu mardi un avis dans lequel il ne s'oppose pas à la tenue du second tour des municipales en juin, mais émet des réserves quant à la situation sanitaire et insiste sur la nécessité d'adapter la campagne.

Habituellement, campagne électorale rime avec réunions publiques, tractage sur les marchés et porte-à-porte. Autant de moments où candidats et électeurs sont au contact. Des habitudes qui semblent maintenant obsolètes, vestiges d'un monde pré-Covid-19.

Le premier tour des municipales a eu lieu le 15 mars dernier. Le lendemain, Emmanuel Macron annonçait le confinement de la population en raison de l'épidémie de coronavirus. Le second tour du scrutin, initialement prévu le 22 mars, est alors reporté sine die.

"Oui, mais"

Dans un avis rendu mardi, le Conseil scientifique ne s'est pas opposé à la tenue du second tour des municipales au mois de juin. Mais les scientifiques ne donnent pas de blanc-seing à l'exécutif et assortissent leurs conclusions de réserves, en estimant notamment nécessaire de réévaluer les conditions sanitaires 15 jours avant la date qui sera choisie pour le vote. En somme: "Oui, mais."

Agacement des responsables politiques

Dans le monde politique, la perspective éventuelle d'un second tour en juin inquiète, voire est vertement rejetée. Une campagne électorale dans un contexte sanitaire encore fragile, alors que le pays a commencé à se déconfiner le 11 mai, semble cristalliser les inquiétudes. Même dans les rangs de la majorité présidentielle, on émet des doutes, à l'instar du président de l'Assemblée nationale Richard Ferrand:

"La démocratie, c'est les campagnes qui permettent des débats, des confrontations qui permettent au fond d'expliquer ce que l'on veut faire, ou ne pas faire, dans une commune. Donc je m'interroge sur le fait de savoir s'il est raisonnable de faire ça si vite", a-t-il réagi sur France Info mardi. "Pas de vote sans campagne électorale. Donc pas de vote sans garantie sanitaire du début à la fin", a renchéri Jean-Luc Mélenchon.

Une campagne "profondément modifiée"

Pour le Conseil scientifique également, une campagne électorale d'ici le mois de juin semble cristalliser les inquiétudes. Au cours d'une conférence de presse mardi après-midi, le président de l'instance, Jean-François Delfraissy, a indiqué qu'"il ne pourra pas y avoir de campagne électorale comme d'habitude", estimant qu'elle devrait être "profondément modifiée" car elle portait en elle un risque "important".

"On peut imaginer que les membres des équipes souhaitent aller au contact, sur les marchés, etc… tout cela va à l’encontre des règles de distanciation sociale. A ce jour d’autant plus que les réunions de plus de dix personnes sont interdites… Tout ceci est très difficile à réguler, d’où une prise de position claire: la campagne électorale doit profondément être modifiée", a insisté l'immunologue.

Moins de dix personnes

Du côté des candidats, le message semble avoir été reçu depuis un moment déjà. Plus de deux mois se sont écoulés depuis la première manche du scrutin. Un interminable entre-deux-tours au cours duquel la campagne des municipales s'est interrompue. Depuis le 1er mars, plus de 28.000 personnes ont succombé au Covid-19 en France, et les consignes de sécurité ont profondément infusé dans l'esprit des Français.

Plus question de se rassembler à plus de dix personnes dans l'espace public et les gestes barrières et la distanciation physique ont été assimilés. Plus à l'ordre du jour donc, de serrer la main des badauds et ou de haranguer l'assistance au cours de réunions militantes.

"Pas de solution idéale"

"Ça fait quand même un petit moment qu'on en discute", admet auprès de BFMTV.com Alan Confesson, conseiller municipal de la majorité écologiste à Grenoble et candidat en 11e position sur la liste du maire sortant, l'EELV Eric Piolle.

"Je pense qu'il n'y a pas de solution idéale, qu'on fasse ça en juin, en septembre, en octobre. On n'a aucune garantie de la qualité sanitaire. Il n'y a rien qui nous permet de penser que ce sera mieux ou pire en septembre ou en octobre", poursuit l'élu, par ailleurs chef de file des insoumis pour les municipales grenobloises.

A Paris, la tête de liste EELV dans le XIIIe arrondissement Anne Souyris pose un diagnostic identique. "Mieux vaut faire les choses de manière dématérialisée", estime-t-elle quant à la future campagne. Quitte à ce qu'elle n'ait pas le même goût, voire manque carrément de saveur. L'actuelle adjointe à Anne Hidalgo chargée de la Santé est favorable à un second tour en juin "si et seulement si il n'y a pas une remontée de l'épidémie". Anne Souyris comme Alan Confesson sont conscients que la campagne ne ressemblera à aucune autre.

"Oublier" les réunions publiques

"Les réunions publiques, je pense qu'il faut oublier (...). Le porte-à-porte a priori je pense que c'est une mauvaise idée également, on ne va pas aller voir les gens chez eux même avec des masques. Après, faire ce qu'on fait dans les marchés, si on est à une distance respectable, on peut éventuellement distribuer un tract en étant hyper attentif, mais je pense qu'il va falloir de nouvelles perspectives, plus par les réseaux sociaux, des 'webinaires' (des réunions en ligne, NDLR) par exemple, ça fonctionne très bien", juge l'élue parisienne.

"Si on se présente chez les gens avec une visière en plastique et un masque, ils vont prendre peur", corrobore Alan Confesson, qui ne reprend pas l'idée de la distribution de tract à son compte: "Ça pose tout de suite la question des projections sur le papier". Pour le militant insoumis, "ce qui reste possible, c'est le collage d'affiche", "et puis la possibilité de faire campagne sur les réseaux sociaux". L'élu grenoblois semble résigné: "Il n'y a pas de solution idéale."

Des affiches pour des "webinaires"

En plus du tractage dans les boîtes aux lettres, Anne Souyris pense également à l'affichage: "D'habitude vous mettez des affiches qui indiquent des meetings, des réunions publiques, là vous pouvez mettre des affiches qui indiquent des 'webinaires'". Une chose est sûre pour l'adjointe parisienne, "le moins de contact physique s'impose":

"Je me vois quand même mal rester à discuter à moins d'un mètre de quelqu'un, même avec masque. Je pense qu'il faut être un modèle du genre", ajoute-t-elle, espérant toutefois: "À voir s'il y a des choses raisonnables qui peuvent s'inventer."

Mardi, elle en crispait plus d'un parmi les responsables politiques, à l'image du président de l'UDI Jean-Christophe Lagarde, visiblement agacé sur Twitter: 

"On fait quoi? On interdit les réunions? Les tractages, etc? Stop déraison!" La future campagne n'a pas fini de faire couler de l'encre.
Clarisse Martin